Eglises d'Asie

La guerre contre la drogue continue en Asie du Sud-Est : la menace de la méthamphétamine

Publié le 26/07/2019




Les comprimés de ya ba (ou ya ma), à base de méthamphétamine et de caféine, se répandent de plus en plus parmi les communautés les plus défavorisées en Asie du Sud-Est. À Bangkok, les effets de la drogue, disponible facilement et à bas coût, sont directement visibles dans les bidonvilles de la capitale. Selon un nouveau rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la région est devenue une plaque tournante de la production et de la vente de drogues synthétiques à l’échelle mondiale. Selon l’ONUDC, les trafiquants exploitent la faiblesse de la répression criminelle, la corruption généralisée et l’extrême pauvreté en Asie du Sud-Est. Face à cette situation, les experts affirment qu’il faut accentuer la répression contre les trafiquants mais aussi s’efforcer de réduire la demande, notamment par programmes de réhabilitation et de sensibilisation.

Les passages tortueux qui sillonnent entre les abris branlants d’un bidonville de squatteurs, le long d’une voie ferrée du centre de Bangkok, donnent un aperçu sur les vies des plus démunis de la capitale thaïlandaise. Ici, un homme couvert de tatouages traîne sans but, torse nu par la chaleur moite de l’après-midi, en fumant une cigarette. Là, une femme âgée portant un vieux sarong délavé se tient près d’un petit ventilateur, sur un bout de linoléum posé sur le sol brut d’une cabane en bois. Près d’elle se tient un chien à l’air affamé, qui reste affalé sur le sol. Yonder, une jeune mère, cherche à calmer un enfant en larmes, nu et couvert de piqûres de moustiques. Puis une jeune femme émaciée apparaît à l’entrée d’une cabane. Elle s’arrête brusquement à la vue d’un étranger circulant dans le bidonville près de chez elle, et se met à l’examiner d’un air inquiet. Elle semble malade, les cheveux en désordre et mal maquillée. « Ceci, mon ami, c’est ce que le ya ba peut vous faire », observe le père Joseph Maier, un prêtre catholique américain qui vit à Bangkok depuis plusieurs décennies, auprès de l’une des communautés les plus pauvres de la capitale. Le prêtre fait référence aux petits comprimés à base de méthamphétamine et de caféine, qui sont vendus dans ces communautés marginales, détruisant beaucoup de vies. Ces jours-ci, ils se vendent environ 60 bahts (deux dollars) le comprimé, soit environ trois fois moins cher qu’il y a seulement quelques années. Le nom ya ba (ou ya ma) signifie « la drogue qui rend fou » en thaï. Beaucoup d’habitants ont pris l’habitude d’en prendre pour se soigner. Les chauffeurs de taxi prennent également du ya ba pour supporter douze longues heures de travail. Les ouvriers en prennent en guise de remontant. Les jeunes en consomment avant les examens ou en soirée.

« Les drogues coûtent le même prix qu’un litre de lait »

Depuis des dizaines d’années, la facilité d’accès des stupéfiants, à commencer par les comprimés de méthamphétamine, particulièrement abordables, a alimenté une grave crise sociale et sanitaire en Thaïlande et en Asie du Sud-Est. Malgré les efforts du gouvernement thaïlandais pour tenter de réprimer les trafics de drogue, les comprimés de méthamphétamine sont plus abordables et faciles d’accès que jamais. En baissant les prix des drogues de synthèse, les gangs criminels qui les vendent les ont rendus plus abordables pour les plus démunis dans la région. Une stratégie qui fonctionne puisqu’elle augmente la demande, rendant la répression des ventes de stupéfiants d’autant plus difficile. « Dans la région, nous avons assisté à l’augmentation orchestrée de la demande », explique Jeremy Douglas, représentant régional de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). « Aujourd’hui, les drogues coûtent le même prix qu’une bouteille de lait », précisait-il en s’adressant à un groupe de journalistes, lors d’une conférence de presse organisée la semaine dernière. « Les revenus augmentent et le prix des drogues diminue. » Les organisations criminelles contrôlent des activités de production dans l’État Shan, secoué par les conflits en Birmanie. De là, les produits illicites sont exportés dans toute la région. À cause des frontières passoires du Triangle d’or, une région montagneuse aux confins du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande, les trafiquants peuvent acheminer assez facilement de grandes quantités de drogues synthétiques – et d’autres marchandises illégales comme des contrefaçons ou de faux médicaments – entre les frontières.

« Cela dépasse le PIB de plusieurs pays »

Les trafiquants exploitent la faiblesse de la répression criminelle, la corruption généralisée et l’extrême pauvreté en Asie du Sud-Est. Ainsi, la région est devenue une plaque tournante de la production et de la vente de drogues synthétique, affirme l’ONUDC. Les profits générés sont énormes. « Les drogues synthétiques sont rapidement devenues le commerce illégal le plus lucratif dans la région, ce qui a amené les organisations criminelles à développer le marché de la méthamphétamine, aujourd’hui évalué à près de 61,4 milliards de dollars par an », explique l’agence de l’ONU, qui vient de publier un nouveau rapport sur la criminalité organisée transnationale dans la région. « Cela dépasse le PIB de plusieurs pays », précise Jeremy Douglas, qui ajoute que l’Asie du Sud-Est est devenue « un épicentre du trafic mondial de drogue synthétique ». L’an dernier, les autorités ont saisi 120 tonnes de méthamphétamine dans la région, mais cela reste ridicule par rapport à la quantité véritable de l’offre disponible dans la région, selon l’ONUDC. La lutte contre les trafics de drogue est d’autant plus difficile qu’ils sont étroitement liés à d’autres activités criminelles transnationales comme la traite des personnes, le trafic d’animaux sauvages et la contrefaçon à grande échelle. « Le crime organisé génère des dizaines de milliards de dollars en Asie du Sud-Est », assure Jeremy Douglas. « Les profits ont augmenté et l’argent généré continue d’affluer à travers les casinos de la région et d’autres commerces », ajoute-t-il. Près d’un quart des drogues synthétiques produites dans la région est vendu en Asie du Sud-Est, mais la plus grande part est envoyée en Chine.

Réhabilitation et sensibilisation

Pour des sociétés qui souffraient déjà des conséquences sociales, économiques et sanitaires de la toxicomanie, ce déluge de comprimés bon marché a apporté encore plus de problèmes. Cela pourrait entraîner encore plusieurs millions de victimes de la dépendance. « Si la criminalité organisée n’est pas contrôlée, elle risque d’ébranler des gouvernements, de perturber les marchés, d’assécher les ressources, d’empêcher le développement de sociétés stables et de mettre en danger les citoyens », souligne Peter Haymond, ambassadeur des États-Unis en Thaïlande. « Une réponse transnationale efficace s’impose », ajoute l’ambassadeur, dont le gouvernement cherche à soutenir la coopération transnationale contre le crime organisé dans la région. Quant aux drogués, la consommation des comprimés de méthamphétamine peut avoir de graves conséquences. Le Ya ba est un puissant stimulant, dont les effets sur le système nerveux durent plus longtemps que pour la cocaïne. Selon la dose, les effets peuvent comprendre de l’insomnie, une plus grande vivacité, de l’euphorie, des hallucinations, des délires paranoïaques et des comportements agressifs. La consommation prolongée de cette drogue, surtout à forte dose, peut entraîner des dégâts irréversibles. La plupart des consommateurs sont des personnes à faibles revenus qui voient dans ces comprimés un moyen facile d’oublier leurs problèmes, entre la fatigue ou le stress dus au travail, ou encore les conflits conjugaux. Pour lutter efficacement contre ce fléau, Jeremy Douglas affirme qu’il faut développer la répression contre les trafiquants tout en s’efforçant de réduire la demande, en passant par des projets de réhabilitation et des programmes éducatifs. « Nous devons absolument réduire la demande et la croissance du marché des stimulants synthétiques », insiste-t-il. « Nous devons également soutenir la résilience des communautés défavorisées, auprès de tous ceux qui restent vulnérables. »

(Avec Ucanews, Bangkok)

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