Eglises d'Asie

La difficile émancipation des femmes bangladaises face aux abus

Publié le 15/03/2019




L’Unicef classe toujours le Bangladesh au 4e rang mondial concernant le nombre de mariages précoces, sans compter les abus et conflits conjugaux souvent liés à cette situation. Selon une étude parrainée en 2014 par le Fonds des Nations unies pour la population, 87 % des femmes mariées bangladaises avaient été victimes de violences domestiques. Aujourd’hui, le pays compte cependant de plus en plus de femmes diplômées et qualifiées, plus indépendantes. Une situation qui conduit à de nombreuses séparations, ainsi que le montrait une étude réalisée en 2018 par le Bureau bangladais des statistiques, indiquant que le nombre de demandes de divorces avait augmenté de 34 % en sept ans.

Comme beaucoup de femmes bangladaises, Susmita Das (nom d’emprunt) rêvait d’un bon emploi, d’une vie de famille heureuse et de devenir mère après la fin de ses études. Susmita est la quatrième d’une famille baptiste de cinq enfants de la classe moyenne, originaire du district de Khulna dans le sud du pays. En grandissant, ses parents, aux revenus peu élevés, ont eu du mal à les nourrir et à payer leur éducation. « J’ai un master en travail social, et durant la plus grande partie de mes études supérieures, j’ai donné des cours privés afin de payer mes études », explique Susmita, 30 ans. À 22 ans, elle s’est mariée avec un banquier et a trouvé un emploi au sein d’une ONG au bout d’un an. Elle pensait avoir atteint ses rêves. Elle gagnait bien sa vie, ce qui contribuait à soutenir la famille de son mari. Durant les cinq années qui ont suivi, le couple a eu un fils et Susmita est tombée enceinte une deuxième fois. Mais le travail de Susmita l’amenait à voyager régulièrement dans tout le pays, ce qui est devenu l’objet de tensions au sein du couple. « J’étais très honnête et dévouée aussi bien dans ma vie personnelle que ma vie professionnelle. Mais mon mari est devenu méfiant, il pensait que j’avais peut-être des aventures avec des collègues. Au fil du temps, il m’a fait subir diverses formes d’abus physiques et psychologiques », raconte-t-elle. La situation est devenue critique quand son mari lui a demandé de quitter son travail et de rester à la maison. « J’ai lutté toute ma vie pour avoir une éducation et un bon travail, pour être capable d’être autonome. Non seulement mon mari me manquait de respect, mais il voulait en plus me retirer ma liberté et ce dont j’avais longtemps rêvé. Je n’en pouvais plus », ajoute-t-elle. En 2016, elle a demandé le divorce auprès d’un tribunal des familles et s’est séparée de son mari. Elle était alors enceinte de six mois de sa fille. Depuis, ses deux enfants sont restés vivre avec elle. Susmita explique qu’elle est soulagée d’avoir pu se libérer d’un mariage malheureux. Elle est capable de subvenir aux besoins de sa famille, mais elle ne pense pas se remarier. « Je sais que tous les hommes ne sont pas comme mon mari, mais je ne pourrai jamais oublier cette expérience traumatisante », poursuit-elle.

34 % de divorces en plus en sept ans

Ce genre d’affaires est de plus en plus fréquent au Bangladesh, un pays majoritairement musulman où le système social demeure conservateur et dominé par les hommes, et où le mariage est toujours considéré comme une institution sacrée et indissoluble. Ainsi dans le passé, que ce soit dans les zones urbaines ou rurales, la plupart des femmes préféraient rester dans une situation difficile, malgré les abus et humiliations subis. Mais les choses ont commencé à changer ces dernières années. Selon une étude menée en 2018 par le Bureau bangladais des statistiques (BBS), le nombre de demandes de divorces a augmenté de 34 % au cours des sept années précédentes, la plupart des demandes venant de femmes, vivant le plus souvent en ville. Selon la même étude, à Dacca, la capitale, près de 50 000 demandes de divorce ont été déposées au cours des six années précédentes, soit près d’un cas par heure. À Chittagongg, une ville côtière du sud-est du pays, plus de 2 500 cas de divorce ont été déposés au cours des six premiers mois de 2018. Pour Shah Ehsan Habib, professeur de sociologie à l’université de Dacca, la montée du taux de divorce est un facteur indicateur de changements sociaux et comportementaux majeurs dans le pays. « Notre société est encore très masculine et les femmes sont soumises, mais les choses ont commencé à changer. Il y a des femmes qualifiées dans presque tous les secteurs. Elles sont éduquées, qualifiées et décidées. Elles veulent prendre leurs propres décisions et ne supportent plus que leurs maris les traitent comme des objets comme autrefois », explique Shah Habib. Cette tendance s’est amplifiée avec le nombre grandissant de filles et de femmes au sein de l’éducation et de la population active.

Éducation et vie active

Selon l’Unicef, le Bangladesh enregistre tous les ans presque 100 % de scolarisation, et les écoles comptent plus de filles que de garçons. En 2016, la population active comptait 34 % de femmes, contre seulement 4 % en 1974, selon une étude du BBS de 2016. « Les femmes sont plus éduquées et indépendantes, et elles n’hésitent pas à se prononcer ouvertement contre les abus et les injustices. Peut-être qu’il y a vingt ans, une femme serait restée dans un mariage malheureux, mais plus aujourd’hui », poursuit Shah Habib. Par ailleurs, l’Unicef classe le Bangladesh au 4e rang concernant le nombre de mariages d’enfants. En 2017, près de 59 % des filles se sont mariées avant l’âge de 18 ans, et 22 % avant l’âge de 15 ans. Selon les sociologues, la fréquence des mariages précoces conduit aux abus, aux conflits conjugaux et aux séparations. Ainsi, selon une étude menée en 2014 et parrainée par le Fonds des Nations unies pour la population, 87 % des femmes mariées au Bangladesh ont été victimes de violences domestiques. « Les choses n’ont pas beaucoup changé, même si la situation des femmes a bien progressé ses dernières années dans le pays. Aujourd’hui, elles peuvent décider de partir quand les choses ne sont plus supportables », assure Rita Roselin Costa, responsable du bureau des femmes au sein de la Conférence des évêques du Bangladesh. Rita ajoute qu’au Bangladesh, les hommes chrétiens veulent se marier avec des femmes qui ont fait des études supérieures, mais ils refusent qu’elles travaillent et qu’elles gagnent leur vie. Rita Costa explique que même si les femmes sont plus indépendantes, elle estime que les hommes comme les femmes manquent de tolérance et ont du mal à pardonner. « La situation des mariages chrétiens n’est pas tellement différente de celle des mariages non chrétiens. J’ai vu des demandes de divorce qui sont pleines de soupçons, d’accusations et de haine envers l’autre », poursuit Rita. « Il y a vraiment un manque d’amour et de respect au sein des couples qui se séparent. Certaines disputes sur des sujets qui semblent insignifiants conduisent parfois au divorce, ce qui est décevant. »

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews