Eglises d'Asie

La station balnéaire de Sihanoukville attire les investissements chinois

Publié le 26/02/2019




Le 24 janvier, près de 300 militaires et policiers sont intervenus suite à la manifestation des villageois de Koki, non loin de la station balnéaire renommée de Sihanoukville, qui protestaient contre l’annonce de leur éviction forcée. Le village étant construit en milieu forestier, les titres de propriété restent incertains pour certaines habitations et terrains agricoles. D’où la surprise de certains habitants qui ont vu leur maison détruite en apprenant leur expropriation. La station balnéaire, autrefois prisée des Cambodgiens et touristes occidentaux, continue d’attirer les investissements chinois. De nombreux hôtels, casinos et commerces se construisent à Sihanoukville. Une occasion de création d’emplois, certes, mais aussi une hausse de l’immobilier qui frappe les plus défavorisés.

C’est comme si un cyclone avait frappé la maison de Chheav Sovannarith. Des quatre murs qui supportaient son toit, il n’en reste qu’un. Des piles de gravats accumulées donnent l’impression que lui et ses voisins vivent dans une véritable décharge publique. Mais ce n’est pas un cyclone qui a frappé les habitants de Koki, un village situé à proximité de la station balnéaire de Sihanoukville, mais bien un groupe de policiers et de militaires. Ils sont venus suite à la manifestation des habitants de Koki contre leur éviction forcée, armés de bâtons, de fusils d’assaut et de matériel de démolition. « Nous avons essayé de les bloquer, pour les empêcher de détruire nos maisons », explique Chheav dans la tente de fortune qu’il a installée à côté de sa maison détruite. « Mais ça n’a pas marché. Ils sont venus très bien équipés et ils ont tout détruit. » La répression a été lancée le 24 janvier suite à l’annonce d’un tribunal déclarant qu’une grande partie de Koki était possédée par un homme d’affaires proche du gouvernement. Lors des opérations, selon les témoins, un homme de 28 ans a été gravement blessé par une balle qui a touché son épaule.

Dans un communiqué, l’ONG Licadho a dénoncé un usage excessif de la force. Sveng Vanly, un coordinateur local de Licadho, a confié que près de 300 membres des forces de l’ordre sont intervenus contre un groupe de deux à trois villageois. Ceux-ci affirment qu’ils ignorent à qui appartient le terrain, mais ils suspectent que leur éviction est liée à un investissement chinois important dans la région. Ils craignent que ce terrain où ils ont vécu et travaillé durant des années soit bientôt aux mains d’hommes d’affaires chinois. En l’espace de deux ou trois ans, Sihanoukville a reçu plus d’investissements chinois que tout le reste du Cambodge. Ces investissements ont transformé Sihanoukville, autrefois une ville balnéaire relativement calme qui attirait surtout des Cambodgiens et des touristes occidentaux, en une véritable station touristique chinoise, avec la construction de dizaines de casinos et de grands hôtels. Selon les estimations, 25 à 30 % de la population de Sihanoukville serait aujourd’hui chinoise. Même si les casinos et les hôtels créent des emplois, le prix payé par la population locale est malgré tout élevé. Les prix du terrain et de l’immobilier ainsi que les prix des loyers, dans la ville et aux alentours, ont doublé voire triplé. La pollution devient problématique, alors que les détritus s’accumulent dans les rues et que l’air est traversé par d’épaisses couches de poussière. Les routes principales de la ville ont besoin d’être rénovées, et les principales infrastructures de la ville ne sont pas prêtes à l’afflux de dizaines de milliers de personnes supplémentaires.

Hausse des litiges fonciers

Sveng Vanly assure que le nombre de litiges fonciers continue d’augmenter depuis que les investissements chinois ont commencé à affluer. « L’année dernière, il y a eu trois nouvelles affaires », explique-t-il. « Souvent, il s’agit de territoires forestiers dont la propriété reste incertaine. » Le village de Koki a été construit sur des terres forestières. Mey Dorn, 58 ans, se souvient qu’en 2002, il a défriché une portion de forêt pour cultiver et construire une maison pour sa famille. « Toutes ces années, personne ne m’a jamais dit que ça appartenait à quelqu’un d’autre. Je viens seulement de me rendre compte que le terrain a été vendu il y a plusieurs semaines, quand les militaires sont venus pour nous demander de partir. » Son voisin Chheav affirme qu’il n’était pas non plus au courant de l’affaire avant la venue des militaires. « J’ai acheté ce terrain il y a deux ans auprès d’une personne de Sihanoukville », explique-t-il. « Puis j’ai construit ma maison moi-même. Le terrain et la propriété ont été reconnus par le chef du village. Je ne comprends pas comment ils peuvent dire que cela ne m’appartient pas. N’ai-je pas des droits ? » À seulement dix minutes de Koki, les investissements chinois sont impossibles à manquer. Non loin de la plage d’Otres, autrefois populaire parmi les « backpackers » occidentaux en recherche de stations estivales bon marché, de nouveaux hôtels et complexes immobiliers sont en construction.

Plus près de la ville, les premiers casinos apparaissent et de nombreux sites de constructions ou de commerces chinois sont visibles. Sveng Vanly, coordinateur de l’ONG Licadho, confie que les casinos et les hôtels ont le bénéfice de créer des emplois pour les habitants et les nouveaux venus. Et ceux qui sont assez chanceux pour être propriétaires peuvent se faire beaucoup d’argent. « Mais les plus pauvres sont clairement désavantagés », ajoute-t-il. « Dans le passé, ils pouvaient louer quelque chose pour 50 à 70 dollars. Aujourd’hui, ils doivent payer au moins 150 à 200 dollars. Et les chinois contrôlent beaucoup de commerces aujourd’hui, dont des hôtels, des restaurants et même des compagnies de taxis. » Sihanoukville est peut-être la destination la plus populaire pour les investissements chinois, mais ce n’est pas le seul lieu où grandit l’influence chinoise. Ces dernières années, la Chine est devenue le plus grand investisseur étranger au Cambodge, et le principal donateur. En janvier, la Chine a ainsi promis une nouvelle aide sociale au Cambodge à hauteur de 587 millions de dollars au cours des trois prochaines années.

Pression occidentale et investissements chinois

Toutefois, certains craignent que le Cambodge devienne trop dépendant de Pékin, en particulier maintenant que le pays fait face à la pression de l’Union européenne et des États-Unis, suite aux menaces de sanctions et au possible renvoi du Cambodge du projet EBA (Everything but arms – « Tout sauf les armes »), un programme commercial entre l’Union européenne et les pays les moins développés. À Sihanoukville, les Chinois tirent déjà les rênes selon Sophal Ear, expert sur le Cambodge et professeur associé en diplomatie et affaires internationales à l’Occidental College de Los Angeles. « Est-ce que Sihanoukville est toujours Sihanoukville si tous ceux qui y vivaient sont chassés ou partis et qu’un large groupe de chinois prend leur place ? Bien sûr que non ! En principe, dans un autre pays, le gouvernement se serait intéressé aux opinions des gens et aurait réagi en conséquence. Mais pas au Cambodge, où une règle d’or s’applique : ceux qui possèdent l’argent font la loi. La Chine a les moyens, c’est donc la Chine qui établit les règles. » À Koki, Chheav Sovannarith craint pour l’avenir, maintenant que les forces de l’ordre veulent les chasser. Mais même si sa maison est en ruines et qu’il n’a plus qu’une tente où dormir, il refuse de quitter la région. D’autres villageois, eux aussi, n’en démordent pas. « C’est effrayant et nous sommes inquiets, mais nous n’avons nulle part ailleurs où aller », poursuit Chheav. « Nous avons vécu ici pendant de nombreuses années. C’est notre choix de continuer à vivre ici. »

(Avec Ucanews, Sihanoukville)


CRÉDITS

Ate Hoekstra / ucanews