Eglises d'Asie

Covid-19 : les ouvriers des plantations de thé affectés par la crise

Publié le 17/07/2020




La crise sanitaire a empiré les conditions de vie des ouvriers des plantations de thé du Bangladesh, 9e plus gros producteur de thé au monde, beaucoup d’employeurs ayant suspendu leurs salaires durant le confinement face aux difficultés économiques. Les ouvriers du secteur et leurs familles sont près de 700 000 dans le pays, dont 98 000 ouvriers enregistrés et 30 000 saisonniers, répartis dans 167 plantations, dans le nord-est. La plupart d’entre eux appartiennent aux castes hindoues inférieures et aux minorités indigènes, venues d’Inde durant l’époque coloniale britannique.

Des ouvriers d’une plantation de thé de la région de Srimangal, dans le nord-est du Bangladesh. Le Covid-19 a empiré les conditions de vie de milliers d’entre eux.

Quand son employeur a pu à nouveau verser son salaire ce mois-ci, Doyal Almik, ouvrier d’une plantation de thé dans le nord du Bangladesh, s’est senti soulagé. Ce père de deux enfants, âgé de 29 ans, travaille dans la plantation de Kaliti, dans le district de Moulvibazar. Le domaine, qui appartient à la société Jobeda Tea, a suspendu les salaires de ses 537 ouvriers entre février et avril, en raison des difficultés financières subies face à la crise. « Les ouvriers se sont retrouvés dans une situation dramatique, faute d’économies suffisantes pour s’acheter à manger durant le confinement. Beaucoup ont connu la famine, et certains se sont mis à manger des mélanges liquides à base de riz bouilli et mixé, de feuilles de thé écrasées et de chili », explique Doyal Almik, un hindou. En temps normal, les ouvriers reçoivent leur salaire hebdomadaire tous les jeudis, mais ils n’ont pas été payés durant treize semaines d’affilée, les laissant dans une situation misérable. Plusieurs dizaines d’entre eux ont fait la grève de la faim à plusieurs reprises afin de protester contre la décision de leur employeur. « C’est inhumain de continuer la production de thé tout en refusant de payer les ouvriers. Les autorités étaient censées fournir des masques de protection, du savon et du gel désinfectant, mais rien ne s’est passé. On a l’impression que cela leur est égal si les ouvriers risquent leur vie », dénonce Doyal Malik, qui ajoute que des ouvriers des plantations de la région se sont associés à un bureau du gouvernement local et à un groupe de volontaire pour distribuer des aides alimentaires aux plus démunis durant la crise.

Au Bangladesh, un ouvrier du thé touche en moyenne 102 takas (1,05 euro) par jour, soit l’un des plus bas salaires au monde. Il reçoit également environ 3 kilogrammes de ration alimentaire (du riz et du blé) quotidienne, en étant logé avec sa famille dans des habitations surpeuplées aux toits de chaume et aux murs de boue séchée. Pranab Kanti Das, directeur de la plantation de Kaliti, explique que la crise financière provoquée par le confinement a forcé son entreprise à suspendre les salaires des ouvriers et des cadres, en assurant que le problème a été réglé à l’amiable. La situation a été pire encore pour les 1 200 employés de la plantation de Rema, dans le district voisin de Habiganj. La plantation a dû fermer le 5 mars suite à un conflit interne, notamment suite à une revendication des ouvriers concernant deux mois de salaires impayés. Le confinement a empiré la situation pour les ouvriers, et plusieurs dizaines d’entre eux ont souffert de la faim, les poussant à organiser des manifestations devant la plantation et l’usine. Le conflit a finalement pu être résolu et la plantation a pu reprendre son activité en mai, mais tous les salaires impayés n’ont pas été réglés pour autant, affirment les ouvriers. « Les travailleurs doivent être patients face à cette situation difficile. Les grèves et les absences ne peuvent rien produire de bon, ils doivent coopérer », commente Monjur Rahman, propriétaire de la plantation de Rema.

9e plus gros producteur de thé au monde

Le Covid-19 a rendu les ouvriers des plantations de thé encore plus vulnérables et marginalisés, déplore Ponkoj Kondo, catholique et vice-président du syndicat Bangladesh Tea Workers Union. « Le Bangladesh a été en confinement durant plusieurs mois, mais les plantations de thé n’ont jamais suspendu leur activité, comme si elles étaient immunisées contre le virus. Les prix des produits alimentaires ont grimpé en flèche durant cette période, et les ouvriers ont eu d’autant plus du mal à survivre », affirme Ponkoj Kondo, 44 ans et père de deux enfants. Au moins 16 cas d’infection confirmés et 3 décès ont été enregistrés dans les plantations de thé, un bilan qui serait largement sous-évalué selon Ponkoj Kondo, lui-même ouvrier. « Il n’y a aucun moyen de soumettre les gens des plantations à un test de diagnostic ; on ignore combien ont réellement pu être exposés », ajoute-t-il. Le Bangladesh est le 9e plus gros producteur de thé au monde – avec la Chine en tête –, selon le Comité international sur le thé (CIT), basé à Londres. Dans le pays, on compte environ 98 000 ouvriers enregistrés permanents et 30 000 ouvriers saisonniers, répartis dans 167 plantations. Les ouvriers du secteur et leurs familles sont près de 700 000 en tout au Bangladesh, selon les syndicats locaux. La plupart d’entre eux appartiennent aux castes hindoues inférieures et aux minorités indigènes, venues d’Inde durant l’époque coloniale britannique. En raison de leur extrême pauvreté et du manque d’accès à l’éducation, ils sont considérés comme l’une des communautés les plus marginalisées du pays.

Le diocèse de Sylhet couvre quatre districts du nord-est du Bangladesh, donc ceux de Sylhet, Moulvibazar et Habiganj, où se concentrent la majeure partie des plantations de thé du pays. Près de 12 000 catholiques sur les 20 000 fidèles du diocèse y travaillent – ce sont, pour la plupart, des minorités indigènes dont les descendants se sont convertis avant d’immigrer dans la région, au XIXe siècle. Durant la pandémie, le diocèse a offert des aides alimentaires et du matériel de protection à environ 500 ouvriers travaillant dans plusieurs plantations. Le diocèse se préoccupe de leur situation, confie Boniface Khonglah, secrétaire de la Commission Justice et Paix, qui soutient « le développement socio-économique des ouvriers du thé dans le cadre d’un plan pastoral sur dix ans ». « L’Église dirige des écoles et des organisations caritatives consacrées aux ouvriers des plantations, et elle parraine des programme de formation pour leurs enfants », ajoute Boniface. Pourtant, certains activistes estiment que les efforts de l’Église locale restent insuffisants et inadaptés. « L’Église doit repenser la façon dont elle peut soutenir leur développement socio-économique », souligne Boniface Khonglah.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews