Eglises d'Asie

Covid-19 : la communauté musulmane sri-lankaise sous pression depuis le début du confinement

Publié le 30/04/2020




Le 12 avril dernier, les organisations musulmanes sri-lankaise ont adressé un message à l’inspecteur général de police afin de dénoncer la multiplication des actes et discours haineux à l’égard de la communauté musulmane, dont des appels au boycott des commerces musulmans. Selon Human Rights Watch, des commentaires ont même accusé les musulmans sri-lankais de répandre volontairement le Covid-19. Meenakshi Ganguly, directeur d’Human Rights Watch (HRW) pour l’Asie du Sud, estime que la sécurité de la communauté musulmane sri-lankaise, déjà affaiblie depuis les attentats du dimanche de Pâques 2019, est encore plus fragilisée par le confinement imposé dans le pays majoritairement bouddhiste.

La coordinatrice résidente des Nations unies au Sri Lanka (à gauche) et son rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, Ahmed Saheed, le 26 août 2019 à Colombo.

Face aux arrestations récentes de deux personnalités musulmanes, la communauté musulmane sri-lankaise s’inquiète d’une répression de la liberté religieuse et de la liberté d’expression depuis le début du confinement, dans l’île majoritairement bouddhiste. Ramzy Razeek a été arrêté le 9 avril dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), après un appel lancé sur Facebook à propos d’un combat ou « jihad » idéologique. Ramzy Razeek, qui publie régulièrement des commentaires défendant l’harmonie interreligieuse entre les communautés musulmanes et bouddhistes, a critiqué une nouvelle décision du gouvernement imposant la crémation de toutes les victimes du Covid-19, contrairement aux traditions islamiques. Le 2 avril, il a publié un commentaire sur Facebook, en cingalais, en affirmant que « les musulmans sont victimes de groupes racistes dans tout le pays » et qu’il est temps de « se préparer à un jihad idéologique, avec la plume et le clavier pour armes ». Sampath Samarakoon, un activiste sri-lankais, estime que Ramzy Razeek n’a fait aucun commentaire violant les termes du PIDCP et dénonce le mauvais usage de la loi. Le 14 avril, la police sri-lankaise a également arrêté un avocat musulman renommé dans le pays, Hejaaz Hizbullah, dans le cadre de la Loi de prévention contre le terrorisme (PTA). Il fait partie d’un groupe de six personnes, dont le frère d’un ancien ministre, arrêté récemment dans le cadre des enquêtes judicaires concernant les attaques du dimanche de Pâques 2019.

Appels à respecter le cadre légal

La police a également arrêté des étudiants accusés d’avoir publié de fausses informations sur leurs comptes Facebook et d’avoir critiqué les autorités avec « malveillance » à propos du programme de prévention contre le Covid-19. La police a notamment perquisitionné le logement d’un étudiant de Maharagama, près de Colombo, la capitale, après avoir été accusé d’avoir critiqué la nomination de Basil Rajapakse, le frère du président sri-lankais, à la tête de la nouvelle équipe spéciale présidentielle, chargée du programme de prévention contre le coronavirus. « Les autorités sri-lankaises ont bien sûr le devoir de poursuivre les responsables des ignobles attaques du 21 avril 2019, mais les arrestations doivent être menées dans la légalité, et non dans une tentative de diffamer toute une communauté », dénonce Meenakshi Ganguly, directeur d’Human Rights Watch (HRW) pour l’Asie du Sud. « Les arrestations récentes de personnalités musulmanes, ainsi que des actions politiques et des discours haineux contre la communauté musulmane, suscitent notre inquiétude », ajoute-t-il. Son organisation souligne que les autorités sri-lankaises doivent respecter le cadre juridique et assurer que les détenus puissent bénéficier d’un avocat. HRW estime que la sécurité de la communauté musulmane sri-lankaise, déjà affaiblie depuis les attentats de l’an dernier, est encore plus fragilisée par le confinement. « Le 12 avril, les organisations musulmanes sri-lankaises ont écrit à l’inspecteur général de police pour dénoncer la multiplication des actes et discours haineux, dont des appels au boycott de commerces musulmans et des commentaires accusant la communauté de répandre volontairement le Covid-19 », a déclaré HRW.

Liberté d’expression et de critique

Le Conseil national pour la paix (NPC), qui soutient les initiatives de paix et les échanges interethniques dans le pays, a déclaré que « la liberté d’expression et de critique est essentielle dans une crise comme celle que nous traversons, il faut que les critiques et les plaintes des gens puissent être entendues ». « Nous notons également que le président Gotabaya Rajapaksa s’est dit prêt à accepter les critiques constructives. Il est essentiel de protéger le droit à la liberté d’expression, alors que nous luttons contre la pandémie et ses conséquences économiques, sociales, politiques et culturelles », a ajouté l’organisation. Le Rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté de religion ou de conviction a également appelé le gouvernement sri-lankais à respecter les droits de sépulture de la communauté islamique et à lutter contre les discours haineux, qui se sont multipliés depuis les attentats du dimanche de Pâques 2019. De son côté, la Commission sri-lankaise pour les droits de l’homme (HRCSL) a souligné que toute limite imposée sur la liberté d’expression et les autres droits démocratiques, même en cas d’état d’urgence, doit respecter le cadre de la loi. HRCSL a écrit à l’inspecteur général de police afin de dénoncer les arrestations récentes, qui ont été faites sur la base de commentaires publiés sur les réseaux sociaux, en demandant aux autorités de respecter la liberté d’expression. La commission pour les droits de l’homme a également constaté de nombreuses arrestations depuis la publication d’une déclaration de la police sri-lankaise, avertissant de poursuites judiciaires contre les coupables de publications critiques et de fausses informations sur Internet. « Cette déclaration indique clairement que les critiques des autorités ne sont pas tolérées », confie le professeur D. Udagama, président de HRCSL. « Dans ce contexte, c’est la Constitution qui doit s’appliquer, ainsi que les obligations internationales du Sri Lanka quant aux droits de l’homme. Ces lois stipulent que toute limitation des droits doit respecter des conditions légales et de non-discrimination », ajoute-t-il.

(Avec Ucanews, Colombo)


CRÉDITS

Ucanews