La pauvreté a diminué au Bangladesh : en 2018, le taux de pauvreté est tombé de 31 % à 21,8 %. De plus, près de 10,5 millions de Bangladais sont sortis d’une situation d’extrême pauvreté au cours des huit dernières années. Pourtant, des critiques telles que Jibon Das, directeur régional de Caritas Khulna dans le sud du pays, rappellent que l’Indice de l’engagement à la réduction des inégalités 2018 a classé le Bangladesh 148e sur 157 pays. Par ailleurs, l’économiste Anu Muhammad ajoute que les chiffres du gouvernement se basent sur le seul budget alimentaire et qu’ils ne reflètent pas la réalité.
Raju Bor, 18 ans, un hindou de la minorité Singh, a toujours vu ses parents peiner pour parvenir à faire vivre leur famille, au village de Belowa, dans le district de Natore, dans l’ouest du pays. Raju, le second de leurs trois fils, a quitté l’école en CM2 parce que ses parents ne pouvaient plus payer les frais de scolarité. Ses frères ont eux aussi dû quitter l’école pour la même raison. « Nous n’avions aucune terre cultivable, exceptée notre ferme, donc mes parents devaient se contenter d’emplois précaires pour vivre. Ils avaient beaucoup de mal à faire vivre notre famille », explique Raju. La détresse de la famille s’est aggravée quand leur mère est morte d’une maladie non identifiée, il y a quelques années. Après des années d’errance, son grand frère a fini par trouver un travail dans une boutique comme vendeur afin d’aider la famille. « Comme mon grand frère, je voulais aider la famille mais je ne savais pas quoi faire. C’était frustrant », ajoute Raju. En 2016, le jeune homme a aperçu une publicité de Caritas Rajshahi annonçant une offre de courtes formations à bas coût. « Je me suis inscrit pour une formation de six mois comme garagiste. Après cela, l’année dernière, j’ai trouvé du travail dans un atelier », explique-t-il. Aujourd’hui, il gagne environ 4 000 takas par mois (48 dollars), et il se réjouit de contribuer à améliorer un peu le quotidien de la famille. « Je suis sûr que notre vie va devenir plus heureuse et digne à l’avenir », assure-t-il.
Raju et sa famille font partie des quelque 10,5 millions de Bangladais qui sont parvenus, ces huit dernières années, à sortir d’une situation d’extrême pauvreté. Le taux de pauvreté est tombé de 31 % à 21,8 % en 2018, selon les données officielles du Bureau bangladais des statistiques. L’analyse est fondée sur la capacité de la population à acheter de la nourriture, et non sur le revenu par habitant. Le revenu par habitant annuel est aujourd’hui de 1 751 dollars dans le pays, et la croissance du PIB a atteint 7,86 % en 2018, selon le rapport de septembre du ministère de la planification. Une personne incapable d’acheter un minimum de 2 122 kilocalories de nourriture par jour est considérée comme pauvre au Bangladesh ; en dessous de 1 805 kilocalories, elle est considérée comme en situation d’extrême pauvreté.
Des millions de Bangladais encore en dessous du seuil de pauvreté
Hollam Mollah, 55 ans, habite un bidonville près de la gare de Tejgaon, dans le centre de la capitale, Dhaka. Il y a environ dix ans, il est venu dans la capitale avec sa femme Sharifa Begum et ses deux fils, après qu’une inondation a détruit leur maison et les terres cultivables de leur district d’origine, à Manikganj dans le centre du pays. Leurs deux fils se sont mariés et ont quitté la maison, laissant leurs parents se débrouiller seuls. Hollam gère un petit étallage avec sa femme, où il vend du thé et des cigarettes à côté de la gare. Il y gagne environ 300 à 400 takas par jour. Le couple vit dans un abri d’une pièce, au toit de tôle. La vie à Dhaka est toujours une épreuve pour eux. « Le bidonville est illégal, donc la police vient régulièrement pour expulser les gens. Quand cela arrive, nous partons puis nous revenons pour recommencer quand la police est partie. Pour gérer ma boutique, je dois payer de l’argent à des escrocs qui menacent de la détruire », ajoute-t-il. « À la fin du mois, nous ne pouvons pratiquement rien économiser. » Sharifa explique que s’ils pouvaient économiser de l’argent, ils achèteraient un bout de terrain dans leur village pour s’y installer à nouveau. « Ici, en ville, on peut à peine s’en sortir. Il n’y a pas de paix, ni de joie. Nous pensons que si nous pouvions retourner dans notre village, nous serions à nouveau en paix. »
Les pauvres ne profitent pas de la croissance
La chute du taux de pauvreté se reflète à peine dans le quotidien des communautés défavorisées et marginalisées, confie Jibon Das, directeur régional de Caritas Khulna, qui couvre la région côtière du sud du pays. « La pauvreté baisse, mais le nombre de personnes qui s’enrichissent augmente et les inégalités entre riches et pauvres s’accroissent. Les bénéfices de cette baisse ne profitent pas à ceux qui sont dans le besoin. Ce sont ceux qui sont dans les bons réseaux et qui sont proches des milieux politiques qui bénéficient de la croissance économique », affirme-t-il. Jibon relève par ailleurs le mauvais classement du Bangladesh dans un rapport récent sur l’évolution des inégalités dans le monde. Selon l’Indice de l’engagement à la réduction des inégalités 2018, le pays est classé 148e sur 157 pays. « Il n’y a aucun moyen d’arrêter cette tendance à moins d’assurer une bonne gestion et une meilleure distribution des richesses, et de lutter contre la corruption », souligne-t-il.
Un pays ne peut se représenter le niveau réel de la pauvreté en se contentant de se baser sur le budget alimentaire des gens, ajoute Anu Muhammad, économiste renommé et engagé pour les Droits de l’Homme dans le pays. « La pauvreté est un problème aux multiples facettes, donc on ne peut pas la définir et l’expliquer sans considérer ses divers aspects. Par exemple, ceux qui achètent plus de 2 200 kilocalories de nourriture par jour doivent parfois dépenser plus d’argent que ce qu’ils gagnent et doivent emprunter la somme manquante. Cela veut dire que le niveau réel de pauvreté est en fait plus grave que les chiffres indiqués, et le rapport entre niveau de revenu et budget alimentaire n’est pas équilibré », analyse Anu Muhammad, professeur d’économie à l’université Jahangir Nagar de Dhaka. Pour lui, la pauvreté a peut-être chuté sur le papier, mais il ajoute que le niveau des inégalités s’est multiplié par quatre durant la dernière décennie. Pourtant, Samsul Alam, premier secrétaire du ministère de la planification, souligne que le Bangladesh a réalisé des efforts louables dans la lutte contre la pauvreté. « C’est vrai que les inégalités salariales et sociales n’ont pas baissé comme prévu. Mais le gouvernement s’est engagé à lutter pour le développement intégral du pays. La priorité est de soutenir les investissements publics dans le domaine de la sécurité sociale et d’améliorer la rémunération des salariés dans plusieurs secteurs », ajoute-t-il.
(Avec Ucanews, Dhaka)
Photos Stephan Uttom / Ucanews