Eglises d'Asie

Kelaniya : l’art sacré au service du dialogue entre bouddhistes et chrétiens sri-lankais

Publié le 29/08/2020




De nombreuses églises de Colombo et à travers le Sri Lanka s’inspirent de l’architecture bouddhiste, comme l’église Saint-Philippe Néri de Kalutara, dans l’archidiocèse de Colombo, qui s’inspire de l’architecture du pavillon Paththirippuwa du Temple de la Dent Sacrée de Kandy. Les entrées de certaines églises de la capitale sri-lankaises sont également ornées du sandakada pahana, ou « pierre de lune », un élément caractéristique de l’architecture de l’ancien Sri Lanka. À Kelaniya, au centre jésuite de recherche de Tulana, fondé en 1974 afin de développer les relations interreligieuses entre chrétiens et bouddhistes, on trouve ainsi un bas-relief de Jésus lavant les pieds de ses disciples, sculpté par un moine bouddhiste.

Le bas-relief d’une sculpture de Jésus lavant les pieds de ses disciples, à Tulana, Kelaniya.

Aruni Ruwandathi, jeune diplômé chrétien, a été surpris de trouver au centre jésuite de recherche de Tulana, à Kelaniya, un bas-relief représentant Jésus lavant les pieds de ses disciples. La scène biblique a été sculptée par le moine bouddhiste Uttarananda Thera, sur un mur du centre pour la rencontre et pour le dialogue. À l’image du Christ lavant les pieds de ses disciples, le vénérable Uttarananda Thera a songé aux moines mendiant avec des bols à la main, quand le chef de foyer vient laver leurs pieds et leur offrir de la nourriture. Le père Aloysius Pieris sj, théologien et premier prêtre catholique à écrire une thèse de doctorat sur la philosophie bouddhiste, explique que l’image du maître lavant les pieds de ses disciples est unique. « Le maître ne devrait pas laver les pieds de ses disciples. Ce sont ces derniers qui devraient laver les pieds de leur maître. Le vénérable Uttarananda Thera a sculpté cette image d’une façon bouddhiste », confie le prêtre. Le père Pieris ajoute que cette œuvre s’inscrit dans un dialogue christiano-bouddhiste dans une ère de mondialisation. « Cela montre comment le bouddhisme et le christianisme peuvent agir comme sources d’espérance auprès des populations qui souffrent à cause des injustices socio-économiques, des conflits religieux et politiques et des crises environnementales. »

Le centre de Tulana a été fondé en 1974 afin de servir les relations interreligieuses entre bouddhistes et chrétiens. Le concile Vatican II (1962) a recommandé l’inculturation, en demandant que l’Église soit partout intégrée dans les cultures indigènes. Par exemple, l’architecture de l’église Saint-Philippe Néri de Kalutara, dans l’archidiocèse de Colombo, la capitale sri-lankaise, ressemble à celle du pavillon Paththirippuwa du Temple de la Dent Sacrée de Kandy. Il s’agit d’un pavillon octogonal, l’une des trois structures principales qui composent le temple, dans l’ancien royaume de Kandy. Nuwan Manathunga, qui a étudié l’histoire chrétienne, explique que le sandakada pahana, ou « pierre de lune », un élément caractéristique de l’architecture de l’ancien Sri Lanka – une pierre plate en demi-cercle, soigneusement gravée –, peut être observé à l’entrée de plusieurs églises et institutions chrétiennes dans le pays. L’architecture de la cathédrale du Christ Sauveur vivant, à Colombo, a été pensée comme un temple bouddhiste, tandis que la chapelle du Trinity College de Kandy est une redécouverte d’un ancien héritage bouddhiste. L’église du Saint Rosaire de Badalgama, à Colombo, une autre église de la capitale sri-lankaise, reflète également l’architecture bouddhiste.

Inculturation et extrémisme

Nuwan Manathunga explique que ces églises résultent de la notion d’inculturation, soutenue par le concile Vatican II, chaque culture exprimant le message du Christ à sa façon, en favorisant un échange vivant entre l’Église et les différentes cultures. « Les chrétiens veulent pratiquer leur religion dans le contexte du Sri Lanka, en étant proche des non chrétiens. Malheureusement, les moines bouddhistes extrémistes pensent que les chrétiens leur ont volé leur culture bouddhiste », ajoute Nuwan Manathunga. Ainsi, on trouve des organisations bouddhistes extrémistes comme Bodu Bala Sena, Ravana Balaya et Mahasohon Balakaya, qui s’attaquent aux musulmans et aux Tamouls, et dont les dirigeants ont été accusés de soutenir les discours de haine. « Les moines extrémistes se sont attaqués à des symboles situés à l’entrée des églises au cours des dernières années. Ils affirment que les églises ne doivent pas utiliser leurs symboles. » Les bouddhistes représentent près de 70 % de la population sri-lankaise, sur 21 millions d’habitants, tandis que les musulmans représentent 10 % de la population, et les chrétiens 7 %. Le catholicisme a été prêché par le père Jacome Gonsalves, un missionnaire venu d’Inde en 1705. Le prêtre oratorien, venu de Goa, a introduit le Pasan (hymnes de lamentation) quand il est venu assister saint Joseph Vaz, le premier saint sri-lankais, également d’origine indienne et arrivé sur l’île en 1686.

Le père Gonsalves a étudié le cingalais auprès de moines bouddhistes, et il a appris à lire les classiques cingalais et tamouls. Il a écrit 22 livres en cingalais, 15 en tamoul, 4 en portugais et un en hollandais, en s’appuyant sur les cultures locales. Il a composé les neuf ensembles du Pasan, des chants rassemblés dans un livre, Desana Navaye Pasan Potha (Livre funèbre ou livre des lamentations), et qui sont encore utilisés aujourd’hui dans le pays. Les Portugais ont introduit le catholicisme au Sri Lanka en 1505. Toutefois, les Hollandais, qui ont pris le pouvoir en 1658, ont introduit le protestantisme et persécuté les catholiques. Saint Joseph Vaz, un prêtre oratorien, a alors sillonné le pays en ravivant la foi en secret. Au début, il a commencé comme un missionnaire solitaire sur une terre interdite, mais il a fini par gagner l’amitié du roi bouddhiste de Kandy, d’où il a dirigé huit missions et plus de 60 stations missionnaires. Aruni Ruwandathi, de son côté, raconte que récemment, un prêtre a porté le Saint Sacrement sur le dos d’un éléphant, dans un acte d’inculturation – les bouddhistes ont porté la « Dent Relique » de Bouddha (conservée au temple de Kandy) pendant des années, en procession, sur le dos d’un éléphant.

(Avec Ucanews, Kelaniya)


CRÉDITS

Ucanews