Eglises d'Asie – Bangladesh
Dinajpur : les catholiques indigènes appellent l’Église locale à devenir autosuffisante
Publié le 18/07/2020
« Je ne peux pas imaginer où je serais sans le soutien que j’ai reçu de l’Église depuis l’enfance », confie Albericus Khalko, âgé de 40 ans, un catholique de l’ethnie Oraon. Albericus considère son lien depuis toujours avec l’Église comme une bénédiction. Aujourd’hui, il travaille pour une organisation privée dans la capitale, et appartient à la paroisse de Notre-Dame des Douleurs de Mariampur, dans le diocèse de Dinajpur (dans le nord du pays), majoritairement indigène. Né dans une famille pauvre, Albericus Khalko a reçu une scolarité gratuite dans des pensions et internats dirigés par l’Église locale. Il a fini par décrocher un diplôme d’études sur le développement à l’université de Dacca, l’institut supérieur public le plus prestigieux du pays. En signe de gratitude, il a également pu soutenir l’Église économiquement en plusieurs occasions. Pourtant, il estime que l’Église locale ne fait pas suffisamment pour devenir autosuffisante, malgré ses propriétés, ses terres et les opportunités existantes. « Il y a plusieurs décennies, les paroisses bangladaises vivaient en grande partie grâce aux dons étrangers. Beaucoup de choses ont changé, mais les Églises locales sont toujours aussi dépendantes des dons », déplore-t-il. Albericus cite notamment l’exemple de la paroisse de Mariampur, qui compte plus de 13 hectares de terres agricoles, mais qui se repose toujours sur une allocation reçue du diocèse pour gérer ses activités.
« Alors que la paroisse reçoit des financements de la part du diocèse pour ses différents programmes, notamment pour deux pensions pour les jeunes, elle impose également des frais de scolarité que les familles les plus démunies ont du mal à payer. Si l’Église utilisait ses propres ressources correctement, elle pourrait être autosuffisante », assure-t-il. La paroisse de Mariampur, fondée en 1930 dans le district de Dinajpur, fait partie des paroisses les plus grandes et les plus anciennes du diocèse. Elle compte environ 7 344 catholiques indigènes, pour la plupart illettrés, pauvres et paysans sans terres. Le père Samson Marandy, curé de la paroisse, explique que l’Église locale a besoin d’environ 100 000 takas (1 033 euros) par mois pour payer toutes ses factures. Il reçoit la moitié de l’évêque, et le reste vient des revenus de la paroisse. « Nous essayons d’utiliser les terres agricoles au mieux en louant 6 hectares et en cultivant le reste. Les coûts de production sont élevés à cause des dépenses en fertilisants, en eau d’irrigation et en main d’œuvre », ajoute-t-il. « Nous donnons toujours la priorité aux catholiques pour la location des terres, mais parfois, ils manquent de moyens, c’est pourquoi nous louons aussi à des musulmans de temps en temps. »
« L’Église continue de dépendre des dons pour survivre »
Charubin Hembrom, catholique Santal et animateur laïc local, de la paroisse Saint-François d’Assise de Dhanjuri, pense lui aussi que l’Église locale peut être plus créative dans la gestion de ses propres ressources. La paroisse de Dhanjuri, fondée en 1909, est la plus ancienne du diocèse et compte environ 8 155 fidèles. Elle possède une quinzaine d’hectares, dont une dizaine d’hectares de terres cultivables ; la moitié des terres de la paroisse ont été louées à des catholiques il y a dix ans. « Certains habitants en ont bénéficié, mais ce serait bien que la paroisse elle-même puisse produire des bénéfices grâce à ses biens. Pas seulement par l’agriculture ; on pourrait facilement créer un élevage de volailles, une ferme bovine et des bassins de pisciculture. Ce genre de projets pourrait non seulement apporter de l’argent mais créer des emplois pour beaucoup de paroissiens », estime Charubin Hembrom, 63 ans, père de quatre enfants, qui a lui-même étudié dans des écoles et pensionnats catholiques. Il est aujourd’hui assistant médical à l’Hôpital pour lépreux de Dhanjuri. Il ajoute qu’il a régulièrement conseillé à la paroisse de se lancer dans des projets qui puissent générer des revenus, en vain. « De nombreuses années ont passé depuis que nos ancêtres sont devenus chrétiens, mais l’Église continue de dépendre des aides pour survivre. Cela ne peut pas durer éternellement », confie-t-il.
« Le Bangladesh reste un pays pauvre, c’est un objectif difficile à atteindre »
Le père Michael D’Cruze, curé de la paroisse de Dhanjuri, explique que la paroisse manque de ressources, et que le diocèse n’a pas les moyens de s’autogérer face à la crise sanitaire. Il assure que les terres de la paroisse sont utilisées autant que possible. « L’argent que nous recevons grâce à la location des terres est vital pour la paroisse, et les récoltes des terres que nous cultivons permettent de nourrir les élèves de nos deux pensions. Nous n’avons pas les moyens financiers, humains et matériels pour utiliser nous-même toutes nos terres », ajoute-t-il. « Je reconnais que la paroisse pourrait être autosuffisante en lançant des élevages, mais faute de moyens financiers et de main d’œuvre disponible, nous ne pouvons pas nous lancer dans ce genre de projets », assure le prêtre. Mgr Sebastian Tudu, évêque de Dinajpur, partage son avis. Il ajoute que la riziculture est majoritaire dans la région, mais que l’agriculture « n’est pas suffisamment rentable à cause des nombreuses charges et du cours du riz qui est trop bas, ce qui entraîne des pertes ». « Louer les terres est la meilleure option, ce qui permet aux moins aux plus pauvres de cultiver des terres et d’en tirer un certain bénéfice », souligne l’évêque.
Mgr Tudu ajoute que le diocèse encourage les jeunes à se former pour devenir autosuffisants. Le père Michele Brambilla, supérieur régional PIME, estime que les premiers missionnaires ont acheté ces terres afin de répondre aux besoins de l’Église. « Il fallait des terres et des propriétés pour diriger des services comme des écoles, des pensionnats et des hôpitaux. Mais aujourd’hui, on peut réfléchir à d’autres moyens de devenir autosuffisants. Cela dit, le Bangladesh reste un pays pauvre, et c’est un objectif difficile à atteindre », confie le prêtre. De son côté, Albericus Khalko suggère que les prêtres reçoivent des formations en études du développement afin d’être plus créatifs et de contribuer davantage au développement socio-économique. « Aujourd’hui, les activités spirituelles et pastorales ne suffisent pas ; il faut consacrer davantage de temps aux besoins de développements. Des talents en gestion et en management sont nécessaires pour permettre à l’Église bangladaise de devenir autosuffisante, en utilisant ce qu’elle a déjà. »
(Avec Ucanews, Dinajpur)
CRÉDITS
Stephan Uttom / Ucanews