Eglises d'Asie – Corée du sud
Visite historique du cardinal de Séoul en territoire nord-coréen
Publié le 22/05/2014
Archevêque de Séoul, le cardinal Yeom est aussi l’administrateur apostolique de Pyongyang, capitale de la Corée du Nord. En dépit du caractère plus théorique que concret de cette deuxième responsabilité, le cardinal n’avait jamais eu l’occasion de se rendre ès qualité en Corée du Nord. Sa visite au sein du complexe industriel de Kaesong (Gaeseong), à quelques kilomètres de la DMZ qui sépare les deux pays, présente donc un caractère historique.
« Le complexe de Kaesong ne se situe qu’à une soixantaine de kilomètres de l’archidiocèse de Séoul, a-t-il déclaré à l’issue de sa visite, mais j’ai réalisé que nous vivions dans un monde où une distance très courte pouvait sembler très longue. » Le cardinal s’exprimait devant la presse au poste de douanes de Dorasan, à Paju, du côté sud-coréen de la frontière. Il a ajouté que « le complexe de Kaesong, où les deux Corées vivent de manière unie, [était] un signe d’espérance qui témoigne de notre capacité à dépasser la douleur et la tristesse [engendrées] par la division [de la péninsule coréenne]. Par le dialogue et en faisant preuve de sincérité, je pense que nous pouvons parvenir à la paix ».
Cardinal depuis deux mois, archevêque de Séoul depuis deux ans, Mgr Yeom a effectué ce voyage à Kaesong à un moment où la tension entre les deux Corées remontait d’un cran. Outre les agressions verbales auxquelles se livrent quasi-quotidiennement les autorités nord-coréennes envers la présidente sud-coréenne, les préparatifs d’un éventuel tir de missile ainsi qu’un possible nouvel essai nucléaire – qui serait le quatrième du genre – ont tendu le climat entre Séoul et Pyongyang. Au lendemain de la visite du cardinal, des tirs d’artillerie ont d’ailleurs été échangés entre les deux marines en mer Jaune ; dans la zone sensible de la frontière maritime qui sépare les deux pays, l’artillerie nord-coréenne a tiré sur un patrouilleur sud-coréen, avant que l’artillerie du Sud ne réplique en tirant en direction d’un navire nord-coréen.
Pour autant, la visite du cardinal n’avait rien d’une visite improvisée. Mgr Yeom, qui préside la Commission pour la réconciliation des deux Corées de l’archidiocèse de Séoul, prône depuis des années la nécessité d’établir un dialogue de paix entre les deux Corées, et appelle à la dénucléarisation de la péninsule. A ce titre, il suit avec attention les initiatives allant dans le sens d’une plus grande coopération intercoréenne.
Le complexe de Kaesong, créé en 2004 lors d’une période de détente entre le Sud et le Nord, matérialise le type de coopération que les deux Corées peuvent nouer. (Techniquement, les deux pays sont toujours en guerre (la guerre de Corée (1950-1953) n’ayant pris fin que sur un simple armistice.) Il accueille aujourd’hui une centaine d’entreprises manufacturières sud-coréennes qui y emploient environ 50 000 Nord-Coréens. L’encadrement et les capitaux sont sud-coréens, la surveillance militaire est nord-coréenne et les salaires versés par les employeurs du Sud constituent une source de devises appréciable pour le Nord. Les usines qui y sont implantées sont toutefois à la merci des tensions entre les deux pays, et le site a ainsi été fermé par Pyongyang durant cinq mois en 2013, au plus fort d’un regain de tension.
C’est d’ailleurs durant cet épisode de tension, en août 2013, que des employés catholiques sud-coréens du complexe de Kaesong étaient venus trouver Mgr Yeom pour lui demander de prier pour la réouverture du site. L’archevêque avait accepté leur demande et leur avait promis qu’il viendrait leur rendre visite sur place, une fois le complexe rouvert.
Selon le cardinal Yeom ainsi que selon le ministère (sud-coréen) de l’Unification, qui est seul habilité à autoriser les visites de citoyens sud-coréens au Nord, un premier projet de visite avait été monté pour Noël 2013. Le cardinal aurait alors célébré la messe de Noël pour les employés sud-coréens de Kaesong. Mais ce plan a dû être abandonné suite aux remous créés par l’exécution de Jang Song-thaek (oncle et mentor politique du nouveau dirigeant Kim Jong-un, Jang Song-thaek avait été brutalement destitué et exécuté sans délai). Cette fois-ci, la visite a pu se faire, les Nord-Coréens ayant donné leur feu vert le 19 mai tout en exigeant que le cardinal ne se déplace qu’« à titre privé ».
C’est ce caractère « privé » qui explique que le cardinal, accompagné de six prêtres et d’un journaliste du Catholic Times, n’a pas célébré la messe une fois sur place, à Kaesong. Parti à 6h20 de l’archevêché de Séoul, ayant franchi la DMZ à 07h20, le cardinal et ses compagnons étaient de retour au poste frontière de Dorasan à 17h, ce 21 mai. Durant les près de neuf heures passées sur place, le cardinal a visité plusieurs usines et ateliers, rencontré et prié avec des personnels sud-coréens, mais la messe n’a pas été célébrée et aucune rencontre n’a eu lieu avec aucun responsable nord-coréen, a précisé Hur Young-yub, porte-parole de l’archidiocèse de Séoul.
Quant à la signification de cette première visite d’un cardinal sud-coréen en territoire nord-coréen, qui intervient à trois mois de la visite que le pape François effectuera en Corée du Sud à l’occasion des VIèmes Journées asiatiques de la jeunesse, ce même porte-parole a coupé court à toute tentative d’extrapolation. Le voyage de Mgr Yeom « n’avait rien à voir avec la visite du pape », a-t-il déclaré, précisant que l’intention du cardinal était uniquement pastorale, auprès des employés sud-coréens de Kaesong.
Les Journées asiatiques de la jeunesse se dérouleront du 10 au 17 août à Daejeon, à 150 km au sud de Séoul. Le pape François doit séjourner en Corée du Sud du 14 au 18 août. Le 16 août, il célébrera au centre de Séoul la messe de béatification de 124 martyrs coréens tués « en haine de la foi » entre 1791 et 1888. Il se peut que le pape célèbre le 18 août une messe dédiée à la réunification de la péninsule coréenne mais il est improbable qu’il soit envisagé qu’il se rende en Corée du Nord, pays dont le régime est totalement fermé à toute expression religieuse libre.
(eda/ra)