Eglises d'Asie

« Bong Natal » : les traditions portugaises d’une petite communauté chrétienne sur la côte de Malacca

Publié le 30/12/2023




Dans le sud-ouest de la Malaisie, le long de la côte de l’État de Malacca, des familles d’origine portugaise, mélangées depuis le XVIe siècle à des Malais, Indiens et Chinois, forment un groupe unique mêlant les cultures locales et européennes. Ces « Malaccans portugais » ne sont plus que 1 500, à 15 minutes de la ville de Malacca, la capitale de l’État, et poursuivent des traditions de Noël qui attirent les foules tous les ans depuis tout le pays. « La veille du Nouvel an, les lieux sont bondés et il y a des feux d’artifice », confie Marina, une résidente.

Des visiteurs avant Noël dans la localité portugaise de la côte de Malacca, dans le sud-ouest de la Malaisie.

Au moment de Noël, une petite localité sur la côte de l’État malaisien de Malacca se transforme de manière féerique. Des milliers de visiteurs arrivent tous les soirs pour observer les rues brillamment éclairées et les maisons décorées de cette ancienne colonie qui compte toujours une minorité descendante des métis portugais de Malacca, majoritairement chrétiens.

Ceux-ci parlent un ancien portugais créole appelé cristao ou papia kristang. Un grand nombre de traditions d’origine portugais y sont toujours pratiquées aujourd’hui, dans cette localité située à environ 15 minutes de voiture de la ville de Malacca, capitale de l’État du même nom, dans le sud-ouest du pays.

Des rideaux de guirlandes lumineuses multicolores recouvrent les toits et les murs des habitations, jusque dans les allées de garage et les jardins. Les arbres sont décorés de boules et cannes de Noël et autres ornements. Presque toutes les maisons comptent aussi une grande crèche de Noël, également décorée et illuminée, placée devant le palier à la vue de tous les passants. Avant les fêtes, des enfants déguisés courent joyeusement autour et les plus âgés restent assis en discutant, tandis qu’à la cuisine sont préparés des sugee cakes, cookies ou tartes à la confiture. Des chorales improvisées vont de maison en maison parmi les sept rues étroites de la localité.

Ces familles qui vivent dans 118 maisons descendent des Portugais qui ont conquis Malacca au XVIe siècle. Au fil des siècles, les Portugais se sont mariés avec des Malais, des Indiens et des Chinois. Aujourd’hui, c’est un groupe hétéroclite mélangeant de manière unique les cultures locales et européennes. Ils sont connus comme les « Malaccans portugais ». Leurs noms de famille et leur langue typiques se distinguent du reste de la population. Ils ne sont plus qu’environ 1 500 dans la localité, car beaucoup sont partis à la recherche de meilleures opportunités, ailleurs en Malaisie ou à l’étranger.

« Les foules étaient tellement denses qu’on ne pouvait pas marcher »

Cette localité portugaise sur la côte de Malacca a été fondée dans les années 1930 par des missionnaires européens, les pères Alvaro Martin Coroado (des Missions portugaises et prêtre de Saint-Pierre, l’église « portugaise » de Malacca) et Jules François (des Missions Étrangères de Paris), afin de reloger les plus pauvres dont les maisons construites sur la plage étaient menacées par la mer. L’initiative revient au père Jules François, prêtre de la paroisse de Saint-François-Xavier, l’église « française » de Malacca dès 1926. L’idée est approuvée l’année suivante par le Résident britannique Reginald Crichton, mais ce n’est qu’en 1935 que le premier résident s’installe dans le nouveau village. Les premiers pionniers étaient pêcheurs pour la plupart. Un des premiers à avoir habité les lieux, qui était lui-même pêcheur, se souvient des jours où « Bong Natal » (« Joyeux Noël » en kristang) était célébré à la mode portugaise. « Je me souviens de photos prises dans les années 1920 montrant des Portugais fêtant Noël. Il y avait un véritable arbre Casuarina décoré de ballons, de laine de coton et de papier crépon », explique-t-il.

Puis vers la fin des années 1960, les habitants de la localité ont commencé à acheter des arbres artificiels. « Les années 1970 et 1980 étaient des années prospères et beaucoup de gens commençaient à obtenir des emplois à Kuala Lumpur et Singapour. Ils avaient plus d’argent à dépenser dans les décorations et préparations de Noël », ajoute-t-il. Au fil des années, les visiteurs ont commencé à venir en masse pour visiter la communauté au moment de Noël. Le nombre de visiteurs n’a cessé d’augmenter ensuite, en particulier durant les années 1990 : « Les foules étaient tellement denses qu’on ne pouvait pas marcher. On était au coude-à-coude. »

« Nous voyons vraiment la joie et l’esprit de Noël au sein de la communauté »

Les foules sont moins nombreuses qu’avant aujourd’hui, mais on compte toujours beaucoup de monde le soir du 31 décembre. « La veille du Nouvel an, les lieux sont bondés, et il y a des feux d’artifice », explique Marina Danker, représentante nommée par le gouvernement du Comité de développement et de sécurité du village. Marina, 57 ans, vit dans sa maison familiale avec son mari. Ils ont six enfants âgés entre 22 et 35 ans. Selon elle, la communauté s’est mise d’accord pour ne commencer à décorer qu’au début de l’Avent. « En novembre, nous voulons être plus dans un climat de prière et penser aux âmes du purgatoire. »

Pour Marina, les décorations et les lumières sont une de ses plus grosses dépenses de Noël. « Nous dépensons entre 300 et 400 ringgits [entre 60 et 80 euros] par an et c’est surtout pour remplacer des décorations usées. Et tous les trois ou quatre ans, nous devons acheter d’autres illuminations », ajoute-t-elle, en précisant qu’il lui faut deux jours entiers, avec ses fils, pour tout installer. « Nos décorations ne sont pas sponsorisées. Certains les achètent, d’autres les fabriquent. Nous sommes créatifs », poursuit-elle, l’objectif étant d’embellir les lieux. « Mais nous n’oublions jamais la crèche – tout ceci est pour Jésus. »

Merina Felix, une autre résidente, estime avoir dépensé plusieurs milliers de ringgits au fil des années. « La crèche est le plus important, ainsi que les bougies de l’Avent. Nous sommes heureux de voir des gens de toutes origines en profiter », confie Merina, 62 ans. Des prêtres catholiques viennent aussi leur rendre visite et bénir les maisons. « Ils nous donnent même des cadeaux », ajoute Merina Felix.

Pour eux, cette pratique annuelle est une façon d’extérioriser leur excitation et leur joie d’accueillir le Christ. Selon les résidents, ce qu’ils attendent par-dessus tout au cours du mois de décembre, c’est de participer ensemble à la messe de minuit en communauté, dans la chapelle de l’Immaculée-Conception de la localité portugaise de Malacca, et partager des repas festifs avec leurs proches et amis : « Nous voyons vraiment la joie et l’esprit de Noël au sein de la communauté. Ce n’est pas pareil ailleurs. »

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Martin Theseira / Ucanews