Eglises d'Asie

Clôture du jubilé des cinquante ans du plus grand forum chrétien bangladais

Publié le 15/10/2019




Le 5 octobre à Dacca, l’Association chrétienne du Bangladesh (BCA), le plus grand forum chrétien du Bangladesh, a marqué la fin de son jubilé de deux ans, ouvert en 2017 afin de célébrer le cinquantenaire du forum. L’organisation a été créée en 1967 afin de permettre à la minorité chrétienne d’exprimer ses inquiétudes et de défendre ses droits. Aujourd’hui, la BCA est toujours présente dans le pays. Cependant, de nombreuses voix reprochent à l’organisation de n’avoir pas su défendre l’unité des chrétiens dans le pays et d’avoir échoué à faire passer de véritables avancées pour la minorité. Les chrétiens bangladais, majoritairement catholiques, représentent moins d’1 % de la population.

Dans les années 1960, une série d’évènements politiques et sociaux majeurs survenus au Pakistan oriental (qui correspond aujourd’hui au Bangladesh) entraînait la panique et la colère de la minorité chrétienne. Durant la guerre indo-pakistanaise de 1965, des centaines de membres de l’ethnie Garo, des catholiques originaires du district de Mymensingh, se sont enfuis dans les États indiens voisins. Après la guerre, le gouvernement pakistanais a repoussé leurs tentatives de revenir dans le pays. Le gouvernement pakistanais s’était ainsi attaqué au père George Pope, un prêtre américain de la Sainte-Croix, parce qu’il avait essayé d’aider certains de ses paroissiens à revenir chez eux. Mgr Lawrence Leo Graner, alors archevêque de Dacca, s’était fortement opposé à la décision et avait dénoncé l’action du gouvernement par écrit, entraînant sa propre expulsion en 1967. Par ailleurs, le développement du port de Mongla, dans le sud, avait entraîné l’expulsion de centaines de chrétiens protestants. Un groupe de responsables chrétiens laïcs a alors ressenti le besoin de créer un forum fort et unifié au sein duquel ils pouvaient exprimer leurs inquiétudes. L’Association chrétienne du Pakistan oriental a alors été formée, le 16 juillet 1967, afin de défendre leurs droits. Après la déclaration de l’indépendance du Bangladesh en 1971, l’organisation est devenue l’Association chrétienne du Bangladesh (BCA). Les chrétiens du Bangladesh, majoritairement catholiques, représentent moins d’1 % de la population bangladaise sur plus de 160 millions d’habitants. En 2017, la BCA, toujours présente depuis 50 ans, annonçait deux années d’activités spéciales dans le pays afin de marquer son anniversaire. La célébration finale du jubilé a eu lieu à Dacca le 5 octobre dernier. Le Dr Shirin Sharmin Chowdhury, la première femme à avoir été nommée présidente du Jatiya Sangsad, le parlement bangladais, a été invitée à intervenir. À cette occasion elle a salué le rôle joué par les chrétiens dans son pays : « Les chrétiens continuent de contribuer aux œuvres socio-économiques vitales de notre pays. »

Une voix pour les sans-voix

Au fil des décennies, le forum est devenu une voix au service de l’intégration et de l’émancipation sociale et politique des chrétiens, et pour la protection de leurs droits, à travers de nombreuses activités comme des groupes de pression, des campagnes de sensibilisation, des séminaires et des manifestations, a rappelé Nirmol Rozario, le président de la BCA. « Nous vivons dans un pays où les chrétiens, malgré leur situation minoritaire, ont apporté d’immenses contributions dans de nombreux domaines dont l’éducation, la santé et les œuvres de charité », a souligné Nirmol Rozario, catholique et ancien banquier. « Toutefois, nous avons une faible influence politique, sociale et économique, parce que nous sommes peu nombreux – nous avons essayé de remédier à la situation en devenant la voix des sans-voix pour notre communauté. » Au fil des années, la BCA a fait des propositions majeures au gouvernement : la demande d’un jour férié le jour du dimanche de Pâques, la revendication d’un ministre chrétien au sein du cabinet, des sièges réservés au parlement, un quota d’emplois au sein du gouvernement et des universités publiques ou encore l’embauche d’enseignants chrétiens pour les étudiants chrétiens au sein des écoles publiques. À ce jour, le gouvernement n’a accédé qu’à deux demandes de la BCA sur dix. Promod Mankin, un catholique de l’ethnie Garo, membre de la Ligue Awami, le parti au pouvoir, et ancien président de la BCA, a été nommé ministre en 2009. Il est depuis décédé en 2016. Ces dernières années, le gouvernement a également apporté des changements concernant le système de succession pour les chrétiens, afin de faciliter les transferts de propriétés ancestrales. « Nous continuerons notre combat tant que nos demandes n’ont pas été respectées », assure Nirmol Rozario. « Nous avons collaboré avec d’autres forums représentants des minorités et avec des groupes de défense des droits de l’homme, donc notre voix devient plus forte. » La BCA, quelles que soient ses réussites, reste importante, assure Mgr Shouravh Pholia, évêque anglican de l’Église du Bangladesh. « Nous apprécions l’existence de la BCA – elle nous offre une plateforme au sein de laquelle nous pouvons nous exprimer », ajoute Mgr Pholia.

Tensions et critiques

Pourtant, malgré son influence, la BCA a également fait l’objet de critiques. Jusqu’en 2000, le forum chrétien a été notamment accusé d’être centré sur Dacca. Depuis, l’organisation a cependant formé 101 branches à travers le pays. Ces dernières années, le groupe a également connu des divisions politiques et des luttes de pouvoir. En 2002, une tension au sein de la direction de la BCA a entraîné l’émergence d’une nouvelle organisation du même nom. Celle-ci a attiré des dirigeants de la BCA proches du Parti nationaliste du Bangladesh (centre droit), le second parti politique bangladais, alors au pouvoir. Globalement, la BCA est plus proche de la Ligue Awami (centre gauche), le premier parti du pays (au pouvoir depuis 2008). En 2017, un groupe de dirigeants déçus de la DCA sont partis et ont fondé un nouveau forum, qui existe toujours aujourd’hui malgré les tentatives de mettre fin aux tensions, y compris malgré l’intervention du cardinal Patrick D’Rozario, archevêque de Dacca. « Nous avons essayé de joindre l’autre groupe pour mettre fin aux tensions mais ils n’étaient pas intéressés. Nos efforts pour créer l’unité et servir le bien commun continueront », souligne Nirmol Rozario, président de la BCA.

L’unité à tout prix

William Atul Kuluntunu, catholique et ancien fonctionnaire, confie que si la communauté chrétienne n’est pas unie, elle risque une crise existentielle. « C’est un échec douloureux, non seulement pour la BCA mais aussi pour toute la communauté chrétienne, de voir que nous sommes si peu nombreux et pourtant si divisés », ajoute-t-il. « Ce jubilé aurait pu être un tournant décisif pour nous, afin de renoncer à nos divisions, mais ça ne s’est pas passé comme cela. Le problème est que nos responsables voulaient le pouvoir à tout prix, ils n’ont pas fait passer l’esprit de service et de sacrifice avant tout », regrette-t-il. « Si nous ne renonçons pas à nos intérêts propres pour mettre fin à cette désunion, la situation ne risque pas de s’améliorer. » Le père Anthony Sen, responsable de la commission Justice et Paix dans le diocèse de Dinajpur, dans le nord du pays, partage ces sentiments : « Sur le papier, la BCA ressemble à une grande organisation, mais en réalité, elle n’a pas obtenu de véritables avancées concrètes », affirme-t-il. « C’est surtout dû à des intérêts particuliers – comme la soif de pouvoir de certains responsables – et à un manque de principes fondamentaux. » La BCA ferait mieux de travailler avec les responsables religieux, conseille le prêtre. « S’ils pouvaient tisser des liens forts avec l’Église, cela serait bénéfique à toute la communauté », assure-t-il.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews