Eglises d'Asie – Thaïlande
Des jeunes catholiques thaïlandais s’expriment sur le mouvement étudiant prodémocratie
Publié le 26/08/2020
Des manifestations contre le gouvernement sont organisées dans toute la Thaïlande, tant dans la capitale que dans les provinces, dans les universités comme dans les lycées. Bien que les manifestants soient dispersés dans l’ensemble du pays, ils sont unis par « trois demandes et un rêve » : une dissolution parlementaire, une nouvelle Constitution, l’arrêt des menaces contre le peuple et une réforme de la monarchie – un projet idéal qui, dans l’esprit des jeunes manifestants, n’est pas impossible à concrétiser. « Ça suffit ! », proclamait une des figures du mouvement lors du plus grand rassemblement, organisé le dimanche 16 août avec environ 10 000 participants. Deux simples mots représentant l’espoir de remettre le pays sur la bonne route et de rétablir la dignité humaine, et l’exaspération grandissante devant la dictature, la corruption et l’injustice. Un « hashtag » est très répandu sur Twitter depuis quelque temps parmi les jeunes prodémocratie : « Que cela se termine avec notre génération ». Tim (tous les prénoms ont été modifiés), un étudiant catholique en quatrième année, partage son point de vue sur la manifestation : « Je suis tout à fait d’accord avec le mouvement. Nous ne pouvons pas nous taire devant la situation actuelle. Il nous faut défendre nos droits et nos libertés. Autrement, nos peines et nos souffrances se cachent derrière les masques, tandis que la répression politique continue. Cela fait un certain temps que nous constatons le dysfonctionnement de ce gouvernement et ses conséquences désastreuses dans le pays. »
Trois jeunes catholiques pratiquants, interrogés sur les raisons de leur engagement dans la sphère politique, avouent qu’il est impossible de fuir la politique. Frank, de l’aumônerie des étudiants, affirme que « tout est politique ». « Nous sommes tous, d’une certaine manière, concernés par la politique, quel que soit notre âge ou notre profession. Elle vient à nous », ajoute-t-il. Un deuxième ajoute : « On [le gouvernement] a approuvé un budget pour acheter des sous-marins, alors que nous sommes en pleine crise sanitaire et économique néfaste ! Cela nous fait beaucoup réfléchir. En avons-nous vraiment besoin ? » Plusieurs personnalités politiques thaïlandaises dénoncent les opposants comme antipatriotiques, mais Frank affirme au contraire que « nous ne détestons pas notre pays, comme nous le reprochent beaucoup d’adultes ». « Nous cherchons une solution équitable et durable pour que la Thaïlande puisse sortir du cycle vicieux : un gouvernement corrompu, une intervention militaire par le biais d’un coup d’État, et une nouvelle élection qui élira à nouveau des corrupteurs », souligne-t-il.
« Faire entendre le cri des pauvres, des opprimés »
« Nous ne voulons pas la révolution, mais une réforme. Nous ne cherchons pas à démolir la monarchie comme cela a été fait en France », explique Jib, un étudiant de 20 ans. « Nous voulons que le roi règne vraiment par et sous la Constitution. » Les rassemblements, pour certains, ne sont pas considérés simplement comme des mouvements « contre le gouvernement », mais « contre la monarchie ». Cette dernière est un sujet tabou que personne n’osait autrefois aborder ouvertement. Depuis quelques années, les réseaux sociaux ont aiguisé la curiosité de nombreux étudiants et de lycéens. Ils suivent, sur Facebook, des universitaires en exil comme Somsak Jeamteeras et Andrew MacGregor Marshall, dont chacun présente à sa façon les informations concernant la monarchie, non publiées dans le pays. Récemment, Royalist Marketplace, le groupe Facebook lancé par Pavin Chachavalpongpun, un universitaire thaïlandais exilé au Japon, est devenu un espace de discussion sur la monarchie pour des jeunes gens de tous les âges, inspirés par une vraie démocratie au sein d’une véritable monarchie constitutionnelle (un groupe Facebook bloqué depuis par les autorités).
En observant la situation actuelle en tant que croyant catholique, Jib estime que « les enseignements catholiques nous apprennent à aimer, à partager et à aider les autres pour le bien commun ». « Le fait que nous nous manifestions peut permettre de faire entendre le cri des pauvres, des opprimés, ou de ceux qui sont dans l’oubli à cause du système actuel injuste », explique-t-il. Son camarade ajoute cependant qu’il « comprend que le statut de certains, les officiers par exemple, les oblige à garder le silence ». « Ils doivent respecter les ordres de leurs supérieurs, même si quelques-uns nous soutiennent », affirme-t-il.
Frank n’hésite pas à parler du fond du cœur : « J’aimerais que l’Église s’engage concrètement et nous rejoigne. Il est évident que le gouvernement n’a aucune dignité comme le montrent une série de disparitions inexpliquées, de menaces et d’arrestations des militants prodémocratie. Les jeunes d’aujourd’hui croient aux actions, et non aux seules paroles. Le pape François promeut d’ailleurs la culture de la tolérance et demande de respecter les différences. L’Église thaïe, à mon avis, doit pratiquer ce qu’elle enseigne. Mais je pense pouvoir comprendre son attitude. D’une part, les catholiques sont peu nombreux, et le régime peut les menacer à tout moment. De plus, l’Église thaïe est proche de la monarchie. Dans l’histoire, le roi Rama IV et Mgr Pallegoix, l’évêque de Siam au 19e siècle, étaient de très bons amis. Cela ne m’étonne pas si l’Église reste muette. »
(EDA / TL)
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TL