Eglises d'Asie – Birmanie
Entre conflits internes et pandémie, Aung San Suu Kyi affiche son soutien aux militaires dans l’ État de l’Arakan
Publié le 28/04/2020

Pourtant, dans un discours du 21 avril, la Conseillère d’État Aung San Suu Kyi, lauréate du Prix Nobel de la Paix, a félicité les soldats se battant dans l’État de l’Arakan : « Je remercie les officiers et soldats qui protègent la vie du public face à la violence déployée dans les États Rakhine [Arakan] et Chin par la Ligue unie de l’ Arakan et par l’Armé de l’Arakan. » Ce discours, censé honorer la livraison de riz aux populations du canton de Paletwa au milieu des combats, a suscité de nombreuses critiques. Il est interprété par le quotidien The Irrawaddy comme un soutien direct et affiché de l’armée. D’autant plus que la Conseillère d’État a poursuivi sa déclaration en assurant regretter « les dégâts et pertes civiles dans les États Chin et Rakhine ; le gouvernement fournira de l’aide aux populations touchées et à leurs familles ». Des propos qui ont été lus comme un aveu des dégâts causés par l’armée sur les populations civiles. Deux jours plus tard, le 23 avril, des bombardements de l’armée suivis d’opérations au sol ont brûlé plus de 500 maisons et tués 8 civils dans le village de Tin Ma. Selon Amnesty International, « l’écrasante majorité » des abus aux droits de l’homme commis dans le cadre du confit interne depuis 2019 le sont par l’armée.
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D’aucuns y voient une stratégie de négociation. Fille du général Aung San, fondateur de l’armée, Aung San Suu Kyi a finalement changé de stratégie après avoir appelé au boycott pendant ses années d’emprisonnement et durant les élections générales de 2010. Depuis son élection en 2015, elle gouverne en acceptant les règles d’une Constitution rédigée par l’armée, qui garantit à cette dernière un rôle politique ainsi que 25 % des sièges au Parlement. Toutefois, à l’aube des prochaines élections générales de 2020, les résultats de cette politique d’engagement sont mitigés. Aucun effort notable n’a été remarqué concernant le processus de paix, pourtant affiché comme priorité de la Ligue nationale pour la Démocratie. Les combats sont toujours actifs dans les États Arakan, Shan et Kachin. Les échanges de tirs sont réguliers entre la Karen National Union et l’armée, alors que le groupe Karen est le plus important signataire de l’accord national de paix. Le sud de l’État Chin est maintenant le théâtre d’opérations militaires, un territoire à minorité chrétienne et jusqu’alors en paix. En Mars 2020, la Ligue nationale pour la Démocratie a également échoué dans sa tentative de réforme de la Constitution, l’armée n’ayant accepté aucun compromis quant à la réduction graduelle de son rôle politique. Et pourtant, alors que l’armée refuse de faire des concessions, Aung San Suu Kyi félicite ses soldats.
Les espoirs d’une solution politique limités
Aung San Suu Kyi est déjà allée loin dans ses compromis avec l’armée, jusqu’à choisir de répondre en personne lors de la comparution de la Birmanie en décembre 2019 devant la Cour internationale de Justice (CIJ), chargée de déterminer si des mesures préventives devaient être prises concernant un génocide en Birmanie. Dans sa défense, la Conseillère d’État a appelé la CIJ à laisser la Birmanie entreprendre elle-même le processus de justice. Cependant, l’armée birmane est libre de juger ses soldats sans contrôle civil, et elle les a jusqu’alors protégés même lorsqu’ils étaient reconnus coupables de massacres sur des populations civiles. Les avocats de l’accusation ; lors de ce procès ; ont même souligné le silence de la Conseillère d’État concernant les accusations de viols perpétrés par l’armée dans l’État d’Arakan.
En avril 2020, une amnistie présidentielle a libéré 25 000 prisonniers, soit un quart de la population carcérale. Toutefois, seuls 20 des 76 prisonniers politiques du pays ont été libérés selon l’Association des anciens prisonniers politiques. Alors que de nombreux cadres de la Ligue nationale pour la Démocratie ont eux-mêmes passé de longues années derrière les barreaux, les arrestations et condamnations d’activistes politiques continuent. L’écrivain Wai Hin Aung et l’ancien leader politique arakanais Aye Maung, qui réclamaient en public plus de fédéralisme et d’autonomie pour la population de l’État d’Arakan – le second État le plus pauvre de l’Union de Birmanie – restent enfermés. L’emprisonnement de ces militants limite les espoirs d’une solution politique au conflit en cours.
(EDA / Salai Ming)
CRÉDITS
State Counsellor’s Office et ACAPS
