Radesh Singh Tony, un sikh pakistanais, a dû s’habituer aux discriminations religieuses en grandissant. « Imaginez un sikh, vivant dans un pays islamique. Tous mes amis musulmans considéraient que c’était leur devoir de me pousser à devenir musulman », explique Radesh. Durant sa jeunesse, il représentait son pays lors de compétitions de cricket de haut niveau. Pourtant, il a fini par être renvoyé de l’équipe de son école, et il a échoué à se faire sélectionner par l’équipe de cricket de Pakistan Railways. Deux décisions qu’il estime injustes et relevant de motivations religieuses. « Ils avaient l’habitude de m’appeler ‘l’hindou’ », précise-t-il. Les épreuves ont continué alors qu’il avait lancé un commerce de vente d’ordinateurs et de caméras de surveillance à Peshawar, une ville conservatrice souvent prise pour cible par les terroristes Talibans, dans le nord de la province de Khyber Pakhtunkhwa. « Nos concurrents avaient l’avantage d’être musulmans. Ils avaient tendance à se rapprocher de nos clients pour les convaincre de ne pas faire confiance à des gens d’autres religions. Mes employés se faisaient pousser la barbe pour prouver qu’ils étaient de vrais musulmans », explique-t-il.
Afin de prouver que lui et ses amis aimaient leur pays et qu’ils étaient des citoyens libres, méritant les mêmes droits que les musulmans, il s’est engagé dans beaucoup d’œuvres caritatives. Dont notamment l’aide aux survivants du séisme de magnitude 7,6 qui a frappé le Cachemire le 8 octobre 2005, l’aide à la construction de camps de soins gratuits, et l’organisation de repas du soir (« iftar ») durant la période du Ramadan… Au Pakistan, la plupart des sikhs sont centrés dans cette province du nord du pays. Le nombre exact n’est pas connu, puisqu’ils ont été exclus des derniers recensements de la population, mais ils seraient autour de 20 000 fidèles. Beaucoup d’entre eux se sont exprimés sur les réseaux sociaux afin de sensibiliser la population sur la discrimination qu’ils subissent, tout en manifestant leur amour pour leur pays. Le pays islamique héberge près d’une centaine de sanctuaires sikhs. Des milliers de pèlerins sikhs se rassemblent chaque année pour honorer la naissance de Guru Nanak, le fondateur du sikhisme, né dans un petit village près de Lahore en 1469.
Mais pour les sikhs qui protestent contre les injustices qu’ils subissent, la région reste dangereuse. Le 24 mai, un sikh pakistanais, Charanjeet Singh, 44 ans, a été tué par balles par des motards non identifiés alors qu’il travaillait dans sa boutique de Peshawar. Ce défenseur du dialogue interreligieux, un ami de Radesh, est mort avant d’arriver à l’hôpital. Le principal suspect du meurtre, arrêté par la police de Peshawar, appartenait à une organisation criminelle coupable d’extorsion de fonds. La communauté locale de Peshawar a récemment salué le nouveau premier ministre Imran Khan pour la construction du corridor de Katarpur, un projet de corridor frontalier de 4 kilomètres de long, destiné à faciliter le passage des pèlerins entre les sanctuaires sikhs de Dera Baba Nanak, à Gurdaspur (en Inde) et de Gurdwara Kartarpur Darbar Sahib, dans le district de Narawal (Pakistan). Les sikhs bénéficient ainsi d’un visa gratuit leur permettant de franchir la frontière.
En dix ans, 7 000 familles sihkes ont pris la fuite
De son côté, le ministre fédéral des Affaires religieuses a annoncé le projet d’un timbre ou d’une pièce de monnaie célébrant le 550e anniversaire de la naissance de Guru Nanak, d’ici l’année prochaine. Il est également question de la construction d’une université à son nom. Pourtant, malgré ces efforts, les discriminations religieuses demeurent une préoccupation majeure pour les Pakistanais non musulmans. Des milliers de familles sikhes ont fui le pays pour des régions plus « favorables » après avoir reçu des menaces de mort. Ainsi, Sardar Soran Singh, conseiller pour le ministre en chef des affaires des minorités, a été tué par balles dans le district de Buner en 2016. Selon les médias, 7 000 familles sikhes de Khyber Pakhtunkhwa ont fui vers l’Inde au cours de la dernière décennie, laissant derrière eux près de 15 000 sikhs qui vivent toujours dans la province. En octobre, Radesh Singh a déménagé au Pendjab après avoir survécu à trois attaques à main armée à Peshawar. Ces actes de terrorisme ont commencé durant les élections nationales du 25 juillet, quand Radesh Singh a déposé sa candidature pour un siège au sein d’une assemblée provinciale. Cela a commencé par un appel menaçant à 7 h 30, le 14 juillet. « Vous n’avez pas besoin de connaître mon nom. Abandonnez votre candidature. Ce ne sera pas bon pour vous et pour votre famille », menaçait la personne au bout du fil.
Trois jours plus tard, un homme d’une vingtaine d’années est venu chez lui pour réitérer la même menace. « Après avoir déposé un pistolet sur notre table, il a voulu savoir pourquoi je ne déposais pas ma candidature pour l’un des sièges réservés aux minorités », explique Radesh. « Quand il a vu qu’il ne parvenait pas à me convaincre, il m’a averti que des tireurs étaient en position devant chez moi et que je ne devrais pas sortir de la maison. » Radesh a rapporté la menace à la police le jour suivant. « Ils m’ont proposé une sécurité renforcée, mais je n’avais pas les moyens de payer quatre policiers pendant une semaine. Je n’avais pas non plus le moyen de les véhiculer durant la campagne électorale. » Durant cette semaine électorale, des tireurs ont tiré sur lui et sur ses deux fils à plusieurs reprises. « Au début, je pensais qu’il s’agissait juste de personnes tirant en l’air, c’est une tradition des Pachtounes. Mais le jour suivant, nous avons été pris pour cible près d’un cimetière, et nous nous sommes réfugiés dans une maison voisine », explique-t-il. « Puis le 21 juillet, j’ai entendu des bruits de balles tirées autour de moi, alors que j’étais à moto. L’une d’entre elle a frappé mon ‘dastar’ », raconte-t-il, évoquant le turban porté par les sikhs.
Malgré les menaces, il a tout de même déposé son bulletin dans l’urne le matin des élections. Écoutant les supplications de sa mère, qui souffrait d’un cancer, il a fini par rester cloîtré chez lui pendant deux mois. De plus, incapable de payer le loyer pour le local de sa boutique, Radesh a dû négocier avec son propriétaire en lui donnant plusieurs ordinateurs portables. Il a donc fini par chercher une maison à louer à Lahore, ce qui était une autre épreuve pour la famille sikhe. « Nous avons dû rester une semaine chez des proches, qui se sont convertis récemment au christianisme. Plusieurs propriétaires ont accepté de nous louer un logement, avant d’annuler en apprenant que nous étions sikhs », ajoute-t-il. « Ils nous accueillent avec le sourire, mais ils ne nous laissent pas vivre chez eux. Le gouvernement a accepté d’aider les sikhs indiens en ouvrant le corridor de Katarpur, mais il a ignoré les appels des sikhs pakistanais, qui demandent un visa gratuit pour se rendre au sanctuaire du Temple d’Or, qui se trouve à vingt minutes en voiture depuis Wagah. » Le père Saleh Diego, directeur de la commission Justice et Paix de l’archidiocèse de Karachi, a salué la nouvelle d’un nouveau corridor. « Pour la première fois depuis longtemps, le gouvernement et l’armée sont sur la même longueur d’onde », se réjouit-il. « Ils se montrent plus ouverts à la diversité, et ils essaient de réprimer les militants religieux, qui posent même une menace pour les musulmans », confie-t-il.
(Avec Ucanews, Lahore)
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Ucanews