Eglises d'Asie

Anima Mukti Gomes, l’unique députée issue de la minorité chrétienne

Publié le 16/03/2024




Chanteuse de carrière et écrivaine réputée, Anima Mukti Gomes s’est vue octroyer un siège de député parmi les 50 sièges réservés aux femmes dans le Parlement bangladais. Elle est ainsi la seule femme chrétienne représentée au sein du Parlement, aux lendemains du scrutin controversé du 7 janvier qui a donné un quatrième mandat consécutif à la Première ministre Sheikh Hasina, au pouvoir depuis 2008. C’est en sa présence qu’Anima Mukti a prêté serment le 28 février pour prendre ses nouvelles fonctions de députée.

Durant les élections du 7 janvier au Bangladesh, la chanteuse et écrivaine Anima Mukti Gomes a été élue au sein du Parlement où elle est la seule chrétienne.

Dans un effort de « discrimination positive » visant à l’émancipation des femmes et à l’égalité des droits, des Bangladaises se sont vues attribuer cinquante sièges réservés aux femmes au sein du nouveau Parlement. Ces candidates se présentaient sans opposants et ont accédé d’emblée à leur poste le 28 février, dans une attribution de ces sièges qui s’apparentent davantage à des nominations qu’à des élections.

Quarante-huit d’entre elles sont sous les couleurs de la Ligue Awami, le grand parti de la Première ministre Sheikh Hasina, sorti victorieux du scrutin législatif qui s’est déroulé le 7 janvier. Parmi ces femmes se distinguent le profil d’Anima Mukti Gomes, rattachée à la paroisse d’Hasnabad, à Dhaka, qui représente ainsi la seule chrétienne siégeant au Parlement.

Les élections du 7 janvier dernier restent entachées de controverses. À 76 ans, la Première ministre Sheikh Hasina a remporté haut la main un cinquième mandat, le scrutin ayant été boycotté par le BNP (Parti nationaliste du Bangladesh), le principal parti d’opposition. Ce dernier a dénoncé un « simulacre d’élection ». Anticipant des fraudes, le BNP exigeait la tenue d’un gouvernement intérimaire pour garantir la neutralité de l’exercice et en superviser le déroulement.

La dame de fer du Bangladesh s’y est refusée. Face aux protestations de rue, son gouvernement a procédé à des arrestations massives au cours de ces derniers mois, neutralisant les principaux partis d’opposition et leurs leaders. Ainsi, la Ligue Awami n’avait pratiquement pas d’adversaires lors du scrutin et, dans le but de crédibiliser le processus électoral, n’a pas présenté de candidats dans certaines circonscriptions afin d’éviter l’embarras de remporter la totalité des sièges.

« Les gens pourront reconnaître que je suis chrétienne »

Dans ce contexte, le parti de Sheikh Hasina a raflé plus de trois quarts des sièges, soit 223 des 300 sièges du Parlement monocaméral. La Première ministre continue à incarner une image contrastée. Elle est créditée d’avoir conduit son pays, autrefois décimé par une extrême pauvreté, sur la voie de la croissance et des progrès économiques. Mais au fil des ans, son régime n’a cessé de se durcir et est accusé de graves violations des droits humains, auxquelles se greffe une chasse implacable aux opposants politiques.

Les 50 sièges réservés aux femmes portent à 350 le nombre de députés au Parlement, selon le 15e amendement de la Constitution du Bangladesh. Proportionnellement à ses gains électoraux, la Ligue Awami de Sheikh Hasina a sélectionné 48 femmes, dont la chrétienne Anima Mukti. « J’aimerais exprimer mes remerciements et ma gratitude envers la Première ministre Sheikh Hasina qui m’a sélectionnée, a déclaré, le jour de son investiture, la chrétienne Anima Mukti Gomes au site d’informations AsiaNews. Je serai à la hauteur de la confiance qu’elle m’a donnée et je ferai mon travail du mieux possible. »

Le nom de cette nouvelle députée n’est pas inconnu au Bangladesh. Anima Mukti Gomes est auréolée d’une brillante carrière de chanteuse. Elle a sorti sept albums, s’est produite sur les plus grandes scènes du pays, a été récompensée par de nombreux prix et est une habituée des émissions télévisées. Elle est également écrivaine et compte à son actif neuf recueils de nouvelles et de poésies.

Lors de son investiture, Anima Mukti Gomes a revendiqué son identité religieuse. « Je vais mettre en pratique l’enseignement et les valeurs chrétiennes », a-t-elle déclaré à AsiaNews, soulignant notamment l’importance de l’honnêteté tout au long de sa carrière. « Je mettrai en pratique les idéaux de Jésus Christ dans mon travail et les gens pourront reconnaître que je suis chrétienne. »

L’Église se distingue par son engagement éducatif, médical, sanitaire et juridique

Au Bangladesh, la minorité chrétienne, majoritairement catholique, ne représente que 0,3 % d’une population principalement de confession musulmane, dans le huitième pays le plus peuplé de la planète. Dans un contexte de catastrophes naturelles et de pauvreté, l’Église se distingue néanmoins par son engagement dans les domaines éducatifs, médicaux, sanitaires et juridiques. Mais la petite minorité chrétienne n’est pas exempte d’attaques ciblées, selon les rapports des droits humains. Le Bangladesh est classé à la trentième position de l’Index Mondial de Persécution des Chrétiens.

Les efforts visant à inclure les femmes au sein du Parlement ont été relativisés par la presse bangladaise. En 2008, le manifeste de la Ligue Awami promettait de réserver 33 % des sièges aux femmes, rappelle ainsi le grand quotidien national The Daily Star. Lors du scrutin du 7 janvier, seules 22 femmes ont été élues au suffrage direct, auxquelles se joignent les 50 sièges réservés, ne totalisant que 20,7 % des sièges.

Si le Bangladesh est dirigé par Sheikh Hasina, et avant elle par une autre femme, Khaleda Zia, la représentation des femmes en politique laisse encore à désirer, bien qu’elle devance par ailleurs d’autres pays voisins comme l’Inde. Au Bangladesh, les femmes politiques qui réussissent à s’imposer sont souvent portées par l’influence de leurs familles déjà impliquées en politique.

Le quotidien The Daily Star déplore que « le vote public ne soit pas concerné par les élections des députés des sièges réservés », attribués par les 300 députés déjà élus. « Cinquante sièges sur 350 n’est pas une représentation équitable des femmes et reflète un geste symbolique et politique, comme s’il s’agissait d’une faveur accordée aux femmes de la part des grands dirigeants du parti. »

(EDA / Antoine Buffi)