Eglises d'Asie

Lahore : avec son « Mur de Jésus », un catholique pakistanais favorise l’entraide face à la crise

Publié le 18/02/2021




Depuis le confinement imposé par les autorités pakistanaises en mars 2020, Raja Walter, un restaurateur catholique de Youhanabad, un quartier pauvre de Lahore, a tenté de venir en aide aux travailleurs journaliers ayant perdu leur emploi durant la crise sanitaire. En décembre 2020, il a lancé le projet « Wall of Jesus » (Mur de Jésus), inspiré de l’idée d’un anonyme iranien, et destiné à favoriser l’entraide entre les habitants du quartier, où vivent environ 150 000 chrétiens, dont plus de 7 000 catholiques. Près de 60 % de chrétiens pakistanais vivent sous le seuil de pauvreté.

Raja Walter, fondateur du « Wall of Jesus » de Youhanabad, à Lahore, dépose des objets destinés aux bénéficiaires du quartier.

Toutes les semaines, les habitants du quartier de Youhanabad, à Lahore, profitent du « Mur de Jésus » (Wall of Jesus), une œuvre de charité qui procure aux plus démunis de la nourriture, des vêtements chauds et autres biens de première nécessité. Parmi les bénéficiaires, Mumtaz Bibi, une catholique pakistanaise de 35 ans qui vit près de l’église catholique Saint-Jean, confie que son mari gagne jusqu’à 1 000 roupies par jour (5,14 euros) comme peintre en bâtiment. « Avec l’inflation, cela devient difficile de manger des repas corrects », explique-t-elle. Mumtaz Bibi, mère de trois enfants, a pu récupérer une robe. Le mur de trois mètres de haut contient des tiroirs remplis de vêtements, chaussures, sacs et uniformes scolaires, entre autres. « Je pense porter la nouvelle robe pour la messe, dimanche prochain. Je compte aussi laisser les livres scolaires de mes enfants à la fin des examens annuels, j’espère que cela pourra servir à d’autres », ajoute Mumtaz Bibi.

Le projet a été lancé en décembre 2020 par Raja Walter, un catholique de Youhanabad. Ce quartier démuni compte plus de 50 églises non enregistrées et environ 150 000 chrétiens, dont plus de 7 000 catholiques. « Des visites à domicile ont été organisées durant trois mois, afin de collecter des objets et vêtements inutilisés. Ce mur permet de relier directement les donateurs aux bénéficiaires dans le besoin. Ce qui ne sert pas à quelqu’un peut être utile à d’autres », commente Raja Walter, qui possède un fast-food à Lahore et qui a installé le « Mur de Jésus » devant sa maison de Youhanabad. Depuis mars dernier, au début de la pandémie, il tente de venir en aide aux travailleurs journaliers et aux veuves du quartier. « Le mur a été installé chez moi afin de protéger la dignité des bénéficiaires. Près de 30 % d’entre eux sont musulmans. Le but est également de favoriser le don du sang et l’entraide pour les recherches d’emploi. Les diplômés chrétiens sont invités à déposer leurs CV, et une liste de contacts est en train d’être créée », ajoute Raja Walter.

Inflation et emplois précaires

Selon le groupe PPI (Pakistan Partnership Initiative), une organisation chrétienne basée à Islamabad, 70 % des chrétiens – en particulier les ouvriers et les travailleurs journaliers – ont perdu leur emploi ou ont déploré des baisses de revenus durant le confinement. En 2009, le gouvernement pakistanais a réservé un quota de 5 % d’emplois réservés aux minorités, mais les organisations humanitaires estiment que la plupart des personnes issues des minorités religieuses occupent des emplois précaires. En 2016, le gouvernement du Pendjab a abandonné la politique qui réserve habituellement les emplois de nettoyage aux non musulmans. Pourtant, les autorités continuent de diffuser des publicités pour des emplois de balayeurs réservés aux chrétiens. Par ailleurs, selon le Bureau pakistanais des Statistiques, l’inflation hebdomadaire a atteint un pic de 9,17 % depuis neuf semaines, par rapport à l’année précédente.

60 % des chrétiens pakistanais sous le seuil de pauvreté

Selon le père Francis Gulzar, curé de l’église Saint-Jean de Youhanabad, l’idée du « Mur de Jésus » a été inspirée par le projet Deewar-e-Mehrubani, (« Mur de la bonté »), une œuvre caritative lancée en 2015 par un anonyme iranien. « Si vous n’en avez pas besoin, laissez-le. Si vous en avez besoin, prenez-le » : l’inscription est affichée sur le mur iranien, situé dans la ville de Mashhad. L’idée s’est répandue rapidement sur les réseaux sociaux, et un premier « Mur de la bonté » a vu le jour au Pakistan, en 2016, grâce à deux enseignantes de Karachi. D’autres murs ont été créés dans d’autres villes du pays, mais beaucoup de projets ont été abandonnés. « Le Mur de Jésus est une nouvelle initiative d’un catholique laïc de Youhanabad. Les pauvres sont les grands bénéficiaires de projet. Cela peut aussi favoriser l’harmonie interreligieuse dans notre quartier, qui a souffert dans le passé », explique le père Gulzar.

Le prêtre, vicaire général de l’archidiocèse de Lahore, évoque notamment un attentat suicide commis en 2015 durant une messe dominicale, dont il a été témoin et qui a tué 15 chrétiens et causé plus de 70 blessés. « Une campagne de sensibilisation soutenue par les gouvernements locaux pourrait contribuer à faire connaître l’initiative et à relancer d’autres projets abandonnés », ajoute le père Gulzar. Entre 2009 et 2018, l’Index mondial de la générosité (World Giving Index) a classé le Pakistan comme le 69e pays le plus généreux sur 126 nations. Durant le confinement, des dons alimentaires ont également été organisés par les autorités du Pakistan, où près de 60 % des chrétiens vivent sous le seuil de pauvreté.

(Avec Ucanews, Lahore)


CRÉDITS

Kamran Chaudhry / Ucanews