Eglises d'Asie

Environnement : la pollution de l’air toujours meurtrière à Dhaka

Publié le 22/02/2019




En 2000, le département britannique du Développement international (DFID) constatait que la plupart des décès dans les instituts médicaux du Bangladesh étaient liés à la pollution de l’air. Malgré cette prise de conscience, aujourd’hui, la situation a empiré à Dhaka, la capitale, où de nombreux habitants sont exposés au quotidien à la forte concentration de particules fines. Parmi les causes dénoncées, sont cités les fours à brique, les usines, l’essence à haute teneur en soufre, les travaux de construction et les décharges à ciel ouvert.

Il y a dix ans, Muhammad Motin était fermier dans un village reculé du nord du Bangladesh. Avec trois fils, la bande de terre qu’il possédait n’était pas suffisamment grande pour pouvoir faire vivre sa famille. En quête d’une vie meilleure, ils ont déménagé à Dhaka, la capitale. Sa famille a trouvé où se loger dans un bidonville surpeuplé de Gabtoli, près de la principale gare routière de la ville. Aujourd’hui, à 49 ans, il a pu gagner sa vie un peu mieux qu’avant en conduisant des rickshaws, mais le fait de travailler dans les rues polluées a affecté ses poumons. « J’ai vu des médecins cinq ou six fois par an au cours des cinq dernières années », explique Muhammad Motin. « Je tousse et j’ai des problèmes respiratoires », ajoute-t-il. Les médecins lui ont donné un traitement en le conseillant de porter un masque afin de se protéger de la poussière et de l’air pollué. Il a également suivi le conseil du médecin d’arrêter de fumer. Pourtant, malgré ces mesures et son traitement, ses problèmes pulmonaires ont continué de l’affecter au quotidien, mettant en péril le gagne-pain de sa famille. « Mes souffrances ne semblent jamais vouloir s’arrêter », confie-t-il.

Abdul Baten, un policier de 40 ans du quartier de Mirpur, à Dhaka, a vécu des problèmes semblables. « Je fais ce travail depuis quinze ans, et je souffre de problèmes de peau et respiratoires depuis des années », explique-t-il. Le policier ajoute que parfois, il tousse tellement qu’il passe des nuits blanches. « J’ai finalement été voir un médecin qui m’a dit que j’avais la tuberculose. Il m’a prescrit un traitement que je dois prendre à long terme », confie ce musulman et père de deux enfants. Il ajoute que ses problèmes de peau sont également liés à son travail. « J’ai mal partout quand je suis exposé à la poussière, quand je suis en service. Mais je ne peux pas démissionner, je gagne le seul salaire de la famille et je dois payer les frais de scolarité de mes deux enfants. Je suis complètement démuni. »

Une forte concentration de particules fines

Ces deux cas montrent combien la pollution affecte les habitants de Dhaka, une ville classée parmi les pires au monde en termes de qualité de l’air, selon le dernier Index de qualité de l’air (AQI) publié par l’Agence américaine de protection de l’environnement. Selon le rapport 2018 de State of Global Air, l’air à Dhaka comprend des niveaux dangereusement élevés de six particules polluantes – des particules fines PM 2,5 et 10 (inférieures à 2,5 et 10 µm), de l’oxyde d’azote, du dioxyde de soufre, du monoxyde de carbone et de l’ozone. La fumée des fours à brique, des moulins et des usines, l’émission des véhicules motorisés qui utilisent de l’essence à forte teneur en soufre, les travaux de construction et les décharges à ciel ouvert sont notamment cités comment les causes principales de la pollution de l’air à Dhaka. Cinq des dix principales maladies qui sont cause de décès au Bangladesh sont liées à la pollution de l’air, selon l’OMS. Sur 3 000 villes contenant les plus forts taux de particules PM 2,5 dans le monde, Dhaka figure parmi les plus touchées, précise l’OMS, ajoutant qu’il s’agit de la particule fine la plus dangereuse. Durant l’hiver, le taux quotidien de PM 2,5 s’élève à plus de 200 microgrammes par mètre cube – soit huit fois le niveau de sécurité fixé par l’OMS.

En 2016, le ministère de la Santé du pays a parrainé une étude qui estime que plus de 100 000 décès à travers le pays ont été provoqués par l’exposition aux particules PM 2,5. Le Dr M. A. Matin, secrétaire général de l’ONG Bangladesh Poribesh Andolon (BAPA), explique que la pollution de l’air est un problème de longue date dans le pays. « Une étude menée en 2000 par le département britannique du Développement international [DFID] a constaté que la plupart des décès dans les instituts médicaux à travers le pays proviennent de la pollution de l’air », assure le Dr Matin. « C’est une découverte sans précédent, parce que la plupart des gens pensaient que la plupart des décès résultaient de la pollution des eaux. L’étude a été menée il y a 19 ans, et depuis, la situation a empiré. Aujourd’hui, on sait que la pollution tue en silence au Bangladesh. » Le Dr Edward Pallab Rozario, secrétaire de la commission épiscopale pour la Santé, estime que la pollution de l’air affecte particulièrement certaines catégories de la population. « Les enfants souffrent de problèmes respiratoires, de pneumonies, de pertes d’appétit et de vomissements. Les femmes enceintes qui sont exposées à la pollution de l’air risquent également de faire une fausse couche », évoque notamment le Dr Rozario, qui dirige les programmes sanitaires au sein de la Caritas bangladaise.

Lobbies et développement

Le gouvernement essaie d’améliorer la qualité de l’air à travers diverses initiatives assure Tajminur Rahman, directeur adjoint du département de l’Environnement du gouvernement. « C’est une tâche immense, parce qu’il y a de nombreux facteurs différents », explique-t-il. Il affirme que le gouvernement est souvent impuissant face à la pression des lobbies liés au monde des affaires, et face au manque de prise de conscience du problème au sein de la population. Le Dr Matin, de son côté, refuse d’accepter l’excuse du gouvernement qui affirme qu’il est impuissant face au problème. « Notre gouvernement semble suivre le modèle de développement chinois, qui suppose que si nous voulons le développement, il faut supporter la pollution. La Chine est un pays riche qui peut se rattraper une fois le processus de développement achevé, mais nous n’en avons pas les moyens. Nous voulons nous développer, mais pas au détriment de l’environnement et de la santé. »

(Avec Ucanews, Dhaka)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews