Eglises d'Asie

Cambodge : la traite des personnes est toujours une réalité malgré la pandémie

Publié le 03/07/2021




Depuis février 2020, la crise sanitaire a lourdement affecté l’économie cambodgienne, et plusieurs millions de personnes, qui travaillaient auparavant dans la capitale et dans les villes principales du pays, sont retournées dans leurs villages. « Beaucoup des anciens travailleurs migrants qui se sont retrouvés sans travail, sans revenus et sans nourriture ont dû trouver des moyens de s’en sortir », explique Ou Virak, président du think tank cambodgien Future Forum, qui explique que le problème de la traite des personnes est toujours une réalité malgré la pandémie.

Une femme prie devant un moine à Phnom Penh. Selon les organisations humanitaires, les conséquences économiques de la pandémie ont exposé de nombreux Cambodgiens aux trafics.

Le Cambodge est depuis longtemps confronté au problème de la traite des êtres humains et de l’esclavage moderne. Les frontières poreuses, la culture d’impunité et la situation des plus défavorisés espérant une vie meilleure ont provoqué une aggravation du fléau depuis la fin du conflit cambodgien en 1998. Mais la situation a changé depuis le début de la crise sanitaire l’an dernier, quand les frontières du pays ont été fermées et que les vols internationaux ont été réduits au minimum. Durant les premiers mois de la pandémie, le problème de la traite des personnes s’est amélioré avant de replonger avec les conséquences économiques de la crise sanitaire, avec de nouvelles populations appauvries et poussées à la servitude. « Beaucoup des anciens travailleurs migrants qui se sont retrouvés sans travail, sans revenus et sans nourriture ont dû trouver des moyens de s’en sortir », explique Ou Virak, président du think tank cambodgien Future Forum. « Avec le franchissement des frontières devenu illégal, les gens ont été poussés à des activités professionnelles informelles et souterraines. »

Plus de 260 000 Cambodgiens, sur une population de 16,5 millions d’habitants, se sont retrouvés coincés dans des situations de quasi-esclavage avant la pandémie, selon le Global Slavery Index (Indice mondial de l’esclavage) publié par la fondation australienne Walk Free. Par ailleurs, alors que les chaînes de production et d’approvisionnement ont été bloquées en 2020, plus de 15 300 travailleurs birmans, cambodgiens et laotiens ont été arrêtés en Thaïlande depuis janvier 2021 pour entrée illégale dans le pays. Près d’un tiers d’entre eux sont venus du Cambodge, ce qui représente un problème sanitaire majeur pour les autorités locales qui continuent de lutter contre la pandémie en Indochine et en Thaïlande. Comité cambodgien de lutte contre la traite des personnes estime qu’au moins 85 affaires ont été enregistrées au cours des trois premiers mois de cette année, et près de 58 au cours de la même période l’an dernier.

Chômage et endettement

Chou Bun Eng, membre du Comité, explique qu’une centaine de personnes ont été arrêtées pour leurs liens avec ces affaires, et que des « brokers », des intermédiaires privés peu scrupuleux, pensaient à tort que les autorités prêtaient moins d’attention aux frontières parce que trop occupées par la pandémie. La situation a au contraire poussé Sar Kheng, ministre de l’Intérieur du Cambodge, à renforcer la sécurité aux frontières avec la Thaïlande, le Laos et le Vietnam (sur près de 3 700 km). Malgré tout, cela ne résout pas les vraies causes du fléau : une augmentation du chômage qui conduit à des forts endettements. « Il y a encore des gens qui prennent le risque de se faire arrêter et de se faire infecter pour pouvoir gagner de l’argent. Je ne serais pas surpris d’apprendre que cela continue et que la situation a été sous-évaluée », ajoute Ou Virak.

Depuis février 2020, alors que la pandémie a infecté au moins 20 000 personnes au Cambodge, l’économie a été bloquée et plusieurs millions de personnes, qui travaillaient auparavant dans la capitale et dans les grandes villes, sont retournées dans leurs villages où elles tentent de survivre. À Phnom Penh, les confinements ont entraîné de nombreux problèmes. Les maisons sont souvent surpeuplées, en particulier dans les bidonvilles. La distribution alimentaire est irrégulière ainsi que l’accès aux connexions Internet et l’application des régulations sanitaires, surtout pour ceux qui vivent dans la rue. « Le chaos politique, social et économique pousse les gens à trouver d’autres sources de revenus à l’étranger, quitte à se tourner vers des trafiquants peu scrupuleux », confie Gavin Greenwood, un analyste de l’organisation A2 Global Risk, basée à Hong-Kong. « Les trafiquants, de leur côté, profitent de la situation pour attirer leurs clients en présentant des opportunités irréalistes et souvent criminelles. »

Le gouvernement cambodgien sensibilise les élèves au problème

Beaucoup de victimes sont mineures, et le gouvernement cambodgien a ajouté le sujet de la traite des personnes dans les programmes scolaires du pays, en particulier auprès des filles en école primaire et au collège, afin de sensibiliser la population et les élèves sur les lois en vigueur, sur leurs droits et sur le rôle des communautés pour la prévention du fléau. « Le Covid-19 a particulièrement affecté les familles rurales, notamment celles qui ont eu recours à des microcrédits et qui se sont endettées. Par conséquent, elles ne peuvent s’en sortir à moins d’envoyer un adolescent tenter de trouver du travail en Thaïlande pour envoyer de l’argent à sa famille », explique Phil Robertson, vice-directeur de Human Rights Watch pour l’Asie.

Les secteurs de la pêche, de l’agriculture et de l’industrie les attirent à l’étranger, en particulier en Thaïlande, où plusieurs milliers de personnes se retrouvent dans des situations de servitude pour dettes. « Les restrictions de déplacement entre les pays qui ont été mises en place durant la pandémie ont suspendu de nombreux trafics liés à des travailleurs migrants cambodgiens, notamment via les brokers abusifs », ajoute cependant Phil Robertson. Il précise également que ces mêmes protocoles sanitaires ont fermé la Thaïlande, principale destination pour les migrants cambodgiens. « Le seul choix pour beaucoup de Cambodgiens endettés et demandeurs d’emploi est pourtant de partir en Thaïlande, d’une manière ou d’une autre. Le problème est que le désespoir les pousse souvent à prendre des risques toujours plus grands, ce qui peut les exposer à la servitude pour dettes et aux trafics. »

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Luke Hunt / Ucanews