Eglises d'Asie

Caritas aide les fermiers indigènes des Chittagong Hill Tracts à sortir de la culture du tabac

Publié le 13/03/2020




Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 35 % des adultes bangladais consomment du tabac sous diverses formes, sur 160 millions d’habitants, ce qui en fait l’un des plus importants pays consommateurs de tabac. Bien que la production nationale soit relativement faible, beaucoup d’agriculteurs démunis, parmi les minorités indigènes habitant dans les montagnes des Chittagong Hill Tracts, dans le sud-est du Bangladesh, ont adopté la culture du tabac afin de tenter de sortir de la pauvreté. Le gouvernement bangladais et des organisations comme Caritas ont lancé des programmes afin de les aider à sortir d’une activité certes lucrative, mais dangereuse aussi bien pour l’environnement et les terres cultivables que pour la santé.

Le fleuve Sangu traverse le district de Bandarban, dans les Chittagong Hill Tracts, où de nombreux indigènes se sont lancés dans la culture du tabac.

Après dix années passées à cultiver le tabac sur ses terres, Aung Cha Nung Marma est décidé à renoncer à un marché certes lucratif mais dangereux aussi bien pour l’environnement que pour la santé. Cet agriculteur bouddhiste de l’ethnie Marma a trois fils et possède un demi-hectare de terrain, dans le district de Bandarban, dans la région des Chittagong Hill Tracts (CHT). Comme une grande partie des populations indigènes vivant dans les collines, sa principale source de revenus est la culture de la terre. Il cultive le tabac sur un bout de terre depuis plus d’une décennie ; le reste de son terrain est consacré à d’autres cultures, dont la pomme de terre et l’arachide. « J’ai commencé à planter du tabac quand j’ai vu que certains fermiers faisaient la même chose et qu’ils en retiraient de bons bénéfices. Je les ai imités après avoir emprunté de l’argent », explique l’agriculteur, âgé de 47 ans. Une fois qu’il aura remboursé son emprunt de 20 000 takas (209 euros), il cessera la culture du tabac. « Même mon plus jeune fils m’a recommandé de ne pas planter de tabac, après avoir entendu parler à l’école des dangers du tabac pour la santé et l’environnement », ajoute-t-il.

Sui Nung Marma, une bouddhiste de la même ethnie qu’Aung Cha, mère de quatre enfants, a elle aussi planté du tabac sur un terrain de 2 670 m² pendant huit ans, avant d’abandonner l’année dernière. « Je ne savais pas que cela pouvait être dangereux. Quand je m’occupais des cultures, il m’est arrivé plusieurs fois de vomir ou d’avoir des vertiges, et j’ai fini par comprendre que c’était dû aux plantations de tabac », confie Sui, âgée de 35 ans. Depuis, elle plante des arachides et des légumes, qu’elle vend au marché pour soutenir sa famille. « Le tabac est une plante toxique qui peut être dangereuse pour le corps humain, pour les terres cultivables et pour l’environnement. J’ai conseillé à mes voisins et à d’autres fermiers d’abandonner le tabac, malgré les profits engendrés », ajoute-t-elle. Les cas comme Aung et Sui sont de plus en plus fréquents dans la région des collines de Bandarban. Grâce aux actions du gouvernement et d’organisations comme Caritas, beaucoup d’agriculteurs ont pu s’orienter vers d’autres cultures.

Invasion du tabac

Malgré une production relativement faible, le Bangladesh est l’un de plus importants consommateurs de tabac au monde. Près de 35 % des adultes, sur 160 millions d’habitants, le consomment sous diverses formes. Selon une étude de l’OMS réalisée en 2017, 24 % des populations aisées consomment du tabac dans le pays, et 48 % des milieux populaires. Le Bangladesh a signé la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac en 2003, puis le pays a voté une loi sur le tabagisme en 2005. Cependant, cette loi est plutôt destinée à contrôler la demande en imposant de fortes taxes sur le tabac, et non au contrôle de la production. En 2007, une autre étude de l’OMS a rapporté qu’entre 1990 et 2003, le Bangladesh a enregistré une baisse des surfaces de plantations de tabac de 38 000 à 30 000 hectares environ, mais aussi une forte augmentation des surfaces cultivées dans les montagnes des Chittagong Hill Tracts, en particulier dans la région de Bandarban. Durant cette période, les plantations de tabac dans le district de Bandarban sont passées de 121 à 732 hectares, soit une augmentation de plus de 600 %. Les chercheurs ont fait le lien entre la pauvreté des fermiers de cette région rurale et le choix de la culture du tabac.

Dans le pays, le commerce du tabac est surtout contrôlé par trois géants internationaux : British American Tobacco, Philip Morris International et Japan Tobacco International. Non seulement ces groupes fixent les prix du tabac acheté aux fermiers bangladais, mais ils leur accordent aussi des avantages comme des prêts à bas coût, afin de les encourager à faire pousser du tabac sur leurs terres. « Il n’y a pratiquement aucun contrôle dans les régions où le tabac est cultivé, malgré la loi sur le contrôle du tabac. Pourtant, il est avéré que le tabac nuit non seulement à la santé, mais aussi à l’environnement et aux terres cultivables. Mais beaucoup de gens n’en sont pas conscients », explique James Gomes, directeur régional de Caritas Chittagong. Beaucoup de régions forestières ont été déboisées afin de récolter du bois utilisé pour le séchage du tabac, ajoute-t-il. Caritas a lancé des programmes de sensibilisation sur les dangers du tabac pour la santé et l’environnement, et offre des prêts à bas coût aux fermiers pour les encourager à produire d’autres cultures dans les montagnes du sud-est du pays. L’organisation catholique compte 2 200 bénéficiaires de ses projets agricoles à Bandarban, dont près de 50 % sont d’anciens producteurs de tabac. « Les fermiers qui veulent solliciter les services de Caritas doivent d’abord abandonner la culture du tabac. Pour beaucoup d’entre eux, c’est une activité lucrative mais c’est aussi un cercle vicieux. Cependant, une prise de conscience et une information sur les alternatives possibles peuvent les aider à en sortir », assure James Gomes.

Mesures antitabac

Les districts de Bandarban, de Rangamati et de Khagrachhari forment les Chittagong Hill Tracts – seule région montagneuse du Bangladesh et une des principales destinations touristiques du pays. Malgré la nature d’une beauté luxuriante, la région est principalement habitée par les minorités indigènes, dont beaucoup tentent de sortir de la pauvreté en cultivant le tabac. Mais grâce à quelques mesures efficaces, cette tendance a pu être stoppée ces derniers temps, affirme Mishuk Chakma, membre du ministère de l’Agriculture, qui travaille dans la région de Bandarban. « Il y a deux ans, on comptant au moins 2 000 hectares de terrains consacrés au tabac à Bandarban, mais ce chiffre est tombé à 1 423 hectares aujourd’hui. Le gouvernement cherche à décourager la culture du tabac en soutenant différentes alternatives comme les arachides et le maïs. Depuis, beaucoup de fermiers qui étaient passés à la culture du tabac en sont sortis », ajoute Mishuk Chakma. Il confie qu’en raison de la montée du tourisme dans la région, les agriculteurs ont pu obtenir de meilleurs prix pour leurs récoltes, ce qui les encourage d’autant plus à renoncer au tabac. « Le tabac est un marché colossal et les syndicats sont très puissants. Il est donc difficile d’en faire sortir les fermiers une fois qu’ils se sont lancés. Mais quand ils comprennent que l’argent ne fait pas tout, et combien cette activité peut être dangereuse, ils peuvent y parvenir. »

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Rock Ronald Rozario / Ucanews