Eglises d'Asie – Bangladesh
La population bangladaise exposée à l’insécurité alimentaire face à la crise
Publié le 10/12/2022
Suman Haldar, un catholique bangladais du district de Gopalgonj, dans le sud du pays, vit au village de Baniarchar avec sa femme, ses deux enfants et ses parents âgés. Ce propriétaire d’une petite boutique explique qu’il ressent fortement la hausse des prix, à tel point qu’il a dû rationner la nourriture pour les six membres de son foyer. « Avant, même durant la pandémie, je pouvais acheter un poulet par semaine, mais maintenant, c’est tout juste si nous arrivons à nous en payer une fois par mois », explique-t-il.
Sans compter que près de 33 millions d’habitants sont estimés sous le seuil de pauvreté au Bangladesh. « Il y a six mois, je gagnais plus de 15 000 takas par mois [138 euros], mais aujourd’hui je touche à peine 8 000 takas [74 euros] », ajoute-t-il, en précisant que sa famille se nourrit de riz et de légumes qu’ils font pousser sur un petit terrain qu’ils possèdent, et qui couvre environ un dixième d’hectare.
Il craint aussi de ne pouvoir payer des médicaments pour ses parents ou les frais de scolarité de ses fils – Romeo, un lycéen âgé de 16 ans, et Rahul, un collégien âgé de 12 ans. « Depuis que les prix alimentaires grimpent de jour en jour, cela devient particulièrement difficile d’acheter quoi que ce soit. J’évite même des produits comme du thé ou des biscuits. »
Il n’est pas le seul dans ce cas-là. Même les clients habituels de son commerce alimentaire dépensent de moins en moins. « La plupart d’entre eux achètent des choses en promettant de payer plus tard. Certains ne me remboursent pas comme promis, même si je comprends leur situation financière, puisque je vis la même chose », poursuit-il.
« Les inondations de mai à juillet ont affecté de nombreux habitants »
Face à la crise que traverse le pays, les gens ordinaires comme Suman Haldar craignent de ne pouvoir s’acheter de quoi se nourrir prochainement. Dans son dernier rapport, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a déclaré que le Bangladesh souffre localement de grave insécurité alimentaire à cause des contraintes économiques, des déplacements de réfugiés, des inondations et de la forte hausse des prix des produits alimentaires.
« L’insécurité alimentaire et le niveau de pauvreté ont augmenté à cause des pertes de revenus causées par les conséquences de la pandémie. Les inondations de mai à juillet ont aussi affecté de nombreux habitants, entre les personnes décédées ou blessées, les dégâts et les destructions d’infrastructures agricoles, ainsi que les pertes de bétail et de stock alimentaire », souligne la FAO dans son rapport global trimestriel. Outre les augmentations des prix du carburant, l’inflation a aussi entraîné une hausse des prix des produits alimentaires de base comme le riz, la farine, l’huile et les légumineuses, ajoute le rapport.
Insécurité et vulnérabilité alimentaire
Par ailleurs, en septembre, près de 37 % de la population du pays, sur 165 millions d’habitants, ont subi des baisses de revenus selon un rapport du Programme alimentaire mondial (PAM) intitulé « Veille de l’insécurité et de la vulnérabilité alimentaire au Bangladesh », publié à Dacca le 22 novembre. Le rapport indique que 80 % des quelque 1 200 répondants ont déclaré que le plus gros coup dur a été pour eux la hausse des prix alimentaires, suivi par celle des carburants, des coûts de transports et des dépenses médicales. Le PAM a identifié cinq types d’assistance nécessaires actuellement dans le pays : l’aide alimentaire (nécessaire selon 42 % des répondants), l’aide financière (46 %), l’aide médicale (26 %), le soutien à l’éducation (17 %) et au logement (9 %).
Le professeur Nazma Shahin, de l’Institut de la Nutrition et des Sciences alimentaires de l’Université de Dacca, explique que face à la crise, les gens réduisent leurs achats alimentaires et ont tendance à acheter moins de produits chers. Ce type de nourriture est en général pauvre en nutriments et riches en glucides, ce qui affecte la santé des gens. « Le gouvernement doit assurer que les habitants puissent acheter des aliments nutritifs ; même s’ils ne peuvent acheter de la viande ou du poisson, ils devraient au moins pouvoir manger des œufs et des légumineuses », ajoute-t-il.
« Le gouvernement doit aussi lutter contre la corruption »
Farida Akhtar, une mère de trois enfants âgée de 29 ans, du district de Sylhet dans le nord-est du Bangladesh, confie que sa famille se retrouve dans une situation misérable à cause des inondations fréquentes depuis l’an dernier. Son mari, Samsul Alam, âgé de 35 ans, qui travaille sur le terrain pour une ONG locale, est le seul à toucher un salaire dans le foyer. « J’ai du mal à couvrir les dépenses essentielles de la famille. Nous avons dû réduire nos achats de poisson et de viande », explique-t-elle.
Le professeur Mohammad Alamgir, qui enseigne l’économie à l’Université de Khulna, estime que si ces problèmes persistent, cela pourrait entraîner de multiples conséquences sur le plan social dans un avenir proche. « La hausse des prix est un problème, mais notre gouvernement doit aussi lutter contre la corruption dans le pays », souligne-t-il.
Le ministre des Finances, Mustafa Kamal, a annoncé un accord provisoire signé avec le FMI le 9 novembre, à propos d’une enveloppe de 4,5 milliards de dollars US destinée à stabiliser l’économie du pays et protéger les plus vulnérables. En évoquant les tensions économiques générales à l’échelle mondiale, le ministre a reconnu que le Bangladesh en ressent aussi les effets. « Le prêt du FMI a été signé par précaution pour éviter que la situation actuelle n’aggrave la crise », a-t-il précisé. Un premier versement de 447,8 millions de dollars est prévu en février prochain, suivi par six autres versements d’ici décembre 2026.
(Avec Ucanews)
CRÉDITS
Stephan Uttom / Ucanews