La Thaïlande détient les tristes records du taux d’inégalité le plus élevé au monde et du plus grand nombre de morts sur les routes parmi les pays de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), selon plusieurs études récentes. C’est aussi l’un des pays qui compte le plus de meurtres par arme à feu. Ces records hautement médiatisés, bien que peu surprenants pour les spécialistes du pays, continuent d’abîmer la réputation d’un pays autrefois vanté comme l’un des meilleurs candidats de la région, apte à devenir un pays développé au même titre que le Japon, Singapour ou la Corée du Sud. D’après le rapport annuel du Crédit Suisse (Global wealth databook), la Thaïlande est en effet classée en tête des quarante pays examinés par l’étude concernant les répartitions des richesses les plus inégales. Sur 69 millions de Thaïlandais, affirme le Crédit Suisse, 1 % de la population détient 66,9 % des richesses du pays. Dans le rapport 2016 du Crédit Suisse, la Thaïlande était classée en troisième après la Russie et l’Inde, devant l’Indonésie et le Brésil.
Croissance injuste
Le nouveau rapport indique que malgré une croissance importante de la richesse moyenne par adulte, qui est passé de 3 350 dollars en 2000 à 9 969 dollars en 2018, des millions de Thaïlandais continuent de vivre dans la misère tandis que les citoyens les plus riches gardent la mainmise sur les opportunités de création de richesse. « La Thaïlande a enregistré une croissance rapide et une forte transformation structurelle depuis les années 1950 », explique Wannaphong Durongkaveroj, doctorant en économie à l’université australienne nationale de Canberra. « Toutefois, le pays a également connu une croissance sans justice. Le coefficient de Gini de la Thaïlande [une mesure statistique de la distribution des richesses] est au-dessus de 0,40 depuis trente ans, un chiffre élevé selon les normes asiatiques, et qui se rapproche davantage du modèle chinois que de Taïwan ou de la Corée du Sud. » Les autorités thaïlandaises ont protesté contre les conclusions du Crédit Suisse, affirmant qu’elles se basent sur des informations obsolètes. « Le rapport entre les plus hauts et les plus bas salaires a chuté de 29,92 fois en 2006 à 19,29 fois en 2017 », a affirmé Banyong Pongpanich, ancien conseiller du Premier ministre Prayut Chan-o-cha, dans un communiqué. Toutefois, dans son rapport publié en septembre, la Banque mondiale note que même si le taux de pauvreté a fortement chuté en Thaïlande depuis les années 1980, en passant de 67 % en 1986 à 7,1 % en 2015, les inégalités de richesses et de salaires sont restées très élevées. « En 2014, plus de 80 % des 7,1 millions de Thaïlandais les plus pauvres vivaient dans des zones rurales. De plus, 6,7 millions de Thaïlandais, dont les revenus étaient dans la limite des 20 % au-dessus du seuil de pauvreté, restaient vulnérables et risquaient de retomber dans la pauvreté. »
Violences et accidents de la route
Par ailleurs, selon le Rapport de situation sur la sécurité routière en 2018 de l’OMS, les routes thaïlandaises sont toujours parmi les plus dangereuses au monde. Le taux d’accidents mortels sur 100 000 habitants était de 32,7 en 2016, le plus élevé parmi les pays de l’Asean où la moyenne est de 20,7 victimes pour 100 000 habitants. On compte en moyenne 22 491 morts sur la route chaque année dans le pays. Le taux d’accidents mortels thaïlandais est parmi les huit plus élevés au monde sur 175 pays. Seuls le Venezuela, Sainte-Lucie et cinq autres pays africains sont au-dessus, dont le Liberia, le Burundi et le Zimbabwe.
La Thaïlande compte également plusieurs millions d’habitants qui possèdent des armes à feu, légalement ou illégalement, et détient le plus haut taux d’homicides par arme à feu en Asie. Selon les estimations les plus récentes, 4,45 personnes sur 100 000 habitants sont tuées par balles chaque année dans le pays. Un chiffre comparable à celui des États-Unis et sept fois plus élevé qu’au Cambodge ou en Malaisie. La plupart de ces homicides sont liés à des activités criminelles telles que des vols à main armée ou à des crimes passionnels. Les Thaïlandais ont la gâchette facile, y compris au sein de la police, et n’hésitent pas à résoudre tous les conflits en sortant leur arme. Après une dispute arrosée, mi-décembre, un policier en civil, Kantapong Huadsri, 49 ans, a suivi un touriste français de 41 ans, Djamel Malik, jusque dans un immeuble ou le Français résidait. Kantapong a alors tiré sur Djamel à bout portant dans le hall de l’immeuble. Malgré la fuite du policier, la scène a été filmée par une caméra de surveillance, et Kantapong a fini par avouer.
Les accidents de la route comme les violences restent répandus dans le pays, une situation que de nombreux observateurs attribuent au laxisme des forces de l’ordre. Le Code de la route est fréquemment ignoré par les conducteurs, souvent à la vue de la police. Les délits de fuite sont nombreux dans le pays, beaucoup de responsables d’accidents fuyant les lieux dans l’espoir de ne jamais se faire prendre, ou même de ne pas faire l’objet d’une enquête par la police. Les crimes sont souvent non résolus, de même que la corruption reste largement répandue au sein de la police locale. « Nous faisons de notre mieux, mais nous manquons de personnel et de ressources pour pouvoir être efficaces », confie un lieutenant de police de la province de Suphan Buri, près de Bangkok. « Il est avéré qu’il y a de mauvais éléments dans la police, qui acceptent des pots-de-vin et qui se comportent comme des criminels. »
(Avec Ucanews, Bangkok)
Crédit : Marcin Konsek / Wikimedia Commons /