Eglises d'Asie – Birmanie
La junte birmane cherche à afficher un retour à la « normale » à l’occasion du nouvel an bouddhiste
Publié le 20/04/2022
Le nouvel an bouddhiste, ou festival Thingyan, qui se déroule chaque année du 13 au 16 avril, s’est ouvert une nouvelle fois en Birmanie sous la contrainte, le silence et le deuil. Pour le régime du général Min Aung Hlaing, les célébrations ont été l’occasion de montrer un retour à la « normale », comme si la vie avait repris son cours malgré la guerre civile, les plus de 1 700 civils tués et les quelques centaines de villages incendiés.
Comme l’an passé, la propagande du régime fabrique des informations selon lesquels les rues seraient animées, et les pèlerins nombreux dans les temples de Bagan. Mais en lieu et place de la population n’apparaissent que des officiels en costume ou en treillis. La joie et les foules s’aspergeant d’eau dans les rues ont été remplacées par les officiels et soldats en rangs devants des scènes vides. Les quelques photos de célébrations ont été prises à l’intérieur des baraques des soldats, quand elles n’étaient pas purement et simplement retouchées et tirées d’archives.
Ainsi, la dernière véritable fête du nouvel s’était tenue en 2019 sous le gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie. Toutes les villes et tous les villages avaient monté des scènes où se produisaient les icônes montantes locales du hip-hop, de la R&B et de grosses enceintes gonflées de mélodies électroniques. En costumes traditionnels ou shorts courts, la jeunesse occupait les rues, et la Myanmar beer – la bière brassée par l’armée et pas encore boycottée – coulait à flots.
En 2020, le Covid-19 frappant le pays, le président Win Myint, du gouvernement civil, s’était vu forcé d’annuler les célébrations. La confiance de la population dans le gouvernement d’Aung San Suu Kyi et la peur de l’épidémie avaient vidé les rues. En 2022, comme en 2021, le commandant en chef Min Aung Hlaing a tenté, à l’inverse, de faire sortir la foule dans la rue. Des scènes et stands avec jets d’eau ont été installés par les employés municipaux à Rangoun. Sur l’artère principale de Rangoun, Pyay Road, qui longe la pagode Shwedagon, les véhicules étaient forcés par les agents de passer devant ces installations.
Mais malgré tout, la fête n’était pas au rendez-vous. Des policiers pouvaient être aperçus en nombre autour des installations du nouvel an, par crainte d’attaques des forces de résistance ayant appelé au boycott. Le Conseil consultatif d’unité nationale, qui inclut le gouvernement en exil et des représentants des forces de résistance, a appelé à éviter les célébrations « utilisées par l’armée à des fins politiques ». Les routes barrées autour de la pagode Sule étaient donc désertes. La télévision d’état MRTV a diffusé en direct une chanteuse au visage couvert par de larges lunettes et une casquette, en train d’entonner une chanson datée devant un parterre de cinq officiers de police séparés de quelques passants étrangement immobiles derrière des barrières.
Coupures d’électricité et contrôle des changes
Cela fait donc trois ans que la population locale n’a pas véritablement célébré le nouvel an bouddhiste, comme si le temps s’était effectivement suspendu, voire inversé. Les coupures d’électricité ont remplacé les sonos criantes de l’époque de la Ligue nationale pour la démocratie. « Nous attendons 12 heures pour pouvoir cuisiner le premier repas de la journée désormais, à cause des coupures d’électricités », raconte au téléphone une mère de famille de la banlieue nord de Rangoun.
Depuis le mois de mars, l’électricité n’est plus distribuée, en théorie, que par plages horaires de 4 heures, suivies de 4 heures de coupure. Dans certains quartiers, des coupures dites de 24 heures ont même été décrétées par le régime. Sans électricité, l’eau pompée directement dans les nappes souterraines par chaque immeuble n’arrive plus dans les appartements, les habitants se retrouvent à payer des sociétés privées de livraison d’eau d’usage ou à investir dans des générateurs diesel, rendus plus chers par l’explosion des prix du gaz depuis l’été 2021.
Alors que les coupures perturbent sérieusement les activités industrielles des banlieues de Rangoun, le Conseil d’administration de l’État du général Min Aung Hlaing vient tout juste de promulguer, début avril, une nouvelle directive économique interdisant la possession de devises étrangères par les citoyens et entités birmanes. Toute devise étrangère devant automatiquement être convertie en kyat sous 24 heures au taux fixé par le gouvernement – 15 à 20 % plus faible que le cours du marché. Les chambres de commerce et ambassades japonaises et européennes ont averti que cette mesure complexifie la poursuite de l’activité des entreprises étrangères et commerçantes avec l’international. Surtout, ce système de contrôle des changes devrait impacter lourdement les millions de travailleurs birmans émigrés envoyant leur salaire aux familles et villages.
À la recherche désespérée de devises étrangères, le régime militaire a également annoncé la réouverture, le 17 avril, des vols commerciaux internationaux, fermés depuis le début de la pandémie en 2020. Le régime a aussi mentionné l’ouverture prochaine aux touristes étrangers et la réouverture des visas business. Le quotidien officiel The Global New Light du 3 avril a également fait la promotion du tourisme vers un parc naturel dans l’État Chin, situé sur la frontière indienne, dans une région aujourd’hui en plein conflit (la ville attenante de Kampetlet ayant été bombardée par l’armée, 160 maisons incendiées et 2 églises touchées en décembre 2021).
Illusion d’un retour à la « normale »
Souhaitant donner l’illusion d’un retour à la « normale », l’armée se révèle toujours incapable de gérer le pays voire d’assurer la sécurité de ses administrateurs. Le 7 avril, la vice-gouverneur de la banque centrale, Daw Than Swe, a été attaqué à l’arme à feu devant chez elle. Une attaque revendiquée par le gouvernement d’unité nationale et clôturant l’opération « vague victorieuse » dans la région de Rangoun, avec plus de mille cibles administratives et militaires depuis septembre 2021, selon la résistance.
Dans les villes, la répression se poursuit, notamment dans les quartiers populaires. Depuis février 2021, l’imposition de la loi martiale dans les banlieues de Rangoun et de Mandalay a accompagné la création de tribunaux spéciaux sous l’autorité directe du commandant militaire de la région de Rangoun. Les tribunaux dirigés directement par des officiers sont déclarés compétents pour tous types de litiges, des problèmes de transports et publication aux cas de viols et de terrorisme – 110 condamnations à mort ont été prononcées par le régime militaire depuis février 2021, principalement depuis ces tribunaux, selon le chercheur Daniel Cullen. Même si la Birmanie n’a pas aboli la peine capitale, elle n’a procédé à aucune exécution depuis 30 ans et le soulèvement de 1988.
La guerre civile ne connaît pas de trêve sur les frontières du pays, avec toujours le même schéma d’attaques de guérillas par les forces de la résistance, suivies de raids contre les villages par les soldats du régime. Dans l’État Karen, à l’est du pays, l’Union révolutionnaire Karen a annoncé avoir tué plus de mille militaires birmans depuis le début de l’année. Dans l’État Rakhine, au sud-ouest du pays et jusqu’alors calme – seule région où le nouvel an a été célébré –, l’Arakan Army s’est mobilisée en évoquant la résurgence prochaine du conflit l’opposant à l’armée birmane. Les forces restent toutefois très inégales : des fusils de fortunes contre des avions de chasse russes ; et l’ensemble des résistances n’étant pas réuni sous une même chaîne de commandement.
La junte birmane, reconnue par ses voisins, l’Inde, la Chine et la Thaïlande, demeure isolée sur son territoire. Le média The Irrawaddy révèle que les prix des résidences ont explosé dans la capitale-forteresse Naypyitaw, construite par l’armée. La relative sécurité offerte par l’intense présence militaire et l’absence de coupure d’électricité attire les plus fortunés et les familles d’officiers, de plus en plus retranchés au cœur même du pays. La nouvelle année birmane s’annonce donc plutôt comme un retour en dictature et un retour en arrière.
(EDA / Salai Ming)
CRÉDITS
MgHla (aka) Htin Linn Aye (CC BY-SA 4.0) ; Yangon thingyan (CC BY-SA 2.0) ; Htoo Tay Zar (CC BY-SA 3.0)