Eglises d'Asie – Thaïlande
Bangkok : réduits au désespoir face au confinement, les plus démunis espèrent reprendre le travail
Publié le 05/05/2020
« Cela fait un mois que je ne bois que de l’eau chaude » raconte Jay, un jeune musicien qui travaillait dans une guest-house du centre de Bangkok, avant les fermetures massives. Depuis, il est à la rue, sans aucun revenu. Pour boire de l’eau potable, il profite des distributeurs d’eau bouillante dans les supérettes. Pour se nourrir, il se rend auprès des distributions gratuites de nourriture qui sont maintenant organisées tous les jours dans de nombreux quartiers de la capitale. Tous les après-midis, dans le quartier historique de Rattanakosin, sous un soleil de plomb, de longues files de silhouettes masquées attendent patiemment que les volontaires déchargent les camions. Dans les sacs en plastique, un paquet de chips, un sachet de riz gluant, un carton de lait et une bouteille d’eau. Quelques policiers s’assurent que tout se déroule dans le calme et incitent – en vain – à travers un haut-parleur à respecter les distances de sécurité. Beaucoup portent des casquettes, tout le monde baisse la tête, par honte et par crainte de reconnaître des amis ou des voisins dans la foule des nécessiteux.
« Les Thaïlandais modestes souffrent de la faim »
« Tous les jours, on voit arriver plusieurs centaines de personnes supplémentaires », raconte une des volontaires. « En ce moment, les Thaïlandais modestes souffrent réellement de la faim. » En l’absence de réels services sociaux publics, ces distributions sont le fait d’initiatives privées, de familles locales aisées qui souhaitent apporter leur contribution, ou de temples impliqués dans la vie sociale d’un quartier. Il y a quelques jours, à Pattaya, une cité balnéaire vivant essentiellement du tourisme, une distribution semblable de petits déjeuners a créé un attroupement de plusieurs milliers de personnes dès 4h du matin. Le gouvernement vient donc de les interdire au nom des risques de contamination et invite les donateurs à s’adresser directement aux autorités locales pour qu’elles apportent un soutien logistique. Les bénéficiaires de ces distributions ne sont pas, pour la plupart, des habitués de la mendicité, mais de simples travailleurs du secteur informel, souvent liés au tourisme : des chauffeurs de taxi, des vendeurs de rue et du personnel hôtelier. « J’ai beau essayer de continuer de travailler, je passe des heures dans la rue, et je ne gagne qu’un à deux euros par jour maximum », raconte un chauffeur de tuktuk (petit véhicule trois-roues ouvert) d’une soixantaine d’années. Un peu plus loin, installés sur des trottoirs, certains tentent de vendre leurs effets personnels pour se faire un peu d’argent : des chaussures usagées, des vêtements d’enfants, des ventilateurs poussiéreux. Une dame presque octogénaire pousse un charriot. Comme elle n’a rien à vendre, elle propose de collecter les objets des autres, de les vendre un peu plus loin dans d’autres quartiers, et de garder une misérable commission. Le soir, ceux qui n’ont plus de toit déroulent des nattes et se cachent pour dormir dans des ruelles discrètes : un couvre-feu a été instauré entre 22 heures et 4 heures du matin, et des sans-abris ont été verbalisés à Chiang Mai, dans le nord du pays.
« Je suis prête à tout »
La vie nocturne est au point mort à Bangkok. Les restaurants, bars et autres lieux de divertissements sont fermés, y compris les fameux « quartiers rouges », qui sont pourtant restés ouverts pendant les émeutes et les coups d’État qui ont récemment traversé le pays. Invisibles le jour mais pourtant bien réelles, les centaines de milliers de prostituées du royaume font aujourd’hui partie des populations les plus fragilisées, car elles ne bénéficient d’aucune aide gouvernementale. Autre groupe particulièrement vulnérable, les millions de travailleurs migrants, Birmans, Cambodgiens et Laotiens, qui n’ont pas pu ou pas voulu rentrer chez eux avant la fermeture des frontières. Sur les sites d’annonces d’emploi, le désespoir se lit ; beaucoup sont prêts à travailler presque gratuitement en échange d’un toit et de nourriture. « Je suis prête à tout, je peux tout faire », écrit fébrilement Sothea Ly, une jeune Cambodgienne à la recherche d’heures de ménage. À bout, certains n’envisagent plus d’autre issue que la mort. Une quarantaine de suicides directement liés à la situation économique a été enregistrée depuis le mois de mars – contre une cinquantaine de morts du Covid-19. Soit un taux en hausse d’au moins 10 %, selon les associations, par rapport à la moyenne habituelle, qui est pourtant déjà la plus élevée de la région Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est).
Une mère qui ne parvenait plus à nourrir ses deux enfants en vendant des yaourts en porte-à-porte, un chauffeur de taxi qui venait de se voir refuser l’aide gouvernementale de 120 euros aux plus pauvres, le propriétaire d’un petit restaurant qui venait de faire un investissement important… Les services d’appels d’urgence pour les personnes en situation de détresse psychologique sont tous saturés. « Nous avons reçu plus de 600 appels ce mois-ci, contre une trentaine le mois précédent », raconte Satit Pitudecha, de la cellule de crise du ministère de la Santé. Léger adoucissement de la morosité ambiante, le gouvernement vient de lever l’interdiction stricte des ventes d’alcool, en vigueur depuis un mois. Les bars restent fermés, mais les épiceries seront à nouveau autorisées à en vendre, et les Thaïlandais à « boire chez eux » selon le nouveau décret. Alors que l’épidémie semble stagner à des niveaux très bas (moins de 3 000 cas au total, et moins de 10 nouvelles contaminations quotidiennes), de plus en plus de voix se font entendre pour remettre en question ces mesures drastiques et leurs conséquences économiques et humaines.
(EDA / Carol Isoux)
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