Eglises d'Asie

Pyongyang condamne un pasteur baptiste sud-coréen aux travaux forcés à vie

Publié le 02/06/2014




Samedi 31 mai, la Corée du Nord a annoncé la condamnation à une peine de travaux forcés à vie d’un ressortissant sud-coréen, le pasteur baptiste Kim Jeong-uk, âgé de 50 ans. L’agence nord-coréenne d’information, KCNA, a précisé que, la veille, le missionnaire chrétien avait été reconnu coupable …

… par un tribunal de Pyongyang de tentative d’établissement d’Eglises clandestines dans le pays, d’espionnage au profit de la Corée du Sud et de divers autres crimes « contre l’Etat [nord-coréen] » ; la peine de mort, normalement encourue pour ces crimes, n’a été évitée au condamné qu’en raison de ses aveux circonstanciés, a aussi rapporté l’agence nord-coréenne.

En Corée du Nord, soumise à l’une des dictatures les plus contrôlées de la planète, la justice ne peut être tenue pour indépendante et bon nombre d’observateurs internationaux ont noté que le verdict était tombé le lendemain du jour où Pyongyang venait de conclure un accord avec le Japon, les autorités nord-coréennes acceptant de rouvrir les dossiers d’enquête à propos de citoyens japonais disparus dans les années 1970 et 1980 et soupçonnés d’avoir été enlevés par des agents nord-coréens. En contrepartie, Tokyo a promis de lever certaines des sanctions prises à l’encontre de la Corée du Nord et d’envisager la fourniture d’aide humanitaire à ce pays.

Selon certains observateurs, cette avancée dans les pourparlers nord-coréens avec le Japon serait une manière pour Pyongyang de parer à tout renforcement de l’axe Tokyo – Séoul tel que Washington s’efforce de le mettre en place pour unir la stratégie de ces trois pays face à l’épineux dossier nucléaire nord-coréen. Washington et Séoul sont en effet d’accord pour refuser toute négociation avec Pyongyang tant que la Corée du Nord ne donnera pas de signe qu’elle va démanteler son programme d’armes nucléaires ; mais, pour Tokyo, le sort de ses citoyens enlevés est une question à laquelle l’opinion publique japonaise est très sensible.

Dans ce contexte, toute mesure visant à affaiblir la détermination des alliés américains que sont le Japon et la Corée du Sud est sans doute bonne à prendre du point de vue de Pyongyang. En direction de l’opinion publique sud-coréenne, Pyongyang alterne les messages : d’une part, la propagande attaque frontalement la présidente Park Geun-hye, la qualifiant de « sale prostituée » soumise à « son souteneur » Barack Obama, tandis que, d’autre part, des gestes de bonne volonté sont adressés à certains éléments de la société civile ; le cardinal archevêque de Séoul a ainsi récemment reçu la permission de se rendre pour quelques heures au sein du complexe industriel nord-coréen de Kaesong (Gaeseong), une première pour un responsable religieux de ce rang. Dans un autre registre, l’avant-veille de l’annonce du verdict du pasteur Kim Jong-uk, des navires des deux marines nord- et sud-coréenne avaient échangé des tirs de canon, et la partie nord-coréenne a nié être à l’origine de l’incident.

La condamnation du pasteur sud-coréen pourrait aussi être un message adressé à tous ceux qui, directement ou indirectement, tentent de venir en aide aux Nord-Coréens. Si la Corée du Nord garantit officiellement la liberté religieuse, le seul culte qui y soit autorisé est celui de la dynastie des Kim au pouvoir. Le récent rapport remis au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à propos des violations des droits qui sont perpétrées par le régime nord-coréen va jusqu’à évoquer des « crimes contre l’humanité » tant la dictature y est sévère. Le rapport précise que toute association de près ou de loin avec la foi chrétienne est un facteur aggravant, les Nord-Coréens surpris en possession d’une bible ou en train de participer à un cercle de prière étant systématiquement déportés ou exécutés.

Face aux initiatives de la communauté internationale ou des ONG sud-coréennes, les autorités nord-coréennes se montrent donc particulièrement attentives à prévenir tout risque de « prosélytisme » de la part des visiteurs étrangers. En mars dernier, un missionnaire protestant australien âgé de 75 ans, John Short, a été accusé d’avoir distribué des écrits portant de « la propagande religieuse » ; après avoir « confessé » son « crime » et s’être « excusé » auprès du peuple nord-coréen, il a été expulsé sans délai.

Tous n’ont pas sa chance. En mai 2013, le chrétien américain d’origine sud-coréenne Kenneth Bae (Pae Jun-ho) a été condamné à quinze ans de travaux forcés. Sa santé donnerait des signes d’inquiétude mais, à ce jour, aucune démarche diplomatique des Etats-Unis visant à le faire libérer n’a abouti. Kenneth Bae était accusé de chercher à mettre en place un réseau visant à diffuser la religion chrétienne en Corée du Nord sous couvert d’une activité d’agence de voyages.

Selon des proches du pasteur Kim Jeong-uk (1), ce dernier était actif depuis plusieurs années parmi les cercles, protestants le plus souvent mais catholiques ou bouddhistes également, qui cherchent à aider les Nord-Coréens réfugiés en Chine. Fuyant leur pays, ces derniers se retrouvent en territoire chinois, dans les régions frontalières avec la Corée du Nord, là où une forte minorité d’origine coréenne est implantée. Ces réseaux d’aide visent soit à apporter un soutien humanitaire à ceux de ces réfugiés qui veulent reprendre des forces avant de repartir en Corée du Nord, soit à les aider dans leur fuite vers la Corée du Sud.

Depuis 2007, le pasteur Kim Jeong-uk était basé, de manière plus ou moins permanente, à Dandong, ville du Liaoning jouxtant la frontière nord-coréenne sur son flanc occidental. De là, il aidait les réfugiés nord-coréens à trouver un chemin vers la Thaïlande, le Laos ou d’autres pays de la région, où ils pouvaient demander asile dans les ambassades sud-coréennes avant de s’envoler vers Séoul. Selon Joo Dongsik, un ami proche du pasteur Kim, en août 2012, douze Nord-Coréennes auraient été arrêtées par la police chinoise alors qu’elles avaient trouvé refuge dans l’abri du pasteur ; elles auraient ensuite été renvoyées en Corée du Nord. C’est très probablement animé du désir de retrouver leurs traces que le pasteur Kim s’était décidé à se rendre de manière clandestine en Corée du Nord où il avait été interpellé le 7 ou le 8 octobre dernier. Le mois suivant, les médias nord-coréens annonçaient « l’arrestation d’un espion sud-coréen ». Le 27 février 2014, lors d’une conférence de presse organisée à Pyongyang, Kim Jeong-uk réapparaissait, s’accusant d’avoir reçu de l’argent des services secrets sud-coréens et d’avoir monté un réseau chrétien souterrain de manière à collecter des renseignements sur la Corée du Nord.

Réagissant à l’annonce de la condamnation du pasteur baptiste, un porte-parole du ministère de l’Unification à Séoul a déclaré qu’il était « difficile de voir un de nos citoyens engagé dans des activités de nature purement religieuse être accusé d’être un criminel agissant contre l’Etat ». La Corée du Sud a demandé la libération immédiate de son ressortissant.

(eda/ra)