Eglises d'Asie

Des moines bouddhistes mènent la lutte anti-plastique en Thaïlande

Publié le 05/11/2019




En Thaïlande, les bonzes du temple de Chat Deng, situé en banlieue de Bangkok, à vingt minutes du centre de la capitale sur les rives du fleuve Chao Praya, estiment que la sauvegarde de l’environnement est désormais un devoir religieux prioritaire pour tous les bouddhistes. Ils ont même décidé de transformer leur monastère en centre de tri et de recyclage des déchets afin de donner l’exemple. Main dans la main aux côtés des associations étudiantes, ils tentent de transformer les mentalités dans un pays encore très dépendant du plastique.

Au temple de Chat Deng, à une vingtaine de minutes du centre de Bangkok, sur les rives du fleuve Chao Praya, la journée commence tôt. Après les prières et méditations du lever du soleil, vers 6 heures, les bonzes enfilent un gilet de sauvetage par-dessus leurs toges orange et descendent dans de petites barques le long du fleuve. Armés de filets de pêche – parfois avantageusement remplacés par de vieilles grilles de ventilateur vissées au bout d’un bâton –, ils sont prêts à ramasser tous les déchets qu’ils trouveront dans l’eau : bouteilles en plastique, bols en polystyrène, vieux bidons de lessives… « Un jour normal, on ramasse facilement deux à trois cents kilos de déchets en une heure ou deux, sans trop s’éloigner du temple », raconte Pra Maha Pranom Dhammalangkaro, vice-directeur du temple. « Il est déjà arrivé qu’on en récupère une tonne. » Avec une moyenne de huit sacs plastique utilisés par jour et par personne (douze fois plus que dans l’Union Européenne !), la Thaïlande, malgré sa taille modeste, occupe le sixième rang mondial de pollution des océans. Les Thaïlandais cuisinent peu à la maison et préfèrent manger des plats frais préparés dans la rue à emporter, dont les emballages se retrouvent souvent dans les cours d’eau et au large des côtes.

Les moines sont aidés dans leur tâche par des communautés de pêcheurs des environs, qui leur enseignent des techniques pour ramasser un maximum de déchets. « On opère à une heure précise, à marée haute », explique le moine Ajaan Kai, abbé du temple. « On a une fenêtre de trois heures environ. Après cela, les déchets sont emportés vers l’océan. Il est très important de bien observer la nature pour être efficace, et de s’inspirer des méthodes des pêcheurs. » Une fois revenus sur la terre ferme, les moines trient et surtout recyclent. Avec les déchets organiques, ils fabriquent de l’huile. Avec le plastique, du tissu. Grâce à l’implication de volontaires locaux, dont beaucoup d’ouvriers birmans qui travaillent dans les usines des environs, les bouteilles sont dépouillées de leurs étiquettes et de leurs joints en plastique. Elles sont ensuite broyées dans une machine et transformées en fibres de polyester pour tisser des robes de bonzes, orange ou marron – les deux couleurs du clergé masculin en Thaïlande. Comme les religieux ne sont pas autorisés à faire du commerce, les robes sont distribuées gratuitement à d’autres monastères. Pour les centaines de volontaires présents chaque semaine, il s’agit de « faire du mérite », des bonnes actions au service de la communauté des moines. Une façon, selon la croyance populaire, d’améliorer son « karma » et de s’assurer une bonne réincarnation. « Nous n’avons pas beaucoup d’argent à donner au temple », explique l’un des ouvriers birmans venus épauler les moines, « alors on donne de notre temps libre. » En plus des déchets ramassés par les moines eux-mêmes, le temple reçoit des « dons de plastique » de la part des riverains. Il faut en moyenne une douzaine de bouteilles pour fabriquer une robe.

Que faut-il posséder pour être heureux ?

Ces moines écologistes espèrent pouvoir inspirer un mouvement national de protection de la nature, qui selon eux découle tout naturellement des enseignements du Bouddha. « Dans nos écritures sacrées, la nature, et surtout les arbres, qui favorisent la méditation, occupent une place essentielle », explique Pra Maha Pranom Dhammalangkaro. « Le Bouddha est né et mort sous un arbre, et sous un arbre il est devenu l’Éveillé. » Ajarn Kai va plus loin : « Aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, je dirais que c’est un devoir pour tous les Bouddhistes, non seulement de faire tout leur possible pour protéger les arbres, mais aussi de planter de nouveaux arbres. » La Thaïlande est particulièrement menacée par le changement climatique. Selon plusieurs études, si rien n’est fait, sa capitale, Bangkok, disparaîtra sous l’eau d’ici 2050. Pour transformer les usages et les mentalités, les moines de Chat Deng veulent s’appuyer sur un réseau de monastères engagés, notamment les monastères de forêts « où les moines vivent de façon complètement écologique et autosuffisante depuis toujours ; simplement, auparavant, ça n’intéressait personne » précise Ajarn Kai. Ils comptent aussi sur la jeunesse. Chaque semaine, ils reçoivent étudiants et associations pour leur parler de recyclage mais aussi de la nécessité de baisser leur consommation, un élément essentiel, selon eux, à tout projet durable de société respectueuse de l’environnement.

Pour accélérer la prise de conscience, les moines formateurs organisent des exercices pratiques. Ils font passer un objet à la ronde (un sac, un livre, une tasse…) et demandent aux étudiants d’énumérer toutes les matières qui le composent, toutes ses propriétés et ses fonctions possibles, ainsi que toutes les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, ont participé à sa fabrication – du directeur marketing à la femme de ménage qui balaie l’usine de fabrication. L’idée principale étant d’éviter un sermon sur la nécessité de consommer moins, mais plutôt d’engager ces jeunes à porter une attention soutenue au monde qui les entoure et à l’interconnexion des actions humaines. « La clé, c’est la présence à soi-même », estime Ajarn Kai. « C’est la condition pour pouvoir changer ses habitudes et son comportement. Sinon, on répète sans cesse les mêmes erreurs. » Les religieux ouvrent aussi le dialogue sur des questions philosophiques comme le bonheur. Que faut-il posséder pour être heureux ? demandent-ils à leur jeune auditoire. Une question à laquelle ils considèrent qu’il faudrait savoir répondre avant de pouvoir espérer une baisse de la consommation à l’échelle d’une société.

(EDA / Carol Isoux)


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Carol Isoux