Eglises d'Asie

La communauté catholique en Thaïlande en temps de pandémie : « Accepter, adapter et avancer »

Publié le 15/04/2020




Cette année 2020, la semaine sainte et le week-end de Pâques tombaient justement au moment des congés annuels à l’occasion du nouvel an thaïlandais, ou « Songkran » en langue vernaculaire, qui devait être célébré le 13 avril. Selon la tradition thaïlandaise, il s’agit de la plus grande fête du pays : batailles d’eau dans les rues des villes et villages, procession d’une statue de Bouddha, construction d’une pagode de sable, occasion de rendre hommage aux aînés (en versant de l’eau sur leur paumes) et au Bouddha (en arrosant de l’eau parfumée sur la statue).

Le vendredi saint sans fidèles, devant la cathédrale de Thare-Nonseng.

Pour de nombreux citoyens, chrétiens ou non, le festival de « Songkran », le nouvel an thaïlandais, célébré le 13 avril, est habituellement une occasion unique de passer du temps avec leur famille dans leur région d’origine. C’est aussi un moment de fête et de joie partagé avec les amis et les proches. Cette année, la fête et les congés annuels de « Songkran » tombaient également au moment de la semaine sainte et du week-end pascal, ce qui donnait à l’événement un caractère bien particulier pour les chrétiens thaïlandais. Malheureusement, face à la crise sanitaire, l’État a dû supprimer toutes les activités culturelles prévues et reporter les vacances de Songkran. D’ailleurs, un couvre-feu national de 22 heures à 4 heures du matin a été annoncé, au cours duquel aucun déplacement non-essentiel ne sera autorisé. La vente de boissons alcoolisées est également interdite jusqu’au 20 avril.

Depuis plus de deux semaines, de nombreux chrétiens en Thaïlande, dont les laïcs et certaines communautés religieuses, sont privés de l’Eucharistie. Les rassemblements religieux sont interdits jusqu’à nouvel ordre. Les chrétiens, comme dans de nombreux pays, ont donc célébré les Rameaux sans rameaux, et le Triduum pascal en restant enfermé chez eux… Les Thaïlandais ont également célébré une fête de Songkran peu habituelle, sans que personne ne demande « où vas-tu pour célébrer Songkran ? » Drôle de Pâques aussi, alors que les chrétiens ne peuvent pas se rassembler pour célébrer le « Passage » (« pessah » en hébreux, qui veut dire passage de la mort à la vie) mais doivent rester devant leurs écrans. Bien que la suspension des messes publiques déçoive certains croyants, ces derniers acceptent et accueillent cette décision. Celle-ci est vue comme un moyen de lutte contre le coronavirus. « Les fidèles prennent conscience de la situation et respectent effectivement les mesures prises afin de limiter la propagation du virus », explique Mgr Louis Chamniern Santisukniran, archevêque de Thare-Nonseng, dans le Nord-Est de la Thaïlande.

« Loin de mes frères dans la foi, je me sens pourtant proche d’eux »

Face à l’impossibilité de se réunir, l’Église locale s’adapte. Plusieurs propositions ont été mises à disposition pour permettre aux chrétiens de continuer de vivre leur foi malgré l’absence de l’Eucharistie et des cérémonies religieuses. « Depuis le début de la période de pandémie du Covid-19, nous diffusons toutes les célébrations sans fidèles depuis la cathédrale, aussi bien en ligne qu’à la radio. Il y a également le chapelet et les prières de neuvaine. Nous invitons tous les fidèles à méditer la Parole de Dieu et à se mettre en prière chez eux », ajoute Louis Chamniern. Face à l’impossibilité de se réunir, de nombreux fidèles se tournent vers le propositions numériques. « Je m’ajuste aux changements. Je participe à la messe télévisée et au partage spirituel avec des amis sur LINE [ndlr : une application équivalente à Whatsapp, très répandue en Thaïlande]. À part cela, je regarde la téléconférence du père Somkiat Trinikorn en direct sur Facebook, le soir, ce qui m’aide à mieux comprendre l’Écriture » témoigne Rattigorn, enseignante à l’université Kasetsart. De même, Chuensook, une responsable d’International Justice Mission Thailand, précise : « Généralement, je suis la messe du pape sur l’ordinateur. Son homélie me permet de vivre ma foi avec courage et confiance. Sa méditation lors de la bénédiction ‘urbi et orbi’ exceptionnelle m’a particulièrement touchée. » « Je ne me sens ni frustrée, ni angoissée », assure Chuensook. « Pendant ce temps difficile, loin de mes frères et de mes sœurs dans la foi, je me sens pourtant proche d’eux. La messe du pape me permet de retrouver ma grande famille venant du monde entier, et me montre effectivement le visage de l’Église, une sainte Église Catholique, universelle et apostolique », poursuit-elle.

La pandémie, qui a entraîné la suspension de toutes les célébrations publiques, devient une véritable occasion, pour de nombreux chrétiens, de vivre l’expérience de ceux qui n’avaient déjà pas accès à la communion. « Pour le moment, nous partageons tous ensemble la peine et la souffrance. Je regarde le manque de l’Eucharistie comme un sacrifice. Ainsi, l’absence de la messe nous aide à découvrir le sentiment de ceux qui ne peuvent déjà pas y prendre part, comme les malades, les prisonniers et les handicapés », souligne Charles, d’origine française, installé à Chiang Mai depuis cinq ans. Tandis que le bout du tunnel est encore invisible, l’espérance demeure. Les fidèles thaïlandais, déjà frappés par le pic de pollution et par l’inégalité sociale et économique, regardent ce moment particulier comme un acte de foi. La crucifixion du Christ qui partage la souffrance, la douleur et l’impuissance rappelle ce qu’ils sont et ce à quoi qu’ils croient. Un long silence après la mort du Christ es, certes, douloureux, et les ténèbres peuvent faire peur. Pourtant, ils savent bien qu’ils « passeront » avec Lui de l’obscurité vers la lumière, de la peine vers la joie et de la mort à la vie.

(EDA / Tanya Leekamnerdthai)


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Tanya Leekamnerdthai