Eglises d'Asie – Birmanie
Cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun : « La paix reste la seule issue »
Publié le 05/02/2021
Mes chers amis, j’écris ces lignes en tant que chef spirituel, en évoquant les sentiments partagés par des millions de personnes. J’écris à mon cher peuple, à nos dirigeants civils, à la Tatmadaw (l’armée birmane) et à la communauté internationale. J’ai suivi avec tristesse ces heures sombres de notre histoire et j’ai observé avec espoir la résilience de notre peuple dans la lutte pour la dignité. Nous traversons l’une des périodes les plus douloureuses de notre histoire. J’écris en soulignant mon amour envers tous, en cherchant une solution durable, en priant pour la fin de cette période sombre qui frappe notre chère nation.
Au peuple birman
Je voudrais partager ma profonde amitié avec vous tous alors que vous faites face à l’inattendu et que des évènements choquants se déroulent dans notre pays. J’appelle chacun d’entre vous à rester calme, à ne jamais céder à la violence. Nous avons versé assez de sang. Même face à ces événements dramatiques, je crois que la paix reste la seule issue, que la paix est possible. Il y a toujours des moyens non violents pour exprimer nos contestations. Les derniers événements résultent d’un triste manque de dialogue et de communication. Cessons d’entretenir la haine alors que nous luttons pour la dignité et pour la vérité. Tous les dirigeants et responsable religieux doivent prier et guider leurs communautés afin de trouver une réponse pacifique à la crise actuelle. Alors que la pandémie continue, je salue aussi nos courageux soignants qui ont sauvé tant de vies. Nous comprenons votre douleur ; certains ont démissionné en guise de protestation, mais je vous en conjure, n’abandonnez pas les vôtres dans le besoin.
Aux généraux et à la Tatmadaw
Le monde a réagi avec consternation. Quand, en 2015, une transition pacifique a été entreprise par le gouvernement élu avec l’accord de l’armée, le monde entier a fait part de son admiration. Aujourd’hui, le monde cherche à comprendre ce qui a échoué au cours des dernières années. Y a-t-il eu un manque de dialogue entre les autorités civiles et la Tatmadaw ? Nous avons constaté tant de douleurs suscitées par les conflits. Sept décennies de sang versé et d’usage de la violence n’ont apporté aucuns résultats. Vous avez tous promis de vous engager pour la paix et pour la démocratie. La démocratie était la lueur d’espoir qui devait résoudre les problèmes de notre pays. Des millions de personnes ont voté pour la démocratie. Notre peuple a cru en un transfert de pouvoir paisible. Aujourd’hui, la Tatmadaw a pris le pouvoir unilatéralement. Cela a choqué le peuple birman et le monde entier. Les accusations évoquant des irrégularités électorales auraient pu être réglées par le dialogue, en présence d’observateurs neutres. Nous avons manqué une grande opportunité. Beaucoup de dirigeants à travers le monde ont condamné et continueront de condamner ces décisions. Aujourd’hui, vous promettez encore la démocratie – après des investigations et d’autres élections. Mais le peuple birman est fatigué de vos promesses vides.
Ils n’accepteront aucune fausse justification. Vous avez aussi promis des élections multipartites après un an. Mais comment gagnerez-vous la confiance de notre peuple ? Ils ne feront confiance que quand des actions sincères accompagneront ces paroles. Leur angoisse et leur déception doivent être comprises. Vos actions doivent prouver que vous les aimez et que vous vous préoccupez d’eux. Une nouvelle fois, je vous en conjure, traitez-les avec dignité et dans la paix. Qu’ils ne soient frappés par aucune violence. Nous avons aussi observé avec tristesse l’arrestation des représentants élus de notre peuple, ainsi que celle de beaucoup d’écrivains, de militants et de jeunes. Je vous appelle à respecter leurs droits et à les libérer au plus tôt. Ce ne sont pas des prisonniers de guerre. Si vous promettez la démocratie, commencez par les libérer.
À Aung San Suu Kyi, au président U Win Myint et à nos dirigeants
Vous vous retrouvez dans cette situation désespérée après ces années de lutte pour la démocratie. Un événement inattendu a fait de vous des prisonniers. Nous prions pour vous et nous invitons toutes les personnes concernées à vous libérer au plus tôt. Chère Aung San Suu Kyi, vous avez vécu pour votre peuple et vous avez sacrifié votre vie pour lui. Vous serez toujours la voix de notre peuple. Nous traversons des heures douloureuses et vous avez été témoin des ombres et des lumières de notre nation. Vous n’êtes pas que la fille préférée du père de la nation, le général Aung San. Vous êtes Amay Suu (Mère Suu). La vérité finira par triompher. Dieu est le véritable arbitre de la vérité. Mais Dieu patiente. Aujourd’hui, je vous fais part de ma sympathie personnelle et je prie pour vous. Une nouvelle fois, je souligne que ces événements résultent d’un manque de dialogue et de communication, et du refus de nous accepter et de nous écouter les uns les autres.
À la communauté internationale
Nous sommes reconnaissants de votre préoccupation et de vos réactions à la suite des derniers événements. Nous apprécions votre compassion qui compte vraiment pour nous. Mais l’histoire a montré douloureusement que les conclusions abruptes et les jugements hâtifs ne bénéficient pas à notre peuple. Les sanctions et les condamnations ont apporté peu de résultats, elles ont fermé des portes et interrompu le dialogue. Ces mesures strictes ont plutôt été bénéfiques aux superpuissances voulant profiter de nos ressources. Nous vous demandons de ne pas forcer notre peuple à négocier leur souveraineté. La communauté internationale doit voir la réalité telle qu’elle est, en cherchant à comprendre profondément l’histoire, la politique et l’économie en Birmanie. Des sanctions risquent de faire s’effondrer notre économie, en faisant basculer des millions de personnes dans la pauvreté. La seule issue est de faire engager les différentes parties dans un chemin de réconciliation. Ce qui s’est passé est douloureux et notre peuple est consterné. J’écris ces mots dans le désir de les consoler, et non en politicien. Je suis persuadé que tous les différents acteurs dans notre pays veulent le bien de notre peuple. J’écris en vous assurant de ma prière et en espérant que cette grande nation, cette terre d’or et son peuple entreront dans un chemin de réconciliation, de paix et d’espérance.
Extraits du message publié le 3 février par le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun et président de la Conférence épiscopale birmane.
CRÉDITS
John Zaw / Ucanews