Eglises d'Asie

Jagoroni, un centre de formation contre la misère des femmes en milieu rural

Publié le 30/10/2019




Le centre Jagoroni, un centre de formation, d’exposition et de vente fondé vers la fin des années 1960, peu avant la guerre de libération du Bangladesh (1971), a permis de former et d’accompagner près de 12 000 femmes vivant dans les régions rurales du pays. Sœur Marie Lillian, une religieuse de 90 ans de la congrégation des Associées de Marie Reine des Apôtres (SMRA), fondatrice du centre, explique que la vocation du centre est d’être comme « une ligne de vie pour ces femmes démunies, pour leur permettre de vivre dignement ». Aujourd’hui, malgré des progrès socio-économiques, la pauvreté touche toujours 22 % de la population sur 160 millions d’habitants.

Ce mercredi 23 octobre, la journée de sœur Marie Lillian est particulièrement chargée alors qu’elle passe d’un lieu à l’autre à Jagoroni (Eveil), un centre de formation, d’exposition et de vente de Tejgaon, dans le centre de Dacca, la capitale bangladaise. La religieuse de 90 ans, membre de la congrégation des Associées de Marie Reine des Apôtres (SMRA), un ordre religieux féminin local, a toujours une excellente forme et une très bonne vue pour son âge. Elle reste occupée toute la journée, afin de contrôler les activités du centre, dont les formations de couture et d’artisanat, suivies en majorité par des femmes pauvres des régions rurales. « Avec un peu d’aide, les plus pauvres peuvent transformer leur propre vie, et c’est ce que nous essayons de faire », explique sœur Marie Lillian, directrice du centre Jagoroni. Sous sa direction, depuis près de cinquante ans, le centre a formé et accompagné entre 10 000 et 12 000 femmes démunies et défavorisées, afin de soutenir leur développement socio-économique avec de nouvelles perspectives d’emploi. Toutes les semaines, du lundi au samedi, le centre rassemble les diverses productions du centre, façonnées par plusieurs centaines de femmes venues de tout le Bangladesh : réalisations en fibre de jute, vêtements, paniers tressés, bougies, sets de table, bagues, boucles d’oreilles… Les productions sont ensuite vendues et livrées aux acheteurs, au Bangladesh ou à l’étranger, avec l’aide de l’organisation Corr, une fondation de la Caritas bangladaise. Le centre tire ses profits des ventes, qui sont ensuite distribués aux femmes du réseau, après une part réservée aux besoins de fonctionnement du centre. « Nous n’avons jamais voulu que Jagoroni devienne une entreprise commerciale. C’est une ligne de vie pour ces femmes démunies, pour leur permettre de gagner suffisamment d’argent pour manger, élever leurs enfants et vivre dignement », confie sœur Marie Lilian.

Contre la misère après la guerre de 1971

Vers la fin des années 1960, quand le Bangladesh faisait encore partie du Pakistan oriental, le pays traversait une crise sociale et politique. L’extrême pauvreté et la crise de l’emploi ont touché beaucoup de femmes et d’enfants, confrontés à la famine, à l’aumône et à la maladie. « Leur souffrance, alors que je les voyais demander de l’aide aux portes des églises et des congrégations religieuses, m’attristait et me touchait. Je me demandais comment mettre fin à leur misère », confie la religieuse. En 1968, sœur Marie Lillian s’est associée à sœur Michael Francis, une religieuse américaine de la congrégation de la Sainte-Croix, afin de fonder le centre Jagoroni, d’abord à petite échelle. Les besoins se sont multipliés après la guerre de libération du Bangladesh, en 1971, qui a ruiné le pays, laissant beaucoup de femmes dans des conditions misérables après avoir perdu leur mari dans le conflit. Les deux religieuses ont alors décidé de développer leurs services, en s’associant notamment avec le père Richard W. Timm, missionnaire américain de la Sainte-Croix, et avec le père Peter McNee, missionnaire baptiste néo-zélandais. Les deux missionnaires ont permis de trouver des formateurs pour le centre et de récolter des financements. Au début, le centre ne pouvait accueillir que neuf femmes ; au plus fort de son activité, le réseau allait jusqu’à 6 000 femmes de tout le pays, réparties en 64 groupes différents. Aujourd’hui, on en compte encore 2 000, la plupart d’entre elles non chrétiennes. « Beaucoup de celles que nous avons accompagnées ont pu sortir de la pauvreté. Dans les régions côtières, certaines familles démunies, qui pouvaient à peine se procurer un repas par jour, sont devenues autonomes », assure sœur Marie Protibha, assistante de sœur Marie Lillian au centre Jogoroni. La religieuse explique que la seule difficulté est de maintenir la qualité des produits. « Le centre continuera sa mission auprès des pauvres », poursuit-elle.

22 % des Bangladais vivent toujours dans la pauvreté

Malgré de véritables progrès socio-économiques au cours des dernières décennies, plus de 22 % de la population, sur 160 millions d’habitants, vivent toujours dans la pauvreté selon le Bureau bangladais des statistiques. Les derniers chiffres montrent un taux de chômage de 4,5 % au Bangladesh, avec une forte proportion de personnes sans emploi dans les milieux ruraux, en particulier concernant les femmes. Une étude du ministère de la Planification indique pourtant que le nombre de femmes sans emploi en milieu rural est passé de 12,6 millions en 2010 à 11,6 millions en 2018. De son côté, le centre Jagoroni s’est développé et encourage son réseau à fonder des groupes d’épargne et de microcrédit afin de leur permettre de mieux prévoir les périodes de crise. Tous ces efforts ont permis de transformer des vies, assure Rebeca Gain, 50 ans, catholique et mère de quatre enfants. Rebeca vit dans le district de Satkhira, l’une des régions les plus pauvres du Bangladesh, dans le sud du pays. Elle a rejoint le centre Jagoroni il y a cinq ans, ce qui lui a permis de gagner une moyenne de 5 000 takas (53 euros) par mois en vendant sa production. « Mon mari a un faible salaire, et auparavant, je vendais des nattes tressées avec des feuilles de dattiers et de hogla. Mais les demandes avaient baissé, et nous avions du mal à faire vivre la famille, avec trois fils qui étudiaient toujours à l’école. J’ai donc rejoint la formation du centre, ce qui a permis d’améliorer notre situation », explique Rebeca Gain. Aujourd’hui, trois de ses quatre fils se sont mariés, et le quatrième poursuit ses études à Dacca. Rebeca a récemment pris un emprunt auprès d’un groupe de microcrédit, pour que son mari puisse lancer un petit commerce. Elle assure que depuis qu’elle s’est mariée à l’âge de 14 ans, elle traverse la période la plus heureuse de sa vie.

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews