Eglises d'Asie – Birmanie
Dans l’État Rakhine, les réfugiés confrontés aux conflits internes et à la menace du coronavirus
Publié le 28/08/2020
Le vendredi 21 août, l’armée birmane, représentée par le général major Zaw Min Tun, a accepté, à l’issue d’une conférence de paix nationale, le projet de faire du pays une union fédérale. Cette conférence de paix, où certains groupes armés n’étaient pas présents, se clôt donc sur ce qui représente potentiellement une concession théorique mais majeure aux diverses insurrections et partis autonomistes et indépendantistes du pays. Elle pourrait redessiner le mode de gouvernement du pays après les élections prévues en novembre 2020. L’Armée unie de l’État Wa et l’Armée d’Indépendance du Kachin, par exemple, ont refusé de se rendre à la conférence par solidarité avec l’Armée de l’Arakan, considérée depuis mars comme un groupe terroriste, et donc exclue des négociations – cette dernière est basée dans l’État Rakhine et au sud de l’État Chin. Or, le 29 avril dernier, l’envoyé des Nations unies accusait l’armée de bombardements d’artillerie et d’aviation sur des villages dans le cadre de sa lutte contre l’Armée de l’Arakan, malgré les appels à cesser le feu et à suspendre les hostilités qui ont abondé, depuis le début de la pandémie, de la part des Nations unies et du pape François.
De plus, un nouveau foyer de Covid 19 est apparu à Rakhine le 16 août, dans l’ouest du pays, à la frontière avec l’Inde et le Bangladesh. Myat Htut Nyunt, directeur de l’Institut national de recherche médicale, affirme que le virus présente la même mutation détectée en Europe et aux Amériques, plus infectieuse que celle apparue à Wuhan, et les autorités appellent en conséquence à une vigilance accrue. Selon le Myanmar Times, 200 personnes ont été infectées depuis le 16 août dans la région. Depuis, la ville portuaire de Sittway est confinée, placée sous un couvre-feu, et les vols domestiques vers la capitale sont suspendus. La dirigeante Aung San Suu Kyi affirme redouter des contaminations à Rangoun et demande aux citoyens de signaler tout voyageur venant de la ville. Cette région est également le foyer des persécutions envers les Rohingyas, et la publication d’un rapport sur l’adhésion du gouvernement aux principes de protection des Rohingyas reste attendue. Ainsi, les conflits restent latents.
100 000 déplacés internes à Rakhine
Bien que la crise sanitaire puisse être une occasion, pour l’État central, d’accroître son contrôle, Aung San Suu Kyi récuse les accusations portées contre son gouvernement : « L’État Rakhine est un grand défi pour tout le pays. Nous avons subi de fortes pressions extérieures à cause des évènements advenus dans l’État Rakhine. Au lieu d’une coopération efficace et d’assistance, il y a eu de nombreuses critiques et pressions. Nous ne devons pas nous laisser décourager. Nous pouvons faire face à tout cela avec la force collective de notre peuple. La résolution des problèmes de notre pays n’a impliqué aucune discrimination de religion ou de race. » (Communication publique du Bureau de la conseillère d’Etat sur Facebook, datée du 25 août 2020). Selon l’agence Reuters, la ville de Sittwe abrite aussi environ 100 000 réfugiés Rohingyas, dans des camps en place depuis 2012. Le manque de liberté et d’accès aux soins les rend très vulnérables à l’épidémie et ne permet pas d’assurer des normes d’hygiènes, sans parler de distanciation physique. D’autre part, l’épidémie risque d’aggraver l’isolement et l’hostilité auxquels ils font face. La région compte près de 100 000 déplacés internes (IDP) résidents dans des camps, et trente cas ont déjà été recensés en provenance de quatre camps. Les mesures sanitaires et les aides toucheront plus difficilement ces lieux, malgré l’urgence de la situation.
« Contraints de fuir comme Jésus-Christ »
Par ailleurs, les restrictions imposées sur Internet dans l’État Rakhine sont également en question, le réseau étant aujourd’hui limité à un débit de 2G et coupé dans huit localités. Le discours de la conseillère d’État, cité plus haut, comme les instructions diffusées sur Internet par le ministère de la Santé et des Sports, a donc une accessibilité réduite dans la région concernée. Une mauvaise diffusion de l’information, en contexte épidémique, risque d’aggraver les conséquences, entre l’ignorance des règles de sécurité et l’apparition de rumeurs. La conseillère d’État semble déterminée à assurer l’assistance médicale malgré le manque de contrôle de l’État central dans la région, en invoquant l’unité nationale autour des principes de compassion et d’égalité. Il reste à déterminer dans quelle mesure cette réaction à la pandémie prendra en compte les plus vulnérables.
Le plus haut représentant de la communauté catholique dans le pays (environ 1 % de la population), le cardinal Charles Maung Bo, s’est exprimé lors de la Journée mondiale des réfugiés, le 20 juin dernier, en faveur des droits des personnes déplacées de force, en soulignant les risques particuliers encourus par les résidents des camps dans le contexte pandémique. L’épidémie pourrait aussi conduire à une marginalisation accrue des populations déplacées, exclues et mal protégées par les lois. En 2019, ces déplacés internes représentaient près de 80 millions de personnes dans le monde. Ces questions nourriront la prochaine Journée mondiale du migrant et du réfugié, qui se tiendra le 27 septembre. Le Saint-Père a choisi comme titre de son traditionnel message : « Contraints de fuir comme Jésus-Christ. Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer les déplacés internes. »
(EDA / Jacques Carrot)
CRÉDITS
Stephan Uttom / Ucanews