Eglises d'Asie

L’arrestation d’un chanteur traditionnel musulman par la police, dénoncée comme une atteinte à la culture bengalie

Publié le 15/01/2020




Shariat Sarker, chanteur traditionnel ‘boyati’ (folk) de 40 ans, lui-même musulman, a été arrêté ce 11 janvier par la police bangladaise à Mirzapur, dans le district de Tangail. Il est accusé d’offenser les sentiments religieux de la majorité musulmane, dans le cadre d’une loi controversée (la loi DSA, Digital security act), considérée comme un outil pour étouffer la liberté d’expression et les voix dissidentes dans le pays. Son arrestation fait suite aux commentaires du chanteur, lors d’un concert donné le 24 décembre, et s’opposant aux penseurs musulmans dénonçant les activités culturelles comme la musique et la danse comme ‘haram’ (anti-islamiques).

Un chanteur « baul » (mystique) durant un festival dans le district de Kushtia, en 2016.

La police bangladaise a arrêté un chanteur populaire traditionnel, accusé d’avoir heurté les sentiments religieux des musulmans. Shariat Sarker, 40 ans, a été arrêté le 11 janvier à Mirzapur, dans le district de Tangail, dans le cadre de la loi DSA (Digital security act), souvent dénoncée comme un moyen d’étouffer la liberté d’expression et l’opposition dans un pays majoritairement musulman. Les faits mettant en cause Shariat Sarker, chanteur boyati (folk) et lui-même musulman, remontent au 24 décembre. Durant un concert, ses commentaires ont provoqué la colère de plusieurs groupes conservateurs et une poursuite judiciaire de la part de Maolana Faridul Islam, un théologien musulman local. Une vidéo du concert a été publiée sur Youtube et est devenue virale sur les réseaux sociaux, entraînant de vives critiques de la part des radicaux. Le chanteur a été accusé de ridiculiser les musulmans et les théologiens musulmans affirmant que les activités culturelles comme la musique et la danse sont « contraires à l’islam ». « Rien, dans le Coran, n’indique la musique et la danse comme ‘haram’ [anti-islamaiques]. Le prophète Dawud [le roi David] chantait et savait jouer 23 instruments de musique différents. Notre grand prophète Mohamed était fortement épris de musique et s’endormait le soir en écoutant de la musique. Certains penseurs islamiques sont ignorants et interprètent mal le Coran en considérant la musique comme ‘haram’ », aurait déclaré le Shariat Sarker ce soir-là. En cas de condamnation, il risque jusqu’à dix ans de prison.

« L’État doit garantir la liberté d’expression »

Sultana Kamal, avocate de la Cour Suprême et militante pour les droits de l’homme dans le pays, a dénoncé l’arrestation. « Ces derniers temps, nous voyons la liberté d’expression menacée et la loi DSA exploitée. L’arrestation d’un chanteur folk populaire, pour avoir exprimé ses opinions, est inacceptable et constitue une violation de ses droits constitutionnels », s’est-elle indignée. Selon elle, cette arrestation montre que le gouvernement cherche à apaiser les groupes radicaux dans la société bangladaise. « Shariat Sarker doit être libéré immédiatement et les éléments controversés de la DSA doivent être amendés, pour qu’ils ne puissent plus être exploités de la sorte », a-t-elle ajouté. Le père Srijon Das, SJ, qui a étudié le folklore bangladais et qui est lui-même baul (chanteur mystique), a dénoncé l’arrestation du chanteur comme « malheureuse » et comme une « atteinte à la culture ». « J’ai étudié le Coran, et on ne trouve nulle part d’interdiction spécifique contre la musique. Partout où l’islam s’est développé, la religion a embrassé les cultures et les traditions, y compris la musique. L’islam a adopté les musiques soufies et baul du Bengale et du Bangladesh parce qu’elles étaient profondément ancrées dans la vie des communautés. L’arrestation de ce chanteur boyati est regrettable et constitue une attaque contre la culture bengalie », a réagi le père Das.

« Il est inacceptable de voir les autorités écouter ceux qui interprètent le Coran et l’islam de la sorte en trompant la population. » Le père Anthony Sen, membre de la commission épiscopale bangladaise Justice et Paix, a également dénoncé l’arrestation. « Dans notre pays, la plupart des gens n’ont que peu de culture religieuse et de connaissance des enseignements religieux ; c’est pourquoi ils peuvent être facilement manipulés quand on leur donne de faux enseignements », a-t-il affirmé. « Cette ignorance, associée à une mentalité intolérante, menace l’harmonie et la liberté dans notre société », a-t-il averti. « Il doit y avoir des initiatives publiques et privées afin d’offrir de meilleurs enseignements religieux au public, pour que les gens soient prêts à accepter la vérité, même si cela ne leur plaît pas. De plus, l’État doit assurer que la liberté d’expression ne soit pas menacée par des lois controversées. » Le Bangladesh, connu historiquement comme un pays musulman modéré, fait face à une montée du radicalisme depuis 2013. Des chanteurs traditionnels ont été attaqués par des musulmans extrémistes, poussés par des penseurs islamiques qui dénoncent les chanteurs musulmans comme « hérétiques » et leurs activités comme « anti-islamiques ».

(Avec Ucanews, Dacca)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews