Eglises d'Asie

Attirer les réfugiées Rohingyas en Malaisie, un trafic lucratif

Publié le 28/02/2019




Début février, les douanes bangladaises ont arrêté plus d’une centaine de réfugiés Rohingyas tentant de franchir la frontière en bateau vers la Malaisie. Selon les autorités, la majorité d’entre eux sont âgés entre 17 et 25 ans, dont une majorité de femmes. Celles-ci cherchent souvent à se marier avec des hommes Rohingyas se trouvant déjà en Malaisie et à trouver une situation sur place, afin d’aider leurs familles vivant dans les camps de Cox’s Bazar. James Gomes, directeur régional de la Caritas bangladaise, appelle à sensibiliser davantage les réfugiés afin d’éviter les abus.

Tahmina Begum et sa famille menaient une vie relativement aisée dans leur ville de Maungdaw, en Birmanie dans l’État d’Arakan (Rakhine), avant la répression militaire contre la minorité musulmane Roghingya. « Nous avions une exploitation piscicole et les revenus étaient suffisamment bons pour une vie de famille heureuse ; mais tout ça a disparu depuis », raconte Tahmina, 20 ans, une réfugiée du camp Kutupalong de Cox’s Bazar, au sud du Bangladesh. Elle s’est enfuie avec ses parents et ses deux frères fin décembre 2017 pour rejoindre les réfugiés des camps bangladais, qui sont aujourd’hui plus d’un million. La famille s’est installée dans un camp où ils survivent avec l’aide des ONG et du gouvernement bangladais. En tant qu’aînée, Tahmina voulait faire quelque chose pour alléger les difficultés financières de sa famille. « J’ai rencontré ici un homme qui a fui en bateau vers la Malaisie il y a quatre mois. Nous sommes restés en contact et il veut que je le rejoigne pour que nous puissions nous marier. Il m’a envoyé 20 000 takas [238 dollars] pour les frais du voyage », explique-t-elle. Au début, ses parents n’étaient pas d’accord, mais ils ont fini par accepter pour des raisons financières. « Si je me marie avec un homme vivant dans le camp, ma famille doit payer une dot selon la coutume », ajoute-t-elle. « Mais ce n’est pas nécessaire en Malaisie. De plus, je peux aider ma famille si je trouve un travail là-bas. » Début février, Tahmina a rejoint un groupe de trente personnes, dont vingt femmes, en versant de l’argent à des passeurs afin d’entreprendre un voyage risqué en bateau vers la Malaisie via le Golfe du Bengale. Mais le groupe n’a pas eu de chance. Les douanes bangladaises ont arrêté le bateau et renvoyé les passagers vers les camps. L’expérience vécue par Tahmina est de plus en plus fréquente parmi les réfugiés Rohingyas. Selon les douanes bangladaises, la plupart de la centaine de réfugiés qui ont été arrêtés le long de la frontière le mois dernier sont âgés entre 17 et 25 ans.

Échapper à la pauvreté des camps

Le lieutenant-colonel Asdud Zaman Chowdhury, commandant d’un bataillon de douaniers bangladais, confie qu’il y a eu une hausse soudaine du nombre de femmes cherchant à rejoindre la Malaisie par la voie maritime, réputée dangereuse. Pour cette raison, le nombre de patrouilles surveillant les frontières a augmenté. « Nous avons arrêté davantage de trafiquants également », ajoute-t-il. Muhammad Abul Kalam, chef d’une communauté Rohingya du camp de réfugiés de Balukhali, explique qu’une organisation cherche à attirer les femmes Rohingyas en Malaisie depuis plusieurs camps bangladais. « J’ai appris qu’un groupe de passeurs travaille dans les camps clandestinement afin de convaincre les femmes de se rendre en Malaisie pour aller se marier avec des hommes Rohingyas se trouvant déjà sur place. Elles cherchent ainsi à échapper à la pauvreté des camps et à aider leurs familles. » C’est un trafic lucratif pour les passeurs, selon James Gomes, directeur régional de la Caritas bangladaise. « C’est vrai que la vie des Rohingyas dans les camps est misérable, et ils font tout ce qu’ils peuvent pour saisir toutes les alternatives qui peuvent se présenter, même si elles sont illégales », explique James Gomes, qui ajoute que même si le renforcement des patrouilles peut permettre d’éviter certains abus, les organisations d’aide doivent lancer des campagnes de sensibilisation auprès des réfugiés.

Les musulmans Rohingyas ont vécu en Birmanie depuis plusieurs siècles, mais les gouvernements successifs ont tous nié leur citoyenneté et leurs droits fondamentaux. Une grande partie de la majorité bouddhiste birmane les considère comme des immigrants illégaux venus du Bangladesh. Suite aux persécutions des bouddhistes extrémistes et des militaires, les Rohingyas ont commencé à se réfugier au Bangladesh dès les années 1970. La communauté internationale s’est peu intéressée à leur sort jusqu’en 2012, quand les violences ont éclaté dans l’État d’Arakan. En 2015, des milliers de Rohingyas et de Bangladais ayant emprunté les bateaux des trafiquants ont été laissés à l’abandon, dérivant en mer d’Andaman. La crise est survenue peu après la découverte d’un charnier de victimes de la traite des personnes, près de la frontière entre la Malaisie et la Thaïlande, et après une nouvelle tentative de répression de la traite des personnes par les gouvernements malais et thaïlandais. Les deux répressions militaires birmanes de 2016 et 2017, en réponse aux attaques de militants Rohingyas contre les forces de l’ordre, ont ensuite déclenché l’exode de près de 750 000 Rohingyas au Bangladesh, rejoignant les quelque 300 000 réfugiés qui s’y trouvaient déjà.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews