Eglises d'Asie – Chine
Emmanuel Lincot, sinologue : « Il n’est pas question pour le pape d’abandonner la Chine. Il faut maintenir le lien. »
Publié le 16/09/2023
Âgé de 53 ans, professeur des universités et consultant français, Emmanuel Lincot est spécialiste de l’histoire politique et artistique de la Chine contemporaine. Il est enseignant-chercheur à la Faculté de lettres de l’ICP (Institut catholique de Paris) et chercheur-associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
De retour de son voyage en Mongolie, à la frontière de la Chine, le pape François a confié qu’il était « bon d’entrer en dialogue avec ce grand continent ». Ce voyage semble s’inscrire parmi les tentatives de rapprochement du Vatican avec le monde chinois ?
Ce voyage est dans la continuité diplomatique avec celui de saint Jean-Paul II quand il s’est rendu au Kazakhstan, à la frontière de la Chine, de la même manière que le pape François s’est rendu aujourd’hui en Mongolie. C’était sans doute aussi pour se rapprocher de la minorité catholique mongole, mais en fait, ce voyage s’est situé à quelques encablures de la Chine. Il y a d’ailleurs des catholiques chinois qui se sont rendus à Oulan-Bator pour rencontrer le Saint-Père.
Pour le pape François, qui est le premier pape jésuite de l’histoire, la Chine est une terre de mission et d’évangélisation, donc il n’est pas question pour lui d’abandonner la Chine, il faut maintenir le lien, c’est indispensable. Cela s’inscrit sur le temps long et il faut maintenir le lien, quitte à avaler quelques couleuvres…
L’essentiel pour le Vatican est de se rapprocher : c’est une politique de compromis, de tâtonnements, et cela s’inscrit dans une stratégie à plus long terme. Le pape souhaite une reconnaissance mutuelle à terme entre les deux États. Peut-être la verra-t-on de son vivant ? Il y a une volonté, malgré tout, de tenir arrimée au monde la Chine, qui représente tout de même un cinquième de l’humanité ! D’autant plus qu’on y compte de nombreux convertis, de manière exponentielle. Majoritairement protestants, mais les catholiques ne sont pas en reste. C’est une véritable terre de mission.
Le voyage entrepris en avril dernier par Mgr Chow, l’évêque de Hong-Kong, va aussi dans ce sens…
Il y a une stratégie globale, et le Vatican donne une impulsion générale. Il y a certes eu des échecs ces derniers temps. Mais qu’importe. C’est une diplomatie multivectorielle, avec une impulsion donnée par le Vatican, qui n’hésite pas à inciter les Églises locales à multiplier les initiatives semblables. Le voyage du prélat de Hong-Kong à Pékin va effectivement dans ce sens.
Par ailleurs, Xi Jinping, bien qu’il soit un communiste pur jus, n’est pas indifférent à ce propos, bien sûr pas sur le plan spirituel, mais vis-à-vis des répercussions que cela pourrait impliquer pour Taïwan… Car tout cela risque de se faire aux dépens de Taïwan, qui maintient toujours un lien diplomatique officiel avec le Vatican. C’est un enjeu important qui explique que le pape François soit entravé quelque peu vis-à-vis de Taïwan. Il y a 16 États au monde qui reconnaissent Taïwan, dont le Vatican, donc affaiblir ce lien serait une catastrophe pour Taïwan !
Par ailleurs, Xi Jinping sait aussi la révolte qui taraude toute la jeunesse chinoise actuellement, dans le cadre du mouvement « Tangping » (« s’allonger à plat », se coucher), en référence aux jeunes qui ne veulent plus travailler comme leurs aînés… La conjoncture économique est passée par là, avec la hausse du chômage, et la Chine doit trouver de nouvelles valeurs, parce que plus personne ne croit aux valeurs communistes. Cette crise des valeurs conduit à de nombreuses conversions.
Peut-on encore dire qu’il y a plus de liberté religieuse à Hong-Kong par rapport à la Chine ?
Cela, je n’y crois pas. Le respect des libertés, c’est terminé. Nombre de jeunes leaders à Hong-Kong sont issus des écoles chrétiennes, et le régime le sait. Il joue donc au chat et à la souris, en contrôlant les associations catholiques et l’Église locale. Face à cela, c’est une lame à double tranchant, il faut négocier, avec un rapprochement multivectoriel. Mais dans un premier temps, cela ne peut que favoriser la répression… D’où les accusations de complaisance qui ont été émises par le cardinal Zen.
C’est une diplomatie de haut vol. On parle de deux des États parmi les plus anciens au monde (la Chine et le Vatican), et de deux diplomaties parmi les plus anciennes au monde. Mais on tente malgré tout l’impossible. À terme, pourtant, je suis sûr que le Vatican en sortira gagnant.
La loi sur la sécurité nationale à Hong-Kong a semé la confusion sur « ce qui peut être dit ou non », et beaucoup prennent peur. Pensez-vous que les missionnaires étrangers risquent d’être menacés ?
Outre la loi imposée en 2020, une nouvelle législation est aussi entrée en vigueur en juillet dernier. Celle-ci peut permettre aux autorités d’accuser tout étranger de collusion avec une puissance étrangère sous prétexte d’espionnage…
Quand on est étranger en Chine, quel que soit le domaine dans lequel on travaille, on peut donc à tout moment se retrouver menacé d’expulsion, voire désormais d’emprisonnement. Le séjour en Chine devient de plus en plus compliqué et risqué. Je ne serais pas surpris que la Chine pratique à l’avenir la diplomatie des otages à l’image de l’Iran. Aujourd’hui, concernant la mission en Chine, cette situation risque de provoquer des dégâts humains considérables, cela devient un des pays les plus risqués…
La stratégie de Pékin vis-à-vis de Hong-Kong n’est-elle pas risquée sur le plan social, face à la division de la population et alors que beaucoup de citoyens ont fui vers le Royaume-Uni ?
Ce sont les plus fortunés qui partent, ceux qui en ont les moyens, qui ont des relations… Certains se rendent dans les pays en périphérie immédiate de la Chine, d’autres aux États-Unis, ou encore au Canada, qui est une terre de refuge depuis longtemps. En fait, ce sont les plus démunis qui restent. Hong-Kong tend ainsi à devenir de plus en plus une coquille vide. Autrefois, Hong-Kong représentait 17 % du PIB de la Chine, mais les choses ont considérablement changé, notamment en lien avec le départ des étrangers, et Hong-Kong ne représente plus que 3 % du PIB chinois.
On a longtemps parlé de la formule « un État, deux systèmes », qui était en vigueur à Hong-Kong et que Pékin a aussi voulu appliquer pour régler la question du statut de Taïwan. Ce principe n’est plus du tout d’actualité ?
Aux yeux des Taïwanais, qui ont pu constater que la formule « un pays, deux systèmes », ce n’est que de la « poudre de perlimpinpin », ils ne peuvent pas souscrire à ce jeu de dupes. Tout contribue à la distanciation des Taïwanais vis-à-vis de la Chine. Ce qui se passe à Hong-Kong a conforté Taïwan à prendre du champ face à Pékin.
Il y a fort à parier qu’au sein du Vatican, il y a des volontés de ne pas aller trop vite au risque d’affecter cette autre Chine, qui défend clairement les droits de l’homme. Ainsi, les deux Chines nous renvoient aussi aux contradictions de la curie romaine ! Je suis incapable de pronostiquer si Pékin va reconnaître le Vatican et réciproquement. C’est un chemin semé d’embûches, mais comme le dit Héraclite, « ce qui s’oppose coopère ».
L’attitude du pape François est par ailleurs très chinoise, par le fait de se loger dans des interstices de régions, là où on ne l’attend pas, pour se permettre de dire des choses, comme en Mongolie.
(Propos recueillis par EDA)