Eglises d'Asie

Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi affaibli par la crise arakanaise

Publié le 13/12/2016




Les tensions ne faiblissent pas dans le nord de l’Arakan depuis les attaques coordonnées contre plusieurs postes de police le 9 octobre dernier. L’armée contrôle cette région de l’ouest du pays et empêche les journalistes et les ONG d’accéder à la zone. Des milliers de musulmans rohingyas fuient. Certains se sont …

… réfugiés au Bangladesh voisin. La crise s’internationalise. Fortement critiqué, le gouvernement de la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi nie les allégations de violations des droits de l’homme et tarde à réagir.

L’armée montre ses muscles. Dans le même temps, le gouvernement pro démocratique d’Aung San Suu Kyi fait profil bas. A deux reprises en novembre, le commandant en chef des forces armées, Min Aung Hlaing, a mentionné le chapitre XI de la Constitution birmane qui autorise les militaires à prendre le pouvoir en cas de menace contre l’intégrité du pays, la solidarité nationale ou la souveraineté. Même si elles sont encadrées, ces dispositions constitutionnelles légalisent de fait le coup d’Etat.

Sur le terrain, dans le nord de l’Arakan, l’armée poursuit ses opérations, à la recherche, affirme-t-elle, de militants islamistes qui seraient soutenus par des puissances étrangères et qui seraient responsables des attaques de plusieurs postes frontières dans la nuit du 9 octobre dernier. Ces actions ont officiellement coûté la vie à près de cent personnes. D’après les Nations Unies, trente mille autres ont été déplacées. Plusieurs milliers de musulmans de l’ethnie rohingya se sont réfugiés au Bangladesh voisin. Le représentant du Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (UNHCR) à Cox’s Bazaar, une ville bangladaise proche de la frontière birmane, a décrit fin novembre les opérations militaires birmanes en cours en des termes très forts, évoquant un « nettoyage ethnique ». Il a estimé que l’armée et la police des frontières étaient « engagées dans une opération punitive collective contre la minorité rohingya ».

Vive irritation des autorités birmanes après les déclarartions du HCR

Depuis les violences ethniques et religieuses de 2012, les Rohingyas musulmans et les Arakanais bouddhistes vivent de manière complètement séparée dans l’Arakan. Cent mille musulmans sont réfugiés dans des camps. La plupart d’entre eux sont apatrides, le gouvernement birman les considérant comme des immigrés illégaux venus du Bangladesh voisin.

Dans ce contexte très tendu, les propos du représentant du HCR ont déclenché la colère des autorités birmanes. Après avoir manifesté sa déception, le porte-parole du gouvernement a affirmé que l’auteur des accusations « ferait mieux de conserver son professionnalisme et son éthique en tant que représentant des Nations Unies car ses commentaires ne sont que des allégations. Il devrait s’exprimer uniquement sur la base de preuves solides et concrètes émanant du terrain ». Le représentant birman aux Nations Unies a demandé d’urgence une réunion à Genève afin de manifester son désaccord. De son côté, le bureau de la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi a accusé plusieurs médias internationaux, dont la BBC, CNN, Chanel News Asia et Al-Jazeera de couvrir la crise arakanaise « sur la base de déclarations irresponsables faites par un membre du Haut Commissariat des Nations Unies ». Il a ajouté que le gouvernement considérait d’éventuelles suites judiciaires contre ces entreprises de presse.

Isolement du gouvernement sur la scène internationale

Ces événements et ces échanges de politesse ont isolé le gouvernement birman sur la scène internationale. Face à l’afflux de réfugiés au Bangladesh, le ministre bangladais des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur birman à Dacca pour exprimer son inquiétude. Le Premier ministre de Malaisie, où des milliers de Rohingyas sont réfugiés depuis des décennies, a qualifié de « génocide » les opérations contre la minorité musulmane dans l’Arakan. Sa déclaration est d’autant plus surprenante que les Etats du Sud-Est asiatique observent d’ordinaire une politique de non-ingérence dans les affaires des autres pays de la région. Des manifestants ont défilé dans les rues de la capitale indonésienne pour protester contre l’inaction d’Aung San Suu Kyi. Cette dernière devait se rendre en visite officielle à Djakarta du 30 novembre au 2 décembre. Elle a reporté son déplacement.

En août dernier, Aung San Suu Kyi avait repris le dossier arakanais en main, faisant même appel au Prix Nobel de la paix Kofi Annan et à plusieurs diplomates étrangers pour proposer des solutions au conflit. Les efforts qu’elle a déployés il y a quatre mois semblent aujourd’hui amoindris par sa gestion hasardeuse de la question arakanaise. A plusieurs reprises, son bureau a nié ce que la presse et les Nations Unies ont décrit après avoir interrogé des réfugiés. Elle a par ailleurs beaucoup tardé à mettre sur pied une commission d’enquête sur les violences dans l’Arakan. Cette commission, présidée par le premier vice-président birman, un ancien général, a été formée le 1er décembre dernier, soit presque deux mois après les attaques du 9 octobre. Elle comprend treize membres, dont des députés et des représentants de la police. « Cette commission ne sera efficace que si elle est indépendante, impartiale et si elle applique les droits de l’homme et ses principes, a immédiatement critiqué l’ONG Amnesty International. Les autorités birmanes doivent aussi permettre un accès total du nord de l’Arakan aux observateurs indépendants, aux journalistes et aux défenseurs des droits de l’homme. »

L’armée en embuscade

En Birmanie, où Aung San Suu Kyi est immensément respectée, seule une partie de la presse a joint sa voix au concert de critiques internationales. Dans un éditorial du 26 novembre dernier, le journal en ligne The Irrawaddy évoquait par exemple les silences de la conseillère d’Etat. Le site Internet confiait sa crainte que la situation dans l’Arakan ne devienne incontrôlable et que la présence de l’armée soit ainsi rendue indispensable.

De son côté, le commandant en chef des forces armées, Min Aung Hlaing, nie catégoriquement les accusations de violations des droits de l’homme dans l’Arakan. Ses dénégations n’ont pas déclenché de critiques très vives à son égard sur la scène internationale. Seule Aung San Suu Kyi est attaquée. Les Nations Unies maintiennent d’ailleurs la pression sur elle. L’organisation lui a demandé de se rendre dans l’Arakan pour garantir la sécurité des civils alors que l’armée y est soupçonnée de viols et d’exécutions extrajudiciaires. Pour le moment, Aung San Suu Kyi est la seule à porter la responsabilité, au niveau politique, des éventuels abus de l’armée birmane en Arakan.

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(eda/rf)