Eglises d'Asie

Bangkok : arrestation controversée d’une militante transgenre malaisienne réfugiée en Thaïlande

Publié le 23/09/2021




Nur Sajat Kamaruzzaman, une militante transgenre de 36 ans réfugiée en Thaïlande, risque d’être expulsée vers la Malaisie voisine. Recherchée dans son pays, elle risque plusieurs années de prison ferme. Des associations de défense des droits exhortent les autorités thaïlandaises à lui accorder un titre de séjour pour raisons humanitaires. L’affaire vient rappeler des attitudes très différentes sur la question des libertés individuelles et des thématiques de genre entre les deux voisins sud-est asiatiques.

Les autorités thaïlandaises ont procédé à l’arrestation controversée d’une militante transgenre malaisienne, recherchée dans son pays à majorité musulmane pour dénigrement de l’Islam.

Nur Sajat Kamaruzzaman, une femme transgenre de 36 ans, star des réseaux sociaux et dirigeante d’une entreprise de produits cosmétiques, risque d’être expulsée vers la Malaisie voisine, où elle risque plusieurs années de prison.

« Des efforts sont faits pour ramener la suspecte », a déclaré un officier de police malaisien à la presse le 20 septembre.

Nur Sajat, dont le nom de naissance est Muhammad Sajjad Kamaruz Zaman, est accusée d’avoir violé la charia en Malaisie en portant des vêtements féminins lors d’un événement religieux en 2018. Elle doit être entendue par un tribunal islamique. La Malaisie a un double système judiciaire, les lois islamiques s’appliquant aux citoyens musulmans pour les questions relatives aux mœurs, au droit de la famille et du mariage, en plus des lois civiles qui valent pour tous les citoyens.

Si reconnue coupable, Nur Sajat, risque trois ans de prison. La Malaisie, pays conservateur à majorité musulmane, applique des lois discriminatoires à l’égard des membres de la communauté LGBT, qui sont régulièrement victimes de harcèlement de la part des autorités.

Nur Sajat milite pour les droits des personnes transgenres en Malaisie. Après avoir manqué une audience du tribunal en février dernier, elle avait disparu et passé la frontière thaïlandaise. Les autorités malaisiennes ont alors lancé un mandat d’arrêt à son encontre.

« Je crains pour sa sécurité »

L’affaire vient rappeler des attitudes très différentes sur la question des libertés individuelles et des thématiques de genre entre les deux voisins sud-est asiatiques. Les personnes transgenres et transsexuelles peuvent vivre sans se cacher en Thaïlande, pays à majorité bouddhiste, contrairement à la Malaisie. Cette arrestation a suscité de vives inquiétudes et des témoignages de solidarité chez les militants transgenres thaïlandais.

« Les transgenres peuvent vivre sans être inquiétés en Thaïlande, mais ils ne peuvent pas le faire en Malaisie », déclare sous couvert d’anonymat, une femme transgenre musulmane basée à Bangkok et originaire de la province thaïlandaise de Pattani, à majorité musulmane. « Je crains pour sa sécurité si elle est renvoyée en Malaisie et condamnée à la prison là-bas ».

Des militants transgenres malaisiens ont exprimé des sentiments similaires à la suite de l’arrestation de Nur Sajat. Thilaga Sulathireh, cofondatrice du groupe malaisien de militants transgenres Justice for Sisters, dénonce « le harcèlement de Nur Sajat, qui illustre bien le climat de répression contre les personnes LGBT en Malaisie ». La militante a appelé la police malaisienne à « abandonner immédiatement toutes les poursuites contre Sajat ».

Depuis plusieurs années, des organisations internationales appellent les autorités malaisiennes à respecter les droits des personnes transgenres.

« Les autorités devraient cesser de se préoccuper de la tenue vestimentaire des citoyens, une obsession qui a entraîné des dizaines, voire des centaines d’arrestations récentes en vertu des lois islamiques qui criminalisent le fait qu’une personne de sexe masculin se fasse passer pour une personne de sexe féminin », a déclaré Neela Ghoshal, directrice associée du programme sur les droits des personnes LGBT de Human Rights Watch.

À Bangkok, les autorités exhortées à ne pas déporter Sajat

Selon une étude réalisée en 2019 par SUHAKAM, la commission des droits de l’homme de Malaisie, pas moins de 57 % des transgenres vivant à Kuala Lumpur et Selangor avaient subi diverses formes de discrimination, comme le refus d’un emploi, d’un logement ou de soins de santé, parce que leur expression de genre ne correspondait pas au sexe de naissance figurant sur leur carte d’identité.

Human Rights Watch a appelé les autorités malaisiennes à offrir une protection juridique aux personnes transgenres en leur permettant de modifier leur genre sur les cartes d’identité.

Mais la loi islamique, la charia, dont les principes sont suivis par la communauté musulmane conservatrice malaise, ne reconnaît pas les identités transgenres. En juillet, un groupe de travail du parlement malaisien a proposé des amendements législatifs afin que les utilisateurs de réseaux sociaux puissent être poursuivis pour avoir insulté l’islam « en faisant la promotion du mode de vie LGBT ».

« Nous avons constaté que certains utilisateurs ont téléchargé des statuts et des graphiques insultant l’islam sur les réseaux, dans leurs efforts pour promouvoir le mode de vie LGBT », a déclaré Ahmad Marzuk Shaary, vice-ministre chargé des affaires religieuses.

À Bangkok, des groupes militants ont exhorté les autorités thaïlandaises à ne pas déporter Sajat en vertu des normes internationales. « Les poursuites engagées en Malaisie sont fondées sur son identité de genre, il y a donc une base solide pour lui accorder le statut de réfugiée », a déclaré Sunai Phasuk, de l’organisation Human Rights Watch.

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères thaïlandais, Tanee Sangrat, a déclaré que le gouvernement « examinait le dossier sur la base de la loi et des principes humanitaires de la Thaïlande ».

(Avec Ucanews)