Eglises d'Asie

À Batticaloa, la communauté catholique aux côtés des Sri Lankais appauvris par la crise économique

Publié le 24/05/2022




Depuis plusieurs mois, le Sri Lanka s’enfonce dans une crise économique sans précédent, doublée d’un large mouvement de protestation. La nation insulaire manque de produits alimentaires, de carburants, de médicaments et d’électricité. Certaines pénuries sont parfois temporairement soulagées par l’aide internationale, mais la situation quotidienne des 22 millions d’habitants du Sri Lanka s’enlise dans les difficultés provoquées par la crise économique. Dans la région de Batticaloa, à l’est du Sri Lanka, les équipes de Caritas tentent de soutenir les familles les plus touchées. Reportage.

La famille de Francis Ragel, 69 ans, au village de Jyantipuram, très affectée par la crise économique, est soutenue par quelques initiatives de Caritas.

Pour la famille de Francis Ragel, un menuisier de 69 ans, la survie se réinvente chaque matin, dans son village de Jyantipuram, près de Batticaloa, à l’est du Sri Lanka. « Grâce à Dieu, nous arrivons encore à manger, parfois en nous rationnant ou en nous débrouillant comme, par exemple, avec la collecte des noix de coco », explique cet homme. Sa famille est régulièrement proche de basculer dans la grande pauvreté. Une blessure à la main a fait perdre à Francis Ragel la possibilité d’exercer son métier, emportant la seule rentrée d’argent destinée à sa famille, alors que le mari de sa fille, autre salaire escompté, a disparu un beau jour. Depuis, avec sa femme, sa fille et son petit-fils, il ne doit sa survie qu’à l’intervention et au soutien du père Jesuthasan, qui dirige Caritas pour la région de Batticaloa et dont les bureaux sont à proximité. « Sans lui, nous ne tiendrions pas », admet Francis Ragel, alors que sa femme et sa fille ne peuvent retenir des larmes mêlant la gratitude et le poids des difficultés.

« Sous l’impact de la pandémie de Covid-19 et de la crise économique qui frappe le Sri Lanka, les villageois s’appauvrissent, et notamment dans cette région, ancienne zone de guerre », commente le père Jesuthasan. « Je suis très inquiet pour les mois à venir, car de nombreuses familles nous approchent pour demander de l’aide, en particulier de la nourriture. Les prix des denrées de base sont très élevés et la vie est paralysée par la crise économique. Ici, les villageois ont certes appris à s’endurcir par les années de guerre [qui s’est achevée en mai 2009 avec la victoire sanglante de l’armée cinghalaise face à la rébellion tamoule]. Mais la situation actuelle liée à la crise économique reste extrêmement préoccupante. »

« Les prochains mois seront les plus difficiles de nos vies »

Depuis plusieurs mois, le Sri Lanka est frappé par une faillite économique qui est sans précédent depuis l’indépendance du pays. La crise s’explique par un enchaînement de mauvaises décisions prises par les autorités, de l’interdiction des engrais chimiques à la baisse des impôts, qui ont respectivement touché le secteur agricole et appauvri les caisses de l’État. À cela s’ajoute l’impact de la pandémie de Covid-19 qui a mis à l’arrêt le secteur du tourisme, vital pour l’économie du Sri Lanka. À court de devises étrangères, le pays a dû se déclarer en défaut de paiement sur sa lourde dette extérieure. Le manque de devises se traduit également par l’impossibilité d’importer les biens nécessaires à la vie quotidienne. Et pour les produits qui parviennent à arriver dans les magasins, les prix sont décuplés.

En réaction, un large mouvement de protestation exige la démission du président Gotabaya Rajapaksa, jugé responsable de la crise. Depuis plus de 45 jours, les manifestants campent devant ses bureaux, sur l’esplanade de Galle Face, en bordure de mer, à Colombo. Plusieurs membres de sa puissante famille, qui incarne par ailleurs le nationalisme cinghalais, ont été récemment écartés du pouvoir face à la colère des manifestants, qui accusent les Rajapaksa de corruption. Mahinda Rajapaksa, le frère du président, a dû démissionner de son poste de Premier ministre le 9 mai, alors que ses partisans attaquaient des manifestants, provoquant des heurts qui ont fait 9 morts. Un nouveau Premier ministre, Rani Wickremesinghe, politicien expérimenté qui a déjà occupé cette fonction par le passé, a remplacé Mahinda Rajapaksa le 12 mai, afin de calmer les esprits et de reprendre le pays en main. « Les prochains mois seront les plus difficiles de nos vies », a-t-il néanmoins annoncé aux Sri Lankais.

Le père Jesuthasan dirige Caritas pour la région de Batticaloa, à l’est du Sri Lanka.

« L’Église est aux côtés de ceux qui souffrent »

Pour sa part, l’Église s’est rangée tôt aux côtés des manifestants. Les robes et soutanes blanches des prêtres et des religieuses sont régulièrement reconnaissables sur le site des protestations, à Colombo, et les prises de parole des représentants de l’Église sont fréquentes. « Les gens font la queue et sont dans l’incapacité d’obtenir des produits et des services essentiels », a expliqué le cardinal Malcolm Ranjith, archevêque de Colombo. « L’Église est aux côtés de ceux qui souffrent. » À Batticaloa, le père Jesuthasan a lui aussi manifesté, accompagné des représentants religieux musulmans et hindous, qui constituent la minorité tamoule dans le Nord et l’Est de l’île. « La communauté catholique est mobilisée », assure le prêtre. « À travers nos églises et un forum interreligieux, nous avons voulu exprimer notre solidarité face aux souffrances des gens en raison de la crise économique. »

Après une évaluation des besoins via le réseau bien implanté des églises locales, le père Jesuthasan a décidé de renforcer les programmes d’aide déjà en place, en donnant la priorité au domaine de la sécurité alimentaire. « Par exemple, nous avons distribué 4 000 poissons pour constituer un vivier et, cette semaine, les habitants ont pu extraire 300 kg de poissons. » La Caritas de Batticaloa prépare également de nouvelles distributions de rations alimentaires, comprenant sucre, farine et riz. Cette initiative a démarré durant la pandémie de Covid-19, avec l’approbation du siège à Colombo. « La nourriture est la demande principale, c’est dire si les gens sont dans le besoin », commente le prêtre, « et nous pensons étendre ces distributions aux deux districts d’Ampara et de Batticaloa. Certains produits, comme le lait en poudre pour les enfants, sont introuvables, et d’autres, comme le sucre, sont hors de prix », souligne-t-il.

« Ce ne sont pas seulement les pauvres qui sont touchés mais toute la population »

Le père Jesuthasan avec Francis Ragel.

La nourriture n’est pas le seul problème. « Comme il n’y a plus de carburants, ou très peu, les gens doivent prévoir plus de temps pour aller au travail, ou s’organiser pour faire des heures de queue aux stations-service, quand l’arrivée d’un camion-citerne est annoncée », poursuit le prêtre. « Cuisiner au gaz n’est plus possible, alors les gens utilisent le bois. Les coupures d’électricité paralysent aussi les activités. Même la chaleur est difficile à supporter en cette saison, quand les ventilateurs ne fonctionnent pas. » Et ce sont toutes les professions qui sont affectées. Les pêcheurs ne peuvent sortir loin en mer par manque de carburant, les ouvriers de la construction sont à l’arrêt faute de ciment, et les petits métiers nécessitant des outils électriques se retrouvent au chômage technique. « Enfin, certains médicaments manquent, dans les pharmacies et les hôpitaux, et ces pénuries menacent clairement le système de santé », ajoute le prêtre.

À Batticaloa, un groupe de catholiques a formé l’association caritative Saint Joseph Vaz afin d’aider les gens dans le besoin, dans une initiative qui a débuté durant la pandémie. Eux utilisent le réseau de 22 paroisses en zone rurale, par l’intermédiaire des prêtres qui les alertent. « Nous distribuons actuellement des fournitures scolaires aux enfants des campagnes pauvres, car les parents n’ont plus les moyens d’en acheter », explique Michele Willington, l’un des fondateurs. « Nous avons aussi organisé des cours particuliers pour soutenir les élèves. En ce moment, nous préparons des distributions alimentaires. Nous aimerions aussi pouvoir acheter des bicyclettes, qui sont chères à l’achat et sont vitales pour la mobilité des gens. » Dinesh, le président de l’association, rappelle quant à lui la difficulté du contexte : « Nous essayons de réunir des fonds privés, mais même nos donneurs locaux ont moins d’argent en raison de la crise et ils peinent à répondre à l’appel. Ce ne sont pas seulement les pauvres qui sont touchés mais toute la population. »

« À nous tous, nous arrivons encore à rentrer 25 000 roupies [65 euros] par mois pour vivre », explique Francis Ragel, le père de famille du village de Jyantipuram. « Mais c’est trop peu pour payer les cours particuliers de Malcolm, mon petit-fils. » Dans cette famille, tous les espoirs d’un avenir meilleur reposent en effet sur les épaules du jeune homme qui, à 17 ans, passe son baccalauréat, et représente la perspective d’un futur salaire. En attendant, Caritas les soutient. L’organisation est à l’origine de la construction de leur maison, de petits emplois occasionnels et, récemment, leur a fourni quelques poules et des rations alimentaires, ainsi qu’à d’autres familles pauvres du village. Et leur permet ainsi de ne pas sombrer dans la misère.

(EDA / A. R.)


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A.R.