Eglises d'Asie

Dacca : volontaires et missionnaires engagés contre la toxicodépendance des enfants des rues

Publié le 11/02/2020




Le Bangladesh compte près de 7,5 millions de personnes droguées, selon Manas, une association de sensibilisation contre la toxicodépendance dans le pays. Parmi eux, les jeunes demandeurs d’emploi et les enfants pauvres et déscolarisés, particulièrement ceux venant de familles séparées ou vivant dans les bidonvilles, sont les plus exposés et vulnérables. Face au manque de contrôle de la police bangladaise et à la faiblesse des institutions et des politiques publiques, les volontaires, militants et missionnaires dénoncent le fait qu’il y ait de plus en plus de victimes parmi les jeunes et les enfants. Plusieurs organisations catholiques ont été fondées pour pallier les manques, à Dacca et dans les grandes villes, dont le centre Apon (Addiction rehabilitation residence), créé par un missionnaire américain en 1994. Le centre a accompagné, soigné et réhabilité de nombreux enfants au fil des années.

Frère Lucio Beninati, missionnaire catholique italien (PIME), soigne un enfant vivant dans la rue, en 2019 à Dacca.

L’esprit trop curieux et imprudent de Mohammad Noor (nom d’emprunt) l’a conduit trop tôt vers un chemin autodestructeur, mais l’adolescent a pu en réchapper et témoigner de son expérience. Jeune musulman de 14 ans, habitant dans le district de Gazipur en banlieue de Dacca, il s’est drogué très tôt jusqu’en 2018. « Je suis né dans une famille pauvre et mes parents se sont séparés. Ma mère m’a inscrit dans une école mais elle ne pouvait pas couvrir les frais de scolarité, donc j’ai quitté l’établissement. Je me suis finalement lié d’amitié avec des jeunes du quartier, avec qui j’avais l’habitude de jouer à la gare de Tongi », explique Mohammad Noor. Plusieurs de ses amis consommaient plusieurs drogues – des pilules de yapa (un mélange de méthamphétamine et de caféine), de la marijuana ou du dandy (une colle utilisée par les cordonniers dont on renifle les vapeurs). Par curiosité, le jeune garçon a commencé à renifler de la colle avant de consommer du yaba et de la marijuana. Un jour, il est monté dans un train pour Dacca et descendu à Kamlapur, où se trouve la plus grande gare ferroviaire du pays. Là, il s’est mis à ramasser des morceaux de ferraille pour les vendre, afin de pouvoir se nourrir et s’acheter de la drogue tous les jours, avant de finir par rencontrer des volontaires antidrogue dans la gare. Les volontaires dépendaient d’Apon (Addiction rehabilitation residence), une organisation de lutte contre la drogue et de réhabilitation, fondée en 1994 par un missionnaire américain, le père Ronald Drahozal. Un centre a d’abord été construit dans la capitale, avant de déménager dans le district de Manikganj, dans le centre du pays, où les toxicodépendants, enfants comme adultes, peuvent apprendre à revenir à une vie normale et libre de toute addiction. « Les volontaires m’ont emmené au centre. Là-bas, j’ai été soigné et accompagné, puis j’ai commencé à retourner à l’école. » Quand il a été pleinement rétabli, fin 2019, il a été renvoyé chez sa mère, avant de retourner à l’école régulièrement. Apon prend en charge ses frais de scolarité, et le personnel de l’organisation appelle sa mère régulièrement pour suivre ses progrès. « Maintenant, je suis heureux. Plus tard, je rêve de monter un nouveau centre comme Apon pour accueillir les enfants comme moi », explique-t-il.

Des centres pour pallier les manques des services officiels

D’anciens enfants drogués jouent au football au centre Apon, fondé par le P. Ronald Drahozal dans le centre du Bangladesh.

Muhammad Noor fait partie des dizaines d’enfants bangladais qui ont été accompagnés par Apon depuis la fondation du centre. « La plupart des enfants drogués trouvent facilement de la colle dandy et du cannabis. Certains consomment aussi du yaba, qui est devenu plus difficile à trouver après un renforcement de la loi. Nous leur offrons un traitement et un accompagnement, avant de les renvoyer à l’école où ils peuvent se réintégrer », confie Asaduzzaman Jewel, responsable des traitements au centre d’Apon. « Ils peuvent rester ici aussi longtemps qu’ils le désirent. Nous les envoyons à l’école, et ils rentrent chez eux quand ils le veulent. Puis nous restons en contact avec eux après leur départ. » Les enfants pauvres et déscolarisés, et particulièrement ceux qui viennent de familles séparées ou qui vivent dans les bidonvilles de la région, sont les plus vulnérables à la dépendance, assure Asaduzzaman Jewel, lui-même ancien drogué. Un projet baptisé Baraca (Bangladesh rehabilitation assistance center for addicts), dépendant de Caritas Bangladesh et fondé en 1988 par frère Drahozal, accompagne également les enfants des rues et les jeunes drogués depuis 2016. Baraca est l’un des plus anciens services de réhabilitation du pays. Le projet dirige deux centres d’accueil pour les enfants à Babu Bazar, dans la vieille ville de Dacca, où 45 garçons et 30 filles sont hébergés. « Nous proposons un accueil de nuit pour les orphelins et ceux qui n’ont nulle part où dormir. Il y a des enfants drogués qui sont accompagnés et soignés, nourris et éduqués », raconte John Montu Palma, directeur du projet. À ce jour, 24 garçons et 12 filles, dont plusieurs drogués, ont commencé à aller à l’école, explique-t-il. Autre association humanitaire basée au Bangladesh, la Street chilren service organisation a été fondée en 2007 par un missionnaire italien, le père Lucio Beninati (PIME). Son organisation a accompagné et soigné plus de 12 000 enfants des rues du pays, dont de nombreux drogués de Dacca, Sylhet et Chittagong.

De plus en plus d’enfants drogués

À cause du manque de contrôle de la police et des faiblesses des politiques et institutions officielles, de plus en plus d’enfants des grandes villes du pays deviennent drogués, affirment les campagnes de lutte contre la drogue. Rien qu’à Dacca, on compte environ 250 000 enfants qui vivent dans la rue, dont au moins 30 % sont drogués, indique Asaduzzaman Jewel, qui ajoute que les enfants pauvres sont souvent utilisés afin de faire passer de la drogue sans danger, et ils finissent par consommer plusieurs drogues eux-mêmes. « Il y a des centres publics pour accueillir les enfants des rues, mais il n’y a aucune institution officielle pour les enfants drogués. Il y a des instituts privés, mais cela ne suffit pas. Nous devons vraiment réagir face au nombre de plus en plus élevé d’enfants drogués. » Rabiul Alam, directeur du département national de contrôle des narcotiques (DNC), reconnait le manque de centre ou de service national dédié aux enfants drogués. « Nous ne pouvons pas les accueillir dans les centres pour les enfants des rues parce qu’ils pourraient influencer les autres enfants. Nous prévoyons de lancer des services et des centres dédiés à l’avenir. Pour le moment, nous donnons la priorité à la lutte antidrogue en général, pour que tout le monde, y compris les enfants, puisse éviter de tomber dans la toxicodépendance. » Selon Manas (Association for prevention of drug abuse), une association de sensibilisation antidrogue, le Bangladesh compte environ 7,5 millions de drogués. Parmi eux, les jeunes sans emploi et les enfants déscolarisés sont les plus vulnérables. En 2018, le pays a lancé une forte répression contre la prolifération de la drogue, au cours de laquelle plusieurs milliers de dealers et de trafiquants ont été tués par la police, et plusieurs milliers d’autres arrêtés. Les militants pour les droits de l’homme et les responsables chrétiens du pays ont dénoncé la répression violente.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom/ Ucanews