Eglises d'Asie

« J’aime profondément la Birmanie. Je veux y retourner, et voir mes amis – en liberté »

Publié le 05/02/2024




Ce jeudi 1er février marquait le troisième anniversaire du coup d’État militaire de 2021 en Birmanie. Benedict Rogers, un auteur et militant catholique basé à Londres, qui a visité la Birmanie et ses frontières à plus de cinquante reprises, réagit à ces trois ans de crises multiples et à l’évolution récente de la situation. Il espère que ce 1er février soit le dernier jour qui marque cet anniversaire, et que cette année 2024 amène une nouvelle ouverture du pays. « Ils ont besoin de notre soutien, ils ont besoin que l’Asean soit plus ferme, et ils ont besoin de la prière du pape François et de la nôtre », écrit-il.

Mgr Celso Ba Shwe, évêque de Loikaw, le 26 novembre 2023 lors de la messe du Christ Roi dans son évêché, dans l’État Kayah.

Il y a deux jours, alors que je parcourais la zone d’exposition du Sommet international sur la liberté religieuse (IRF), à Washington D. C. aux États-Unis, une photo scotchée au bout d’une table a attiré mon attention. Il s’agissait d’une image d’un ami, le révérend Dr Hkalam Samson, ancien président de la Convention baptiste Kachin en Birmanie. Le révérend Samson a passé toute l’année dernière en prison et poursuit une peine de prison de six ans. J’ai alors emprunté la photo temporairement pour me photographier avec, afin de la partager sur les réseaux sociaux.

Nous devons accentuer nos efforts pour obtenir sa libération et celle de toute la Birmanie, via la campagne #FreeMyanmar. Et aujourd’hui, ce jeudi 1er février, est la bonne journée pour le faire. Il y a trois ans jour pour jour, l’armée birmane a pris le pouvoir de manière totalement illégale, renversant un gouvernement civil élu démocratiquement.

Sous le meneur du coup d’État, le général Min Aung Hlaing (commandant en chef de l’armée et dirigeant de facto du pays depuis le 1er février 2021, en tant que président du Conseil administratif d’État les militaires), les militaires ont plongé le pays dans un nouveau cauchemar de brutalité, d’inhumanité, de tortures, de guerre et de répression. La Birmanie a enduré de nombreux coups d’États, des dictatures militaires successives et la guerre civile durant une bonne partie des 75 dernières années, voire davantage.

Le pays dirigé directement ou indirectement par les militaires depuis 1948

Vraiment, en dehors d’une brève période de démocratie fragile au début de l’indépendance du pays (4 janvier 1948) et entre deux régimes de Ne Win (un militaire et homme d’État birman, qui fut « l’homme fort » de la Birmanie de 1962 à 1988), le pays a été dirigé directement ou indirectement par les militaires depuis l’indépendance. Même durant la décennie de libération et de quasi-démocratie qui a pris fin avec le coup d’État de 2021, les militaires tiraient les ficelles.

Pourtant, au cours des trois dernières années, la date du 1er février a été gravée dans mon cœur et mon esprit comme une des plus sombres de l’histoire de la Birmanie. Des personnes que j’ai connues personnellement ont été emprisonnées, déplacées et poussées à se cacher ou à fuir en exil. On estime qu’au moins 158 personnes ont été condamnées à mort par des tribunaux militaires et qu’au moins quatre d’entre elles ont été exécutées, dont les remarquables Ko Jimmy et Phyo Zeya Thaw, que j’ai rencontrés à plusieurs reprises.

Les rapports de l’Association pour l’assistance aux prisonniers politiques (AAAP) parlent de l’existence de presque 20 000 prisonniers politiques aujourd’hui en Birmanie. Au moins 4 474 personnes ont été tuées depuis le coup d’État selon l’association. Les Nations unies affirment que plus de deux millions de personnes ont été déplacées dans le pays depuis le coup d’État – et le vrai chiffre est plus élevé. Plusieurs milliers d’habitants ont fui vers les pays voisins.

Benedict Rogers avec une photo de Hkalam Samson, ancien président de la Convention baptiste Kachin en Birmanie (aujourd’hui emprisonné).

« L’inhumanité sous sa forme la plus vile »

Fin 2023, un rapport de l’Onu a décrit et documenté 22 tueries de masse, des villages entiers incendiés et plus de 687 bombardements contre des civils, qui ont eu lieu seulement entre avril 2022 et juillet 2023. Plus de 75 000 habitations et autres bâtiments ont été incendiés depuis le 1er février 2021, dans 106 cantons situés dans 12 États et régions de Birmanie. Beaucoup d’églises ont été détruites, endommagées et profanées. La crise humanitaire est également urgente. La moitié de la population vit dans la pauvreté. Près de 18,6 millions d’habitants ont un besoin urgent d’aide humanitaire. Sous le régime de Min Aung Hlaing, les militaires ont lancé des frappes aériennes contre des civils désarmés, avec une ampleur et une brutalité inégalés. Ils commettent aussi des crimes atroces avec une barbarie inouïe.

Parmi les crimes de la junte, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Turk, a signalé que des civils ont notamment été « brûlés vifs, démembrés, violés, décapités et matraqués », et que certains villageois enlevés ont été utilisés comme « boucliers humains » et « dragueurs de mines ». La junte représente, selon la description de Volker Turk, « l’inhumanité sous sa forme la plus vile ».

À l’heure actuelle, la dirigeante élue démocratiquement – qui a remporté largement un nouveau mandat en novembre 2020 – aurait dû s’approcher de la fin de son second mandat au gouvernement. Mais la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, âgée de 78 ans, est en prison, où elle n’a pas accès à sa famille, ses amis ou la communauté internationale. Des inquiétudes sur sa santé se sont heurtées à la junte qui a refusé de permettre son traitement médical en prison.

« Malgré tout cela, il y a des raisons d’espérer »

Et pourtant, malgré tout cela, il y a des raisons d’espérer. Dans des combats qui rappellent David contre Goliath, et malgré le fait qu’ils soient armés par la Chine et la Russie, les militaires se sont retrouvés sur la défensive alors que le mouvement d’opposition a gagné du terrain. La rébellion armée est comme David en termes de manque de munitions, de stock et de matériel militaire, mais aussi en termes d’audace, de courage, de détermination et de précision stratégique.

Depuis octobre 2023, l’opposition a en effet pris plusieurs dizaines de villes, dont une majorité de sites stratégiques comme des points de passage vitaux pour les échanges commerciaux avec la Chine, le long des frontières birmanes. L’armée de Min Aung Hlaing peine à recruter ses troupes – et fait face à une dissidence, une insatisfaction et un désespoir de plus en plus forts parmi ses rangs. Plusieurs dizaines de milliers de soldats ont déserté, fait défection ou simplement refusé de combattre.

Aung San Suu Kyi en 2013 devant le Parlement européen.

Aujourd’hui, certains parlent sérieusement d’un effondrement potentiel du régime. Nous devons nous préparer, à la fois pour encourager cela mais aussi pour savoir que faire ensuite. Pour moi, la réponse est évidente. Cela passe par rompre les lignes de vie qui soutiennent la junte et fournir des bouées de sauvetage aux habitants.

Concrètement, cela signifie faire cesser le flux de fonds, d’armes et de carburants destinés aux militaires, afin d’empêcher ou au moins freiner leur capacité à bombarder, tirer et tuer. Cela passe par davantage de sanctions plus ciblées et mieux coordonnées. Il s’agit aussi de protéger l’aide transfrontalière, envers ceux qui en ont le plus besoin et qui ne peuvent pas être aidés depuis l’intérieur du pays. Il faut également assurer que les crimes des militaires puissent leur être imputés, en mettant fin à l’impunité – si nous pouvons convaincre nos dirigeants de mettre en œuvre ces solutions.

« Je suis devenu catholique en Birmanie, où j’ai été baptisé et accueilli dans l’Église »

Le régime birman a le dos au mur et sera bientôt à genoux. Les forces d’opposition en Birmanie ont à peine plus qu’un lance-pierre, mais avec une visée précise et le soutien du monde, le régime peut être renversé de la même manière que David contre Goliath. Mais elles ont besoin assurément de notre soutien. Celui des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Union européenne, de l’Australie et du Canada, afin d’agir dans le but de briser les protections du régime et d’en fournir aux habitants. Ils ont besoin que l’Asean (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) soit plus ferme.

Ils ont besoin que le pape François et nous tous prient pour eux. Je suis devenu catholique en Birmanie, où j’ai été attiré, baptisé et accueilli dans l’Église par le cardinal Charles Bo il y a presque onze ans. J’ai visité la Birmanie et ses frontières plus de cinquante fois, j’ai écrit trois livres sur le pays, et j’en ai été expulsé à deux reprises. J’aime profondément la Birmanie. Je veux y retourner, et voir mes amis – en liberté. Donc mettons-nous au travail, et faisons en sorte que ce 1er février soit la dernière fois que nous marquons l’anniversaire du coup d’État, et que cette date puisse célébrer au contraire le début de la première année qui aura mis fin au coup d’État et permis le retour de l’espoir et de la liberté.

(Avec Benedict Rogers / Ucanews)


CRÉDITS

Diocèse de Loikaw (Facebook) ; Benedict Rogers / Ucanews ; European Union 2013 / European Parliament (CC BY-NC-ND 2.0 DEED)