Eglises d'Asie

Bangladesh : la contribution des missionnaires au développement de la communauté Dalit

Publié le 01/07/2020




Alors que l’Inde compte près de 16 % de Dalits (intouchables), ces derniers ne sont qu’environ 3,5 millions au Bangladesh, soit seulement 2 % de la population sur 160 millions d’habitants. Ils y subissent les persécutions depuis des générations, non seulement de la part des hindous mais aussi des musulmans, majoritaires dans le pays. Dans le sud du Bangladesh, ils vivent concentrés dans les districts de Khulna, de Jessore et de Satkhira. « J’ai grandi en voyant ma communauté subir les discriminations », confie Milan Das, un Dalit hindou de 45 ans, reconnaissant envers l’action des missionnaires catholiques auprès des Dalits du sud du Bangladesh. « Les missionnaires nous ont offert une éducation et nous ont encouragés à élever la voix contre les injustices. »

En 2017, le père Luigi Paggi enseigne l’informatique à des indigènes Munda du district de Satkhira.

En 1988 à Chuknagar dans le district de Khulna, Milan Das, un adolescent hindou âgé de 13 ans, est entré chez un barbier avec son père pour s’y faire couper les cheveux. Avant que la coupe ne soit terminée, le propriétaire, également hindou, a commencé à les insulter avant de les expulser. La « faute » du père et de son fils était d’être Dalits (ou « intouchables »). « J’ai grandi en voyant ma communauté subir les discriminations, les abus et les injustices. Ce qui nous est arrivé ce jour-là m’a profondément choqué et marqué à vie », confie Milan Das, aujourd’hui âgé de 45 ans et père de deux enfants. Les Dalits étaient alors couramment refusés d’entrée dans les restaurants, les écoles voire les temples. Les hindous de caste supérieure et même les musulmans étaient « incommodés » par leur présence. Encore aujourd’hui, les Dalits sont souvent incinérés dans des lieux distincts des shoshan (lieux de crémation) désignés pour les hindous. En trois décennies, Milan Das a pu obtenir un diplôme supérieur et devenir un porte-parole des droits des Dalits. Il dirige aujourd’hui l’organisation Parittran (« Libération »), la première ONG locale engagée pour la promotion sociale, l’éducation et les droits des minorités Dalits. L’organisation a été fondée en 1993, après plusieurs années de mobilisations sociales menées par un petit groupe d’étudiants Dalits. Elle est devenue fortement influente pour la défense de plusieurs dizaines de milliers de Dalits exploités, notamment dans les districts de Khulna, de Jessore et de Satkhira.

Service des missionnaires auprès des Dalits

Durant des années, Parittran et d’autres organisations similaires ont appelé à voter une loi anti-discriminations afin de mettre fin à cette situation. Pourtant, rien n’aurait été possible sans l’aide des missionnaires catholiques, dont celui des prêtres xavériens (Société de saint François Xavier pour les missions étrangères). Deux xavériens – le père Luigi Paggi et le père Antonio Germano – ont permis des changements sociaux fondamentaux au service de l’éducation et de l’unité de la communauté. « Les missionnaires nous ont offert une éducation et nous ont encouragés à élever la voix contre les discriminations et les injustices, à revendiquer nos droits constitutionnels en tant que citoyens du pays » assure Milan Das. De son côté, Dipali Das, une Dalit hindoue de 43 ans, dirige la fondation DEF (Dalit Empowerment Foundation), un groupe engagé pour la défense des droits des femmes Dalits. Elle aussi se montre reconnaissante envers les pères Paggi et Germano pour avoir défendu sa communauté. « Durant des centaines d’années, nos ancêtres ont vécu et sont morts de façon inhumaine. Dieu a créé tous les hommes égaux, mais la société les a placés tout en bas de l’échelle, sans même les considérer comme des êtres humains », déplore Dipali. Elle explique que son père a fait partie des premiers chefs Dalits à avoir collaboré avec le

Harinath Das, un Dalit hindou, prépare des paniers dans son village natal de Chuknagar, dans le district de Khulna.

père Paggi, qui a travaillé avec la communauté depuis 1985. « Son engagement pour les réformes sociales de notre communauté a changé notre vie », ajoute-t-elle. Les missionnaires xavériens, depuis leur arrivée en 1895 durant le régime colonial britannique, ont également joué un rôle essentiel dans la naissance et le développement de l’Église catholique locale, dans le sud du pays. Quand le diocèse de Khulna, érigé en 1952, leur a été confié, ils ont découvert le sort des Dalits et ont pris leur défense.

Seulement 2 % de la population

Au Bangladesh, les Dalits (terme issu du sanskrit dal, signifiant écrasé, piétiné) sont également appelés Rishi (sage) par les activistes. En Inde, le Mahatma Gandhi les appelait Horijon (enfants de Hori, le dieu hindou Vishnou). Les chercheurs estiment que les Dalits représentent plus de 16 % de la population indienne, tandis qu’au Bangladesh, ils ne sont qu’environ 3,5 millions soit seulement 2 % de la population. Au sud du Bangladesh, ils sont souvent désignés par des termes méprisants désignant leurs professions traditionnelles comme methor (balayeurs), dom (fossoyeurs), chamar (tanneurs) et koiborto (pêcheurs). Ainsi, les discriminations sociales ont aggravé la pauvreté de la communauté. Milan Das estime que les districts de Khulna, de Jessore et de Satkhira comptent environ 500 000 Dalits. Grâce aux efforts des missionnaires, 80 % d’entre eux ont pu quitter leurs anciennes professions pour devenir fermiers. À l’origine, les xavériens se sont consacrés à l’éducation et à l’évangélisation des Dalits. Aujourd’hui, trois paroisses catholiques de la région – Shimulia, Satkhira et Borodol – comptent une grande majorité de fidèles Dalits, formant la moitié des catholiques du diocèse de Khulna.

Mais certains missionnaires se sont concentrés davantage sur les réformes sociales de la communauté Dalit. Ainsi, après avoir servi la paroisse de Satkhira de 1975 à 1980, le père Paggi a rejoint la mission Rishi pendant 25 ans. « Au lieu de privilégier les conversions, j’ai lancé un programme d’éducation universelle et une campagne de sensibilisation contre les divisions sociales qui piègent cette communauté depuis plusieurs siècles. J’ai essayé de les convaincre de revendiquer leurs droits en tant que citoyens », explique le prêtre, âgé de 72 ans. « Nos supérieurs n’étaient pas favorables à cette idée, et la population locale se demandait s’il s’agissait d’une nouvelle tentative de conversion. Tout ce que nous voulions, c’était leur procurer de la nourriture, un toit, un emploi et une éducation, bien avant de parler de religion. » Le père Paggi ajoute qu’il y a encore de nombreux changements requis pour poursuivre le développement chez les Dalits. En 2001, il a été relayé par le père Germano, qui a également

Milan Das affirme que les missionnaires catholiques ont fortement contribué au développement de la communauté Dalit.

lancé une nouvelle mission auprès de la communauté indigène Munda, qui vit près la forêt de mangrove des Sundarbans. « Le père Luigi Paggi a laissé des fondations solides, et je n’ai pas eu trop de mal à poursuivre la mission qu’il avait si bien lancée », confie le prêtre italien, aujourd’hui âgé de 81 ans.

Hommage d’un catéchiste

Dans les années 1980, Chuknagar a accueilli une nouvelle génération de missionnaires xavériens investis auprès des Dalits du sud du pays. Dans la région de Chuknagar-Khampur, dans le diocèse de Khulna, on compte 14 écoles catholiques dépendant de la paroisse Marie Reine des Pauvres, pour environ 700 élèves hindous, musulmans et chrétiens. La région ne compte que 300 catholiques environ. Shudhangshu Martin Das, un catéchiste de 40 ans, pense que les Dalits seraient toujours dans l’ombre si les missionnaires ne les avaient pas aidés. « Les Dalits ont vécu comme des intouchables et des animaux, mais les missionnaires nous ont donné courage et espoir, pour mieux dépasser les épreuves. Aujourd’hui, grâce à eux, beaucoup de Dalits comme moi ont fait des études et peuvent manger et vivre dignement », affirme Shudhangshu. Mais pour Mizanur Rahman, ancien président de la Commission nationale pour les droits de l’homme, la loi anti-discriminations doit encore être votée afin d’assurer leurs droits et leur dignité sociale. « Le Bangladesh est né en 1971 dans un esprit de liberté, d’égalité et de justice, mais tant que nous continuerons de maintenir de telles situations de discriminations, nous en serons toujours éloignés », souligne-t-il.

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Rozario