Eglises d'Asie – Pakistan
La minorité chrétienne de plus en plus inquiète face aux persécutions religieuses
Publié le 09/09/2023
L’ampleur de ces émeutes antichrétiennes, appuyée par les images diffusées des lieux dévastés, a eu une portée retentissante au Pakistan. Les jours suivant les violences, plusieurs personnalités se sont rendues sur place, à Jaranwala, pour témoigner de leur solidarité envers les victimes. L’occasion, également, d’adresser un soutien à l’ensemble de la communauté chrétienne, qui représente moins de 2 % d’une population de 230 millions d’habitants au Pakistan.
« Il en va de la responsabilité de chaque musulman de protéger les communautés minoritaires », a déclaré, sur place, le Premier ministre pakistanais par intérim, Anwaar Ul Haq Kakar. Ce dernier a souligné que « la communauté chrétienne a joué un rôle important dans la création du Pakistan », rappelant que cette minorité fait partie intégrante de la nation. Le Premier ministre a promis que les églises vandalisées seraient réparées, et les victimes ont été assurées de percevoir des compensations financières pour les maisons détruites et les pertes engendrées par la fureur des émeutiers.
Des responsables musulmans ont également fait le déplacement et ont propagé des messages de respect et d’harmonie entre les différentes confessions qui coexistent dans le pays. « Nous devons nous efforcer de cultiver la tolérance, le respect et la patience dans notre société et rejeter toute tentative d’exploiter la religion à des fins personnelles ou politiques », a déclaré le président du Conseil des oulémas, Muhammad Tahir Mahmood Ashrafi.
« On ne joue pas avec le feu, il faut penser aux conséquences d’actions insensées »
Depuis, une enquête a été ouverte par la police pakistanaise afin d’identifier les raisons de l’attaque et les coupables. Plus de 600 personnes ont participé aux émeutes ; 37 d’entre elles ont été identifiées et placées en détention. D’après la police, les violences auraient été déclenchées par des accusations de blasphème, à la découverte d’un exemplaire du Coran aux pages déchirées.
En réalité, il s’avère qu’un différend privé, dans la localité chrétienne, a conduit à une mise en scène de la profanation du Coran, avec l’intention de faire accuser à tort un individu de blasphème. D’après la police, trois suspects ont confessé avoir jeté des pages du Coran devant la maison de leur ennemi personnel. « S’il s’avère que l’affaire a été conçue et fabriquée par des citoyens chrétiens, ce serait très grave », a commenté dans la presse le père Khalid Mukhtar, prêtre de la paroisse de Jaranwala. « On ne joue pas avec le feu, il faut penser aux réactions et aux conséquences d’actions insensées. »
Selon le Code pénal du Pakistan, une personne reconnue coupable de blasphème à l’encontre de l’islam encourt de lourdes peines, allant jusqu’à l’emprisonnement à vie et la peine de mort. Le blasphème est un acte ou une parole critiquant le prophète Mahomet ou le Coran. Le 17 janvier dernier, le Parlement du Pakistan a durci la législation à cet égard, allongeant les peines d’emprisonnement pour toute personne passible d’avoir insulté les compagnons, épouses ou membres de la famille du prophète. La peine minimum est à présent portée à 10 ans d’incarcération.
Un nouvel incident le 3 septembre à Jaranwala
Les groupes de défense des droits de l’homme ont alors tiré l’alarme, inquiets de dérives possibles susceptibles de cibler les minorités religieuses du Pakistan. Car de simples allégations suffisent parfois à échauffer les esprits et, sous l’argument du blasphème, inciter des foules à perpétrer des violences. Selon la Commission indépendante des droits de l’homme au Pakistan, des règlements de compte personnels usent parfois des accusations de blasphèmes, et les sentences peuvent être prononcées sur la base de motifs obscurs. Les chrétiens en font aisément les frais.
Au Pakistan, et en dépit du droit des minorités à exercer leur religion, garanti par la Constitution, les communautés hindoue, chrétienne, sikh et ahmadie subissent de plein fouet des discriminations de différentes natures. Les actes de violences sont courants. Le 3 septembre, lors d’un nouvel incident, un prêtre chrétien, le père Eleazar Sidhu, a été blessé par balles dans son église de Jaranwala.
Aux dérives des lois « anti-blasphème » s’ajoutent ainsi des agressions physiques, mais aussi des enlèvements et conversions forcées subies par des jeunes femmes. D’après le dernier rapport annuel sur la liberté religieuse publié par la fondation internationale AED (Aide à l’Église en Détresse), les enlèvements, les violences sexuelles et les conversions religieuses forcées se poursuivent au Pakistan et restent largement impunis.
L’Église locale forcée de renforcer ses mesures de sécurité
En 2021, le Pakistan a renoncé à faire passer des lois anti-conversion. Le projet prévoyait une amende et une peine de cinq à dix ans de prison pour toute personne ayant recours à la force pour convertir une personne. Pourtant, chaque année, des centaines de jeunes filles hindoues et chrétiennes sont kidnappées, converties et mariées de force. Ces incidents sont notamment rapportés dans la ville de Karachi et sa province du Sind, mais aussi au Pendjab.
Face à l’augmentation des violences, et dans un pays plongé en pleine crise économique et politique, l’inquiétude des minorités s’intensifie. À la fin du mois d’août, plusieurs organisations chrétiennes ainsi que l’archevêque de Karachi, Mgr Benny Travis, se sont mobilisés à travers le pays pour demander davantage de protection. La résurgence des attaques terroristes au Pakistan force également l’Église locale à se protéger et à renforcer ses mesures de sécurité.
Récemment, en Inde, le Conseil des évêques catholiques du Kerala a appelé l’Organisation des Nations unies à prendre des mesures urgentes face à la montée des violences à l’encontre des chrétiens en Inde et au Pakistan. Cette semaine, c’est une délégation de la communauté chrétienne du Pakistan qui a rencontré les parlementaires de l’Union européenne, à Bruxelles, afin d’alerter sur la « persécution religieuse » dans leur pays.
(EDA / A. R.)