Eglises d'Asie

Des milliers d’ouvriers du textile durement touchés par des fermetures d’usines au Bangladesh

Publié le 07/12/2019




Selon les propriétaires du textile au Bangladesh, comme Dr Rubana Huq, présidente de la BGMEA (l’association des patrons du secteur du textile dans le pays) et directrice générale de la société Mohammadi Group Ltd, le secteur est en difficulté depuis quelques mois. Pour cette dernière, cette situation est liée à des facteurs externes comme le ralentissement économique en Europe et en Amérique du Nord, à la guerre commerciale sino-américaine ou encore à l’émergence de nouveaux marchés au Vietnam, en Inde et en Birmanie. Elle attribue également la crise au manque d’innovations et de mesures environnementales. Mais certains détracteurs dénoncent également une propagande destinée à cacher les irrégularités et les conditions de travail qui demeurent problématiques malgré la pression internationale.

Jusqu’en septembre dernier, Tarik Hasan, 42 ans, musulman et père de deux enfants, travaillait pour Angela Fashions, une usine de textile de Chittagong, une ville côtière dans le sud-est du Bangladesh. Cette petite usine employait 225 salariés comme Tarik, et dépendait de commandes provenant de l’étranger et de contrats de sous-traitance avec plusieurs grands industriels pour assurer la production et maintenir la société à flot. Pendant plusieurs mois, l’usine avait subi des pertes à cause d’une chute inquiétante des commandes intérieures et extérieures. En octobre, elle a fini par fermer, laissant tous ses employés sans travail. Malgré le droit du travail au Bangladesh, qui stipule des indemnités de licenciement en cas de rupture brutale du contrat de travail, les ouvriers n’ont rien reçu. Beaucoup de travailleurs de l’usine comme Tarik n’ont pas pu retrouver du travail dans d’autres usines, à cause des difficultés actuelles de l’industrie du textile dans le pays. Tarik travaillait pour Angela Fashions depuis quinze ans, et gagnait environ 15 000 takas (159 euros) par mois, en tant que contrôleur qualité. Aujourd’hui, il est ouvrier journalier et gagne moins de la moitié de son ancien salaire. Sa femme est devenue employée domestique pour subvenir aux besoins de la famille. « Nous devons gagner suffisamment d’argent pour pouvoir couvrir toutes nos dépenses et soutenir l’éducation de nos enfants, qui vont tous les deux à l’école. La fermeture de l’usine est une catastrophe pour des familles comme la nôtre. Nous nous démenons pour pouvoir survivre », explique-t-il. Tarik Hasan n’a pas d’autres compétences professionnelles, ce qui ne lui laisse que peu d’alternatives d’emplois : « Je connais beaucoup de travailleurs comme moi qui risquent de devenir sans emploi eux aussi, parce que de nombreuses usines font face à une baisse de production ces derniers temps. Sans le soutien du gouvernement, les ouvriers comme nous se retrouvent démunis face à cette situation. »

Second secteur du pays après l’agriculture

Des cas comme Tarik Hasan et l’usine Angela Fashions pourraient n’être que la partie émergée de l’iceberg, qui pourrait annoncer une crise imminente pour le textile bangladais. Au moins 60 usines de textile ont dû fermer ces derniers mois, en mettant à la porte près de 30 000 ouvriers, selon BGMEA (Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters Association), l’association des patrons du secteur du textile. Selon les médias locaux, en plus des entreprises membres de la BGMEA, une quarantaine d’autres petites usines ont dû fermer et en tout, 60 000 ouvriers ont perdu leur emploi, alors que les commandes provenant de l’étranger ont chuté de près de 17 % depuis l’an dernier. Avec un niveau d’exportation annuel de près de 30 milliards de dollars, l’industrie textile bangladaise est la deuxième du secteur à l’international après la Chine, et fournit des vêtements pour des marques haut de gamme en Europe et en Amérique du Nord. L’industrie emploie près de quatre millions de personnes dans le pays, dont une majorité de femmes des régions rurales, ce qui en fait le second secteur le plus recruteur du pays après l’agriculture. Le textile est également la première source de devises du Bangladesh, ce qui en fait un secteur vital pour ce pays pauvre d’Asie du Sud-Est. Le secteur est connu depuis des années pour des conditions de travail dangereuses et des pratiques douteuses et laxistes, qui ont entraîné la mort de plusieurs centaines d’ouvriers dans des incendies ou dans l’effondrement d’un bâtiment en 2013. Depuis la catastrophe du Rana Plaza, survenue le 24 avril 2013 à Dacca (qui a causé plus de 1 130 victimes), l’industrie a appliqué de nombreuses réformes sous la pression insistante des syndicats, des acheteurs étrangers et de la communauté internationale. Le Dr. Rubana Huq, présidente de la BGMEA, affirme que le textile bangladais s’est réformé graduellement, mais qu’il n’était pas préparé à la chute du marché. « L’industrie du textile a connu une croissance négative ces derniers mois, qui est due en grande partie à des changements profonds du scénario économique mondial. Les acheteurs deviennent plus sélectifs et recherchent des produits plus qualitatifs, ce pour quoi nous sommes mal préparés à l’heure actuelle », ajoute Rubana Huq, également directrice générale de la société Mohammadi Group Ltd. Selon elle, cette situation est liée au ralentissement économique en Europe et en Amérique du Nord, à la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, et à l’émergence de nouveaux marchés du textile dans des pays comme le Vietnam, l’Inde et la Birmanie. Elle attribue également la crise du textile bangladais au manque d’innovations et de mesures environnementales. « De nombreuses usines se sont montées de façon irréfléchie, et quand des acheteurs refusent de commander auprès d’usines sans label vert elles souffrent. De plus, nous devons nous renouveler et devenir plus innovants pour maintenir le secteur », ajoute Rubana Huq.

Accusations de propagande

Les responsables syndicaux du secteur soutiennent cependant que la situation est meilleure que ce qui est annoncé. « À notre connaissance, le secteur se comporte normalement, et seules les petites usines perdent du terrain face aux plus grosses industries », assure Jolly Talukder, secrétaire du groupe Garment Workers Trade Union, basé à Dacca. « Les propriétaires d’usine ont amassé beaucoup d’argent qu’ils ont blanchi dans des comptes bancaires à l’étranger. C’est juste de la propagande pour déposséder les ouvriers. » Pour elle, les grandes entreprises veulent faire disparaître les petites usines, et font tout ce qu’elles peuvent pour faire pression sur elles en refusant de passer des commandes. « Les hommes d’affaires cherchent à se faire plus d’argent, et pour cela, ils sont prêts à faire des choix non éthiques. Les affaires sans éthique et sans humanité, ce n’est pas une bonne chose parce qu’au final, cela dépossède ceux qui sont en bas de l’échelle, les ouvriers. »

Soutien de Caritas Bangladesh

La Caritas bangladaise offre un certain nombre de programmes d’aide pour les ouvriers du textile, bien qu’il n’y ait pas de projet spécifique, confie Ranjon Francis Rozario, directeur général adjoint de la Caritas nationale. L’organisation propose des allocations mensuelles aux victimes de l’incendie de l’usine Tazreen en 2012, et de l’effondrement du Rana Plaza en 2013, avec des dons envoyés par des bienfaiteurs et des acheteurs étrangers, explique Ranjon. « Nous avons des centres d’accueil de jour pour les enfants des ouvriers de Dacca et de Chittagong, où ils sont nourris et scolarisés gratuitement. À l’avenir, nous aimerions ouvrir davantage de centres d’accueil dans les zones industrielles », ajoute-t-il. « Les travailleurs du textile sont issus des populations rurales démunies, et les ONG comme la nôtre ont peu de ressources à exploiter pour pouvoir soutenir ceux qui perdent leur emploi. Le gouvernement doit intervenir pour les aider. »

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews