Eglises d'Asie

À la frontière thaïlandaise, réfugiés et combattants affluent pour échapper aux frappes aériennes

Publié le 08/02/2022




Des dizaines de milliers de réfugiés ont fui les bombardements de l’armée birmane et se sont installés à la frontière thaïlandaise, en pays Karen. Le long de la rivière Moei, l’armée thaïlandaise a mis en place des camps pour accueillir les fugitifs, mais les conditions de vie y sont tellement dures que beaucoup finissent par repartir, malgré les risques côté birman.

En pays Karen le long de la rivière Moei, l’armée thaïlandaise a mis en place des camps pour accueillir plusieurs dizaines de milliers de fugitifs birmans.

Sur les rives de la Moei, le fleuve qui marque la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, des familles épuisées s’abritent sous des bâches en plastique, tendues par des bambous. Au moins 10 000 déplacés de l’intérieur du pays, majoritairement des Karens, l’une des nombreuses ethnies de Birmanie, ont afflué ces dernières semaines dans l’État Kayin, côté birman, pour échapper aux frappes aériennes et aux tirs d’artillerie de l’armée.

« On a entendu les avions arriver un matin », raconte une jeune mère de quatre enfants, du village de Htee Htaw Talay, un nouveau-né accroché à son sein. « Tout le monde s’est mis à crier, à courir. J’ai rassemblé mes enfants et on a couru aussi. D’ici aussi, on entend les bombardements, mais d’un peu plus loin, c’est plus sûr. » Beaucoup ont passé des jours, voire des semaines dans la jungle avant de parvenir jusqu’à la frontière.

Depuis le mois de mars dernier, plusieurs groupes armés karens ont repris les combats contre la Tatmadaw, l’armée birmane, et revendiquent la mort de centaines de leurs soldats. Alors, depuis le mois de décembre, l’armée birmane préfère employer les frappes aériennes ciblées sur les villages soupçonnés d’abriter des combattants rebelles. « Les Birmans ne veulent plus de combat terrestre contre les Karens, qui connaissant mieux la jungle », affirme Saw Taw Nee, en charge des Affaires étrangères de l’Union Karen Nationale (KNU). « Dorénavant ils utilisent les frappes aériennes, pour tuer sans distinction, raser les villages, nous éradiquer. »

« Les routes sont de plus en plus dangereuses »

La volatilité du conflit, ces dernières semaines, brouille les repères : « Ici, on considérait que c’était le territoire de la DKBA [L’Armée Karen Démocratique Bouddhiste] », explique un septuagénaire réfugié au village de Wa Lay, dans l’État Kayin, côté birman. « Mais en ce moment, on ne sait plus… Les soldats birmans bombardent, s’installent, repartent… Les lignes bougent. » Les villageois de la frontière affirment entendre l’artillerie plusieurs jours par semaine. « Les routes sont de plus en plus dangereuses », poursuit-il. « Quand on tombe sur un checkpoint, on n’est pas sûr du groupe auquel on va avoir affaire. Beaucoup de déplacés préfèrent rester dans la forêt. »

De la même façon, les jeux d’alliance sont flous. La DKBA, auparavant accusée de collaborer avec l’armée birmane, est aujourd’hui prise pour cible de raids aériens ; la presse karen et les villageois affirment qu’une collaboration inédite avec la KNLA-KNU (l’Armée de Libération Nationale Karen, à majorité chrétienne) se met en place dans certains territoires.

La plupart des réfugiés n’osent pas traverser la frontière vers la Thaïlande, de peur que l’armée thaïlandaise ne les arrête et ne les place dans des lieux pour accueillir les fugitifs qui ont vu le jour ces dernières semaines. Il s’agit en réalité plutôt de terrains vagues que de véritables camps : pas de toilettes, pas d’électricité et la rivière comme seul accès à l’eau.

Ces espaces fonctionnent sur le principe du « no man’s land » : depuis ces camps, sous contrôle des soldats thaïlandais, qui distribuent des produits de première nécessité aux réfugiés, il est possible de rejoindre librement la Birmanie, sans contrôle. En revanche, impossible d’en sortir pour circuler en Thaïlande : des check-points ont été installés sur toutes les routes autour du camp côté thaïlandais. Ces derniers jours, des centaines de réfugiés ont préféré regagner le territoire birman, malgré les risques de bombardement, à cause des « conditions de vie insupportables » dans les camps thaïlandais, selon la presse locale.

En réalité, ces espaces sont plutôt des terrains vagues que des véritables camps : ni toilettes, ni d’électricité et la rivière comme seul accès à l’eau.

« Nous opérons dans des circonstances très difficiles »

Parmi les PDF (People’s Defense Force), des groupes de jeunes birmans venus des villes pour s’entraîner à la résistance armée auprès des armées ethniques, certains parviennent à passer clandestinement la frontière pour se réfugier dans des zones périurbaines thaïlandaises. Dans une petite maison de l’une de ces zones anonymes, cohabitent « Neo », un jeune restaurateur de Rangoun, « Lady Gaga », une couturière karen de Myawaddy, trois autres jeunes et leur instructeur militaire.

Ils étaient venus plein d’enthousiasme, de toute la Birmanie, pour unir leurs forces à celles de l’armée Karen contre la junte. Mais ils se sont très vite heurtés à la réalité économique des guérillas. « Il n’y avait pas assez d’uniformes pour tout le monde, pas de chaussures, ni de chaussettes, et à peine assez de nourriture », raconte Neo. « De la viande, on n’en a pas mangé pendant six semaines à part une grenouille. » Sans parler des ressources militaires : « On disposait de sept fusils pour 40 personnes. Chaque stagiaire avait le droit de tirer deux balles pendant toute la durée de l’entraînement, qui devait durer trois mois. » Mais au bout de six semaines, les tirs de l’armée birmane sur leur base ont commencé. « On a dû fuir », avoue Néo, « Comment était-on censé se battre, sans armes ? »

Ils ne cachent pas leur déception à l’égard du NUG (gouvernement d’opposition en exil), qui a reçu des donations de la part de la diaspora birmane, et qui avait promis de soutenir les mouvements PDF partout dans le pays. « Ils ont le droit d’être déçus », tempère Maw Htun Aung, ministre délégué à l’Énergie, « mais nous opérons dans des circonstances très difficiles ». « Sans légitimité internationale, impossible de mettre en place une aide humanitaire, d’acheter des armes ou d’apporter toute forme d’aide nécessaire à ces jeunes combattants sur le terrain. »

Il pose la question de la position des pays occidentaux « qui saluent le courage des Birmans » mais n’entreprennent « aucune action concrète » pour leur venir en aide. Depuis des mois, les représentants du gouvernement civil birman en exil multiplient les rencontres et les contacts avec des institutions occidentales, mais aucun gouvernement n’a encore fait la démarche de reconnaître le NUG comme gouvernement légitime de la Birmanie.

(EDA / Carol Isoux)


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Carol Isoux