Eglises d'Asie

La minorité catholique tamoule appelle à poursuivre sérieusement la réconciliation nationale

Publié le 17/12/2022




Le 27 novembre, plusieurs milliers de Tamouls du nord et de l’est du Sri Lanka se sont rassemblés pour commémorer les pertes de leurs proches durant la guerre civile (1983-2009). Parmi eux, de nombreux responsables catholiques, dont le père Mariyampillai, estiment qu’il y a encore beaucoup à faire pour la réconciliation entre les communautés tamoules et cingalaises, y compris au sein de l’Église locale : « C’est vrai que les habitants du nord et du sud ont été profondément divisés, mais cela n’aurait pas dû nous influencer. »

Le 27 novembre 2022, un homme allume une lampe à huile lors d’une journée de prière en hommage aux victimes de la guerre civile sri-lankaise.

Tous les ans, le 27 novembre, plusieurs milliers d’habitants de langue tamoule des provinces du nord et de l’est du pays se rassemblent afin de commémorer les pertes de leurs proches durant la guerre civile sri-lankaise (1983-2009). Ils sont venus avec des lampes à huile et des couronnes de fleurs, et certains ont même apporté le plat préféré d’un proche décédé.

En revanche, peu de membres de la communauté majoritaire cingalaise du sud – y compris parmi les prêtres, religieuses et laïcs cingalais – participent à l’événement annuel, considéré comme sensible et controversé sur le plan social et politique. La discrimination sociale des Tamouls de la part des Cingalais majoritaires existe également au sein de l’Église catholique locale, avec parfois des divisions qui forment presque deux Églises distinctes.

La guerre civile, qui a éclaté en 1983 entre le gouvernement et l’organisation indépendantiste des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE), a renforcé cette aliénation sociale. Les cimetières de guerre construits par les membres du LTTE ont été détruits par l’armée après sa victoire.

« Les habitants ont été profondément divisés mais cela n’aurait pas dû influencer l’Église »

Beaucoup de catholiques tamouls, comme le père Ruban Mariyampillai, ancien rédacteur en chef du journal Paathukaavalan (publication officielle tamoule du diocèse de Jaffna), estiment que les autorités ecclésiales de l’île les ont laissés tomber en évitant de prendre parti face aux nombreuses difficultés rencontrées par la minorité dans le passé. « C’est vrai que les habitants du nord et du sud ont été profondément divisés sur des critères ethniques et identitaires, pour des raisons politiques, mais cela n’aurait pas dû influencer l’Église en tant qu’institution religieuse », souligne le prêtre.

Même après la guerre, confie-t-il, « peu de choses ont changé dans les habitudes de l’Église quand il s’agissait de parler ouvertement des difficultés rencontrées par les Tamouls dans ce pays ». « Malheureusement, il n’y a pas eu de tentative sérieuse d’unir les catholiques du nord et de l’est avec ceux du sud, afin que les uns et les autres comprennent les difficultés des autres et commencer à prendre le chemin de la réconciliation », poursuit-il.

Par ailleurs, rappelle-t-il, des survivants de la guerre civile ont dû faire face à d’autres problèmes comme la question des disparitions forcées, ainsi qu’une soif de justice face aux accusations de crimes de guerre et d’atrocités contre la communauté minoritaire, commis durant les phases finales du conflit interne. Durant cette période, en 2009, on estime que près de 40 000 civils ont été tués et que l’armé a gravement violé les droits de nombreux habitants, selon une commission de l’ONU nommée en 2011.

Un jour de prière et de commémoration pour défendre le « droit au souvenir »

Le père Jebaratnam, vicaire général du diocèse de Jaffna, estime que les attentats de 2019 ont « ouvert les yeux » de nombreux catholiques cingalais dans le sud du pays.

Après la fin de la guerre civile en 2009, une délégation représentant la Conférence épiscopale sri-lankaise s’est rendue dans les anciennes zones guerre des provinces du nord et du sud, afin d’échanger avec différents acteurs du conflit, dont des membres de l’armée, sur les épreuves subies par les Tamouls. Un rapport sur la visite épiscopale a également été publié lors d’une assemblée des évêques sri-lankais. « Treize ans après la fin de la guerre et la visite de cette délégation, presque toutes les questions soulevées par le rapport doivent encore être résolues », affirme le père S. V. B. Mangalarajah, historien et responsable de la Commission justice et paix du diocèse de Jaffna.

Afin de faire face aux revendications sociales et politiques de la minorité tamoule de manière plus indépendante, les évêques des provinces concernées ont demandé la création d’un forum spécial des évêques du nord et de l’est. Les évêques tamouls estiment en effet qu’ils représentent une minorité au sein de la conférence épiscopale nationale. Au cours des deux dernières années, ils ont donc fondé un groupe provisoire appelé Conseil des évêques du nord et de l’est, afin de soulever les préoccupations des habitants des deux régions.

L’une de leurs décisions a été de commémorer le massacre de Mullivaikaal, survenu le 18 mai 2009 à la fin de la guerre civile – un jour de prière et de commémoration pour les catholiques tamouls. Le Conseil a également publié une déclaration signée par les quatre évêques régionaux, en expliquant que cette journée a pour but de défendre le « droit au souvenir » des victimes. « Les survivants et les témoins de la dernière phase de la guerre et des décennies précédentes pleurent leurs proches disparus, qui ont été enterrés hâtivement sans pouvoir bénéficier d’obsèques dignes de ce nom », ont-ils expliqué.

« Nous ne demandons pas à être séparés »

« Nous ne demandons pas à être séparés. Nous avons nos propres problèmes et nous avons le droit d’exprimer les préoccupations des gens d’ici », estime le père Mangalarajah. Pour le père Pathinathan Josephdas Jebaratnam, vicaire général du diocèse de Jaffna, les attentats à la bombe du dimanche de Pâques 2019 ont « ouvert les yeux » de nombreux catholiques dans le sud majoritairement cingalais. « Ces attaques sont les pires atrocités commises depuis la fin de la guerre civile, et certains ont pu réaliser ce que demandaient les Tamouls depuis toutes ces années », ajoute le père Jebaratnam.

Le père Julian Patrick Perera, curé de l’église Saint-Antoine de Kollupitiya, à Colombo (touchée par les attentats il y a trois ans), partage cet avis. « Malheureusement, les habitants du sud du pays n’auraient jamais cru que ce qui est arrivé dans les provinces du nord et de l’est pourrait leur arriver aussi un jour. Ici, à l’époque de la guerre civile, il n’y avait pas de juste milieu ; nous avons été pris par la propagande politique », souligne le prêtre. Il conclut que les catholiques des deux côtés ont tous traversé des traumatismes et qu’il est temps de « reconnaître et affronter les erreurs commises » en vue d’aller de l’avant.

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Rubatheesan Sandran / Ucanews