Eglises d'Asie – Bangladesh
Covid-19 : la pandémie et le confinement frappent durement les fermiers et les grossistes bangladais
Publié le 16/05/2020
Pour Nazrul Islam, âgé de 40 ans, fermier musulman et entrepreneur modeste du district de Pabna, dans le nord du Bangladesh, l’an 2020 est la pire année qu’il ait connue depuis plusieurs décennies. Chaque année, toutes ses ressources dépendent de ses 5 hectares de terrain, qu’il utilise pour un élevage de volailles et pour faire pousser des légumes et des fruits de saison. La pandémie du Covid-19 et ses conséquences ont eu de graves répercussions pour son activité. « J’ai des champs de goyave, de jujube et d’aubergines de bonne qualité, mais les prix ont chuté à environ un quart du niveau normal. Les œufs qui proviennent de l’élevage de volailles s’accumulent, mais les prix et les ventes ont chuté. Je risque gros », déplore Nazrul Islam, père de quatre enfants. Il y a quatre ans, il a investi environ 5 millions de takas (54 523 euros) pour lancer son élevage de volailles, afin de générer quelques revenus supplémentaires. Mais il a peur de voir cette activité s’effondrer à cause du confinement.
Le gouvernement a annoncé un emprunt de 30 milliards de takas (327,14 millions d’euros) afin de soutenir plusieurs dizaines de milliers de fermiers, de professionnels en milieu rural et de petits entrepreneurs face à la crise. Les personnes concernées peuvent obtenir des prêts sans garantie de 75 000 à 3 millions de takas (entre 800 et 32 000 euros), pour un taux d’intérêt de 9 %. La Banque du Bangladesh a publié une circulaire à cet effet le 20 avril. Cependant, Nazrul Islam explique qu’une branche locale de la banque nationale Agrani a refusé d’accepter sa demande d’un emprunt sans garantie de 500 000 takas (5 454 euros). « J’ai l’impression que les petits fermiers et entrepreneurs ne pourront pas accéder à cette offre, tandis que les industriels le peuvent. Les fermiers comme moi se retrouvent dans une situation pénible et sans aucune aide », déplore-t-il. Sa famille, qui se retrouve presque sans ressources, s’apprête à fêter la fête de l’Aïd-El-Fitr (rupture du jeûne du ramadan), ce 25 mai, avec amertume, ajoute-t-il.
Chute de la demande et chute des prix
Hazarat Ali, 26 ans, un commerçant de légumes de Muladuli, dans le district de Pabna, est lui aussi fortement affecté par la situation. Il achète ses légumes au marché local et le revend à Dacca ainsi qu’à Narayanganj, un district industriel en banlieue. À cause de la pandémie, il a perdu plus de la moitié des 100 000 takas qu’il avait investis récemment. « Les fermiers vendent leurs produits à des prix très bas parce que la demande a chuté, et nous ne pouvons engendrer de profits parce que tous les prix ont baissé. Tout comme les fermiers, nous subissons tous de lourdes pertes », explique-t-il. Il a déposé une demande d’emprunt de 200 000 takas auprès de la branche locale de la banque nationale Janata, mais il n’a pas encore reçu de réponse. « J’ai fait des profits l’an dernier et je les ai investis, mais maintenant tout a été englouti. J’ignore ce qu’il va se passer si la situation ne s’améliore pas bientôt », ajoute-t-il. Comme les fermiers, les petits commerçants subissent la crise de plein fouet, confie Abdul Raazak, représentant d’une société commerçante (Wholesale vegetable traders society) du marché de Muladuli, à Pabna. « En général, les petits commerçants parviennent à décrocher des emprunts de temps en temps pour maintenir leur activité, mais aujourd’hui, ils ne pourront pas les rembourser vu les pertes accumulées. À moins que le gouvernement n’allège le fardeau qui pèse sur les fermiers et les grossistes, beaucoup d’entre eux vont tout perdre », poursuit-il. Selon lui, si les fermiers et les commerçants les plus riches pourront bénéficier de leurs relations financières et politiques, les plus petits risquent d’être abandonnés.
Prêts refusés
En 2018, près de 41 % des 160 millions d’habitants du pays travaillaient dans l’agriculture, selon le Bureau national des statistiques, mais il n’existe aucun chiffre exact sur les millions de personnes modestes travaillant en milieu rural, et qui représentent pourtant le pilier de l’économie rural bangladaise. Bien que la pandémie ait touché toutes les couches de la société, les communautés les plus faibles et marginales sont privées de toute aide et se retrouvent livrées à elles-mêmes. Il y a eu des accusations publiques et médiatiques de corruption et de vols de céréales, dont du riz, de la part des autorités politiques locales. Aujourd’hui, certains dénoncent également une distribution inégale des prêts destinés aux fermiers et grossistes affectés par la crise. La Caritas de Rajshahi, qui couvre le nord du pays, affirme que les fermiers démunis de la région sont négligés et se retrouvent dans des conditions précaires. Selon une étude récente menée par l’organisation, 135 familles de trois villages du district de Rajshahi ont demandé des prêts en vain.
(Avec Ucanews, Natore)
CRÉDITS
Stephan Uttom / Ucanews