Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Un accord historique avec Pékin et une lettre fraternelle à l’Église en Chine

Publié le 10/10/2018




Le 22 septembre, le Vatican et Pékin signaient un accord historique pour l’Église en Chine. Pour la première fois de son existence, la République populaire de Chine a signé un accord avec le Saint-Siège, reconnaissant ainsi le pape comme pasteur à la tête de l’Église. Jusqu’à maintenant, le gouvernement chinois ne reconnaissait le pape que comme souverain de l’État du Vatican. Ainsi, la Chine ignorait la tâche principale du pape comme chef de la communauté ecclésiale catholique universelle. Dorénavant, quand le pape nommera un évêque en Chine, cela ne sera plus considéré comme ingérence, analyse le père Jeroom Heyndrickx (CICM).

Pour la première fois depuis soixante ans, tous les évêques chinois sont en communion avec le pape. L’existence d’évêques illégaux en Chine – non nommés par Rome – est une des grandes préoccupations de l’Église depuis longtemps. Le rétablissement de cette communion avec Rome est essentiel et mérite d’être célébré. En outre, il devient ainsi possible que dans un proche avenir, le pape puisse nommer, en accord avec le gouvernement chinois, un évêque dans une trentaine de diocèses qui n’ont toujours pas d’évêque. C’est donc encore un problème de longue date qui est résolu. C’est pourquoi nous pouvons parler d’un accord « historique » et « pour le bien de l’Église en Chine ». Le pape François est parvenu à cet accord avec son équipe de négociateurs, capables et riches de nombreuses années d’expérience dans ce domaine. Les membres de cette équipe ont d’ailleurs plus de contacts personnels en Chine que certains qui, vivant hors de Chine, critiquent cet accord.
Toutefois, le grand mérite de cet accord revient aux pasteurs et aux fidèles de l’Église en Chine. Sans soixante années de témoignage courageux de fidélité à Rome de la part de la communauté croyante de Chine – de l’Église « officielle » comme de la « souterraine » – le pape ne serait jamais parvenu à cet accord. En Chine, les deux communautés ecclésiales sont profondément divisées concernant la collaboration et le dialogue avec le gouvernement communiste, tout en rendant, chacune à sa façon, un témoignage crucial de fidélité à Rome. Le conflit de la communauté souterraine avec le gouvernement concerne surtout son unité affichée envers Rome. Ce double témoignage était clair pour tous en Chine. Cela a donc amené les autorités civiles à reconnaître le pape comme chef de l’Église universelle, de sorte que désormais, le pape obtient le droit de nommer des évêques avec l’accord du gouvernement.

Fruit de longues années de négociations

Le « pape de la miséricorde » exprime, dans une lettre à la fois fraternelle et paternelle, son « admiration sincère » pour leur « témoignage de fidélité persévérante dans les épreuves, [leur] confiance inébranlable dans la Providence de Dieu, même dans des circonstances défavorables et difficiles ». Il y ajoute que leurs « expériences pénibles font partie du trésor spirituel de l’Église en Chine et du peuple de Dieu en pèlerinage » : « Ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie » (Ps 126). Le pape se montre bien conscient des doutes et des sentiments d’abandon de certains en Chine, et de leurs « attentes et espoirs pour un avenir plus serein ».
En 1998, j’avais l’honneur d’être invité au Synode des évêques d’Asie. Ouvertement, j’ai pu y dire au pape et aux 250 évêques d’Asie : « Saint Père, en ce qui concerne l’Église en République populaire de Chine, fiez-vous sans hésitation aux évêques en Chine [note : je ne faisais pas de distinction entre Église ‘officielle’ et ‘souterraine’]. Nous savons qu’ils sont tous fidèles. D’ailleurs, eux au moins connaissent la situation en Chine. Ils sont nos meilleurs conseillers ». Récemment, plus d’une fois, nous avons lu et entendu les appels des évêques en Chine, aussi bien « officiels » que « souterrains », auprès de leurs frères de l’Église universelle en dehors du pays : « De grâce, ne parlez pas en notre nom, laissez-nous parler pour nous-mêmes. » Nous avons reçu les messages de plusieurs d’entre eux. Tous soutiennent pleinement le dialogue du pape François et affirment qu’ils attendent en toute confiance l’accord mis en perspective.
Évidemment nous ne connaissons pas (encore) le texte complet, mais il est évident que l’accord est limité, aussi bien dans le temps que concernant son contenu. Il sera évalué après quelques années. En tout cas, dès maintenant, l’espoir est réel que dans un proche avenir, le pape pourra enfin, en accord avec le gouvernement, nommer des évêques dans les diocèses chinois. Deux évêques chinois sont déjà arrivés à Rome et participent au Synode des évêques. Le pape était visiblement ému quand il les accueillait pendant l’audience générale à Rome. Pour négocier cet accord, il a fallu quatre ans (de 2014 à 2018), et ce fut particulièrement difficile. Ce qui n’est pas étonnant ! Le pape François l’a dit : « C’est le résultat de négociations longues et complexes au niveau institutionnel entre le Saint-Siège et l’autorité civile chinoise. Elles ont été initiées par le saint pape Jean-Paul II et poursuivies par le pape Benoît XVI. »
Nous sommes convaincus que l’accord qui a été obtenu ne comporte pas ce que Rome et Pékin avaient en vue initialement. Les « représentants de Dieu » et « ceux de César » ont fait tous deux des concessions pour arriver à cet accord. De toute façon, vu la situation pastorale actuelle, il aurait été irresponsable de la part de l’Église de laisser la situation durer ainsi, en laissant tant de diocèses sans évêque. Le pape et son équipe ont rendu un grand service à l’Église en Chine. Et maintenant ? Il est évident que l’agenda de Rome comporte quelques défis pastoraux. Il n’est pas question de relations diplomatiques. Par contre, nous attendons que Rome et Pékin ouvrent des pourparlers pour nommer des évêques en Chine. C’est le défi le plus urgent. Mais bien d’autres points pénibles sont toujours sur la table : comment est-ce que Pékin parviendra à admettre qu’une trentaine d’évêques souterrains deviennent membres de la « Conférence épiscopale chinoise » (CCBC) ? Car sans cette admission, la CCBC ne sera jamais reconnue par le Saint-Siège. Autre question cruciale : est-ce que les autorités chinoises exigeront qu’ils doivent d’abord devenir membres de l’Association patriotique des catholiques chinois, qui par ses statuts, poursuit l’érection d’une église catholique indépendante en Chine ? Si cette condition est exigée, il y a de grandes chances que les évêques refusent. Comment cet écueil peut-il être évité ?

Un premier pas

Et comment devons-nous comprendre les mauvaises nouvelles qui nous parviennent de Chine ? Des croix sont enlevées des églises, les enfants et les jeunes ne peuvent recevoir un enseignement religieux… Est-ce là une politique officielle qui vient d’en haut, ou s’agit-il d’initiatives de magistrats locaux qui n’en font qu’à leur tête, comme on nous le prétend ? Si c’est le cas, comment les communautés locales peuvent-elles être protégées de ces initiatives ? Le pape est bien à la hauteur, car il écrit : « Nous devons initier une nouvelle forme de collaboration journalière, ouverte, entre l’autorité locale civile et ecclésiale, entre évêques, prêtres et responsables de communauté, afin que les activités pastorales se déroulent de manière ordonnée selon les attentes légitimes des fidèles et les décisions de l’autorité compétente ». En d’autres mots : laisser la place à la religion dans un État de droit.
L’accord signé est non seulement limité, mais les signataires sont également tombés d’accord pour qu’il soit provisoire. D’ici quelques années, il sera de nouveau évalué. Sage décision ! Avec la lettre du pape Benoît XVI à l’Église en Chine, cet accord et la lettre du pape François méritent une place historique dans l’histoire de l’Église en Chine. Il s’agit d’une tentative d’obtenir droit de cité pour la foi chrétienne en République populaire de Chine, officiellement athée. L’accord peut être comparé à la démarche du moine nestorien Alopen qui introduisit une demande auprès de l’empereur Taizong en 635 afin d’être accepté en Chine. Après trois ans d’examens approfondis du contenu de ses ouvrages, l’empereur accueillit la « Religion de la Lumière » en Chine. Le nestorianisme fleurit en Chine, mais seulement après avoir demandé la supervision de l’empereur. Au XIIIe siècle, le franciscain Joannes de Monte Corvino obtenait le même accord du Khan mongol et sous les mêmes conditions.
Au XVIIe siècle, Matteo Ricci et ses confrères jésuites parvinrent presque à faire accepter officiellement la foi chrétienne en Chine. Ils échouèrent à cause de la « Querelle des Rites », qui provenait de la discorde interne entre missionnaires catholiques. Plus tard, au cours du XIXe siècle, l’impérialisme des puissances occidentales a gâché les relations et devint la cause lointaine des dégâts qui perdurent, et qui furent provoqués par le Révolte des Boxers et même, plus tard, par la Révolution culturelle sous le président Mao Zedong. L’accord actuel du pape François avec Pékin n’a pas le niveau de l’accord obtenu par les Nestoriens en 635, ni de celui de Joannes de Monte Corvino, mais il constitue évidemment un premier pas sur la voie de l’obtention d’un droit de cité pour la foi chrétienne en République populaire de Chine athée. Pour atteindre ce but, nous devons apprendre à penser et à planifier non pas en années mais en décennies, voire en générations ou en siècles (ce que l’Église peut se permettre). En ce qui concerne la Chine, c’est la seule voie possible pour planifier l’avenir.

(EDA/ P. Jeroom Heyndrickx, CICM, Institut Verbiest)


CRÉDITS

Ucanews