Eglises d'Asie

Après les élections générales, les négociations entre partis battent leur plein

Publié le 02/04/2019




Une semaine après les élections législatives du 24 mars en Thaïlande, les deux grandes formations politiques – le parti Pheu Thai, qui s’oppose à la junte au pouvoir et soutient l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, et le parti pro-junte Palang Pracharat – sont entrées en négociation avec d’autres partis pour former des coalitions, en vue de rassembler une majorité de sièges à l’Assemblée nationale. Cette majorité ne permettra pas à ces coalitions de former un gouvernement – car le Sénat, entièrement nommé par l’armée, joue un rôle prépondérant dans ce processus –, mais plutôt d’affirmer leur légitimité démocratique. Cette légitimité sera un argument de poids durant les prochains mois, qui promettent d’être houleux.

Le parti Pheu Thai (« Pour les Thaïlandais ») a obtenu le plus grand nombre de sièges (137 sur les 500 sièges que compte l’Assemblée nationale), et il a été le plus rapide à rallier à sa cause six autres partis et à former une coalition disposant de 253 sièges. Parmi ceux-ci, figure le parti Future Foward (ou Anakhot Mai) dirigé par le jeune et charismatique homme d’affaires Thanathorn. Ce parti, qui ne comporte que des néophytes en politique, a fait une percée spectaculaire lors du scrutin du 24 mars, notamment à Bangkok mais aussi dans le nord et l’est du pays, en remportant pas moins de 87 sièges. Sa plate-forme, très idéologique et exigeant une réforme de la Constitution – rédigée sous la supervision de la junte – et la mise sous contrôle du gouvernement civil de l’appareil militaire, a séduit la jeunesse et tous ceux qui sont lassés après les cinq années de gouvernement militaire dirigé par le général Prayut Chan-ocha, qui avait renversé le gouvernement pro-Thaksin en mai 2014. Lorsque le vote des deux assemblées interviendra pour désigner le chef du gouvernement, entre fin mai et début juin, cette coalition devrait nommer Sudarat Keyuraphan, leader du Pheu Thai, pour le poste de Premier ministre.

Le parti pro-junte Palang Pracharat, qui a obtenu 118 sièges lors du scrutin (mais qui a gagné le vote populaire avec 8 400 000 bulletins en sa faveur), est aussi en train de négocier pour former sa propre coalition, même s’il se montre beaucoup plus discret que le Pheu Thai sur ses partenaires potentiels. Les petits partis, qui sont les alliés les plus naturels du Palang Pracharat, devraient lui permettre de former une coalition regroupant environ 200 sièges. Un parti fait figure de parti pivot : le parti Bhumjaithai, un parti « opportuniste », sans idéologie et qui a mené campagne notamment sur le thème de la légalisation du cannabis. Le parti Bhumjaithai a obtenu 52 sièges. S’il rejoignait la coalition du Palang Pracharat, les coalitions pro-junte et anti-junte compteraient environ le même nombre de sièges.

Déséquilibre démocratique et dérapages électoraux

Ce n’est que vers fin mai – début juin, après la cérémonie de couronnement du nouveau roi Vajiralongkorn, qu’un vote à la majorité absolue des deux assemblées interviendra sur le choix du Premier ministre, parmi les candidats nommés par les différents partis. Le Sénat de 250 membres étant entièrement nommé par les militaires, il paraît d’ores et déjà presque acquis que le candidat du Palang Pracharat au poste de Premier ministre – le chef de la junte et Premier ministre actuel Prayut – sera élu grâce au soutien du Sénat : il ne lui faudra en effet qu’un minimum de 126 voix au sein de l’Assemblée nationale pour compléter les voix de la Chambre haute. Un résultat facile à acquérir pour le parti Palang Pracharat et ses alliés. En revanche, on ne voit pas comment la coalition formée autour du parti anti-junte Pheu Thai pourrait obtenir les 376 voix nécessaires pour que sa candidate, Sukarat Keyuraphan, soit élue au poste de Premier ministre.

C’est dans ce cadre que le nombre de sièges contrôlés par chaque coalition et que la « légitimité démocratique » qui en découle interviennent. Un gouvernement dirigé par le Premier ministre Prayut Chan-ocha, appuyé par une coalition minoritaire à l’Assemblée nationale, serait conforme aux règles de la Constitution, mais manquerait de légitimité démocratique. Si le parti pivot Bhumjaithai rejoignait la coalition formée autour du Pheu Thai, cette situation serait encore plus nette : avec une opposition contrôlant environ 300 sièges à l’Assemblée nationale, le gouvernement dirigé par Prayut serait très fragile et aurait bien du mal à faire voter ses lois. Pour l’instant toutefois, le Bhumjaithai n’a donné aucune indication sur sa future stratégie.

Parallèlement, la pression monte à l’encontre de la commission électorale – en charge de l’organisation et de la supervision du scrutin – en raison des nombreux dérapages qui sont intervenus. Il lui est notamment reproché d’avoir déclaré, le soir du scrutin, que le taux de participation était de 66 % avant de rectifier quelques jours plus tard pour annoncer un taux de 74,7 % (soit une différence de 4,5 millions d’électeurs). Dans certaines circonscriptions, des divergences entre le nombre d’électeurs qui ont voté et le nombre – très supérieur – de votes exprimés ont aussi été signalées. Une pétition en ligne a été lancée pour demander la destitution de la commission électorale ; au 30 mars, elle avait été signée par près de 900 000 personnes.

(EDA / A. D.)

Crédit : ITU Pictures / CC BY 2.0