Eglises d'Asie – Bangladesh
Environnement : le bilan meurtrier des superbactéries résistantes aux antibiotiques
Publié le 13/06/2019
Le 22 avril, un article du quotidien britannique The Telegraph affirmait que 80 % des décès de l’unité de soins intensifs (USI) du plus grand hôpital du pays seraient liés à une infection bactériologique ou fongique. Le Telegraph cite le professeur Sayedur Rahman, président du département de pharmacologie de l’université médicale Bangabandhu Sheikh Mujib de Dacca, qui affirme qu’en 2018, 400 patients sur 900 admis à l’USI de l’hôpital sont décédés. Selon lui, 80 % de ces décès sont attribués à des infections résistantes aux antibiotiques. Le Bangladesh, l’Inde et le Pakistan sont considérés comme des pays où la résistance aux antimicrobiens est facilitée en raison du non-respect des traitements et de l’utilisation d’antibiotiques pour des usages non thérapeutiques comme la stimulation de la croissance animale, l’automédication ou l’accès illégal aux antibiotiques. Le terme « superbactéries » ou « superbugs » désigne des souches de bactéries résistantes à la plupart des antibiotiques actuels, selon Mayo Clinic, un centre de recherche médicale américain basé à Rochester dans le Minnesota. Avec le temps, ces bactéries s’adaptent aux traitements censés les tuer, ce qui diminue ou annule l’efficacité des traitements. Dans l’ensemble des unités de soins intensifs au Bangladesh, 70 % des décès sont liés aux superbactéries, affirme le professeur Ahmed Abu Saleh, président du département de microbiologie et d’immunologie à l’université médicale BSMMU de Dacca, cité par le quotidien bangladais The Daily Star.
Au Bangladesh, la prolifération de ces « superbugs » divise pourtant les médecins, les chercheurs, les autorités et l’opinion publique. Certains soutiennent ces affirmations, mais d’autres désignent des causes diverses comme la pollution endémique de l’eau et de l’air, accélérée par la corruption et le manque de rigueur dans l’application des lois environnementales. Le 27 mai, une étude publiée par l’université britannique de York indiquait une autre cause possible, affirmant que plusieurs centaines de rivières à travers le monde, y compris au Bangladesh, sont polluées par des antibiotiques à un niveau qui dépasse jusqu’à trois cents fois les seuils de sécurité officiels. Les chercheurs britanniques ont analysé les rivières de 72 pays sur six continents en recherchant 14 antibiotiques courants, et ont trouvé des antibiotiques dans 65 % des sites contrôlés. Le niveau de Metronidazole, utilisé pour traiter les infections bactériennes, notamment les infections cutanées et buccales, est particulièrement inquiétant selon l’étude, un site au Bangladesh présentant une concentration 300 fois supérieure aux niveaux de sécurité.
Prolifération et antibiotiques sans prescription
Les pesticides systématiques dans les cultures, l’utilisation de fourrages aux hormones pour la nutrition du bétail et de la volaille et le rejet de déchets chimiques font partie des raisons principales de la présence excessive d’antibiotiques dans les rivières bangladaises, affirme le Dr Edward Pallab Rozario, secrétaire de la commission épiscopale bangladaise pour la santé. « Les pesticides contaminent l’eau des rivières, nous mangeons de la viande traitée aux hormones, et des usines, y compris dans l’industrie pharmaceutique, déversent des déchets dans les rivières sans traitement. Nous nous mettons tous les jours en danger », dénonce-t-il. « Le manque de surveillance entraîne également une utilisation excessive d’antibiotiques dans les hôpitaux, tandis que les pharmacies en vendent sans prescription. Ce sont des habitudes inacceptables », ajoute-t-il, affirmant que les décès récents de deux personnalités catholiques bangladaises, le père Benjamin Costa et le Dr Sebastian Halder, sont liés aux superbactéries. Le Dr Sheikh Zahir Raihan, professeur agrégé de pharmacie clinique et de pharmacologie à l’université de Dacca, partage ces inquiétudes. « Aujourd’hui, dans un pays aussi densément peuplé où beaucoup de gens n’ont pas un accès aux soins adaptés et n’ont même pas conscience des normes sanitaires adéquates, les antibiotiques et les superbactéries font débat », poursuit le Dr Raihan, qui estime que la prolifération des superbactéries dans les hôpitaux et les rivières, associée à l’usage excessif des antibiotiques, est catastrophique. « Dans les pays développés, l’usage des antibiotiques est limité et contrôlé, mais dans des pays comme le nôtre, c’est clairement négligé. De plus, la contamination des rivières est une menace particulièrement dangereuse pour un pays aussi fluvial », souligne-t-il, en demandant une législation adaptée pour faire face à cette situation.
Pollution des eaux
Le gouvernement tente de réduire la contamination des rivières et l’utilisation des antibiotiques, affirme le Dr Samir Kanti Sarkar, du ministère de la Santé. « Toutes les usines sont censées disposer d’un centre de traitement avant le rejet des effluents, mais cette règle est souvent ignorée. Le département de l’Environnement est chargé de contrôler cette situation et de punir les usines coupables de violations », poursuit-il. « À ma connaissance, il n’y a pas de sociétés pharmaceutiques ou d’hôpitaux qui déversent leurs déchets sans traitement au Bangladesh. Mais si nous constatons des preuves contre n’importe quelle organisation, il y aura des sanctions. » Le 25 avril, la Haute Cour bangladaise a demandé au gouvernement de prendre des mesures pour interdire la vente d’antibiotiques sans prescription médicale officielle. La pollution des eaux est courante au Bangladesh, avec une population de plus de 160 millions d’habitants, pour plus de 300 rivières et leurs affluents qui se déversent dans le golfe du Bengale. En 2009, une étude de la Banque mondiale affirmait que les quatre fleuves principaux près de la capitale bangladaise – les fleuves Buriganga, Shitalakhya, Turag et Balu – reçoivent chacun 1,5 million de mètres cubes d’eaux polluées par jour, provenant de 7 000 usines de la région, et 0,5 mètre cube provenant d’autres origines. « Nous faisons de notre mieux pour freiner la pollution des fleuves. Nous manquons de main-d’œuvre et la population n’est pas suffisamment sensibilisée face à cette situation, mais nous poursuivons nos efforts », confie Mohammad Monsur Alam, secrétaire adjoint du département de l’Environnement. « Le gouvernement ne peut pas sauver les rivières à lui seul, c’est la responsabilité de tous les citoyens. »
(Avec Ucanews, Dacca)
CRÉDITS
Stephan Uttom/ucanews