Eglises d'Asie

Le droit à l’éducation des enfants rohingyas contre les risques l’endoctrinement

Publié le 02/07/2019




Malgré de nombreuses protestations au Bangladesh et à l’étranger, la décision d’expulser les enfants réfugiés rohingyas des écoles publiques continue d’être appliquée. Les ONG locales et internationales qui sont sur le terrain dans les camps de Cox’s Bazar, dans le sud-est du pays, ont ouvert des centaines de programmes éducatifs pour près de 180 000 enfants en primaire, mais les collégiens et les lycéens n’ont plus accès à l’éducation secondaire. Faute d’éducation classique, beaucoup se tournent vers les madrassas, les écoles coraniques traditionnelles. Face à cette situation, beaucoup sont inquiets face à un risque de radicalisation et d’endoctrinement, et demandent au gouvernement de remédier à cette situation.

Abdul Noor était élève au lycée de Leda, près de la ville de Teknaf dans le sud-est du Bangladesh, avant d’être soudainement renvoyé de l’établissement en mars, aux côtés d’autres élèves rohingyas réfugiés. La seule raison avancée était qu’en tant que réfugiés musulmans venant de Birmanie, ils n’étaient pas citoyens bangladais. Abdul Noor, 16 ans, le cadet d’une famille de cinq enfants, ne digère pas le fait d’avoir dû quitter l’école. « Je voulais avoir une éducation pour pouvoir m’en sortir mieux que mes frères qui n’ont pas pu aller à l’école du tout », explique-t-il. Durant plusieurs semaines, il a dû rester sans rien faire ou à traîner au camp de réfugiés de Leda, dans le district de Cox’s Bazar. Ses parents ont fui au Bangladesh en 1992, et lui-même est né au camp. Abdul Noor a commencé à se rendre dans une madrassa, une école islamique traditionnelle, où il étudie le Coran. Il regrette de ne pouvoir étudier aussi d’autres matières comme l’anglais et les mathématiques. Comme lui, des centaines d’élèves réfugiés ont été renvoyés des écoles sur l’ordre du gouvernement. La décision a entraîné de nombreuses critiques au Bangladesh et à l’étranger, mais elle continue d’être appliquée. La région de Cox’s Bazar est le foyer de plus d’un million de réfugiés rohingyas de l’État de Rakhine, qui ont fui les persécutions en Birmanie. Selon le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), plus de 723 000 réfugiés ont franchi la frontière depuis août 2017. Les ONG locales et internationales qui interviennent dans les trente camps de Cox’s Bazar ont ouvert des centaines de programmes éducatifs, pour près de 180 000 enfants réfugiés, mais seulement pour le primaire. On estime qu’il y a presque un demi-million d’enfants réfugiés rohingyas qui ont besoin d’un accès à l’éducation. Les réfugiés eux-mêmes, avec le soutien de groupes islamiques bangladais, ont fondé un réseau de madrassas dans les camps pour offrir une éducation religieuse aux enfants. En ordonnant leur expulsion des écoles sans leur offrir d’alternative, le gouvernement les a exposés à être manipulés et radicalisés, estime Abu Morshed Chowdhury, un militant de Cox’s Bazar. « La plupart des Rohingyas n’ont reçu aucune éducation quand ils étaient en Birmanie, donc c’est une communauté qui est déjà vulnérable. Si nous ne parvenons pas à leur offrir une éducation, leur condition risquent de s’aggraver, qu’ils restent ici ou qu’ils retournent en Birmanie. Si nous échouons, ils resteront vulnérables à l’exploitation voire à la radicalisation aux mains des groupes extrémistes et opportunistes », craint Abu Chowdhury.

Droit à l’éducation

Dans un rapport récent, l’ONG International Crisis Groupe, basée à Bruxelles, a alerté sur la présence de groupes extrémistes dans les camps de réfugiés, sans pour autant accuser les madrassas de radicalisation ou d’intolérance. « Il n’y a aucune preuve qui démontre que ces madrassas prêchent la violence ou l’intolérance auprès des enfants, ni qu’il y ait un endoctrinement ou un recrutement par des djihadistes étrangers. Cela dit, une décision qui les empêche de recevoir une éducation classique et qui les oblige à se tourner vers des madrassas non réglementées augmente à coup sûr l’influence de tels groupes sur les camps », affirme le rapport. Les madrassas ne sont pas une alternative viable à une éducation formelle, faute d’une éducation générale, souligne James Gomes, directeur régional de la Caritas. « De plus, il y a des risques que les enfants rohingyas soient endoctrinés si les madrassas ne sont pas contrôlées », craint-il, en ajoutant que le gouvernement doit collaborer avec les ONG afin de trouver la meilleure approche qui permette de respecter le droit à l’éducation des enfants rohingyas. Anandamoy Bhowmick, membre du ministère de l’Éducation, reconnaît qu’il faut réfléchir à un programme pour remédier à leur éducation secondaire. Bien que la langue, la culture et les pratiques religieuses des Rohingyas soient proches de celles des musulmans bangladais, les réfugiés rohingyas sont souvent mis à l’écart dans le pays.

Les historiens font remonter leur présence dans le royaume indépendant d’Arakan, qui fait aujourd’hui partie de l’État d’Arakan (Rakhine) en Birmanie, au VIIIe siècle. Pourtant, ces dernières décennies, ils ont été catalogués comme des immigrants illégaux par les gouvernements successifs et par une grande partie de la population bouddhiste. Depuis les années 1970, face aux persécutions systématiques et à la répression des droits comme la citoyenneté, ils ont fui la Birmanie vers divers pays, à commencer par le Bangladesh. Les deux répressions militaires de 2016 et 2017 dans l’État d’Arakan, déclenchées par des attaques des militants rohingyas comme l’armée birmane, ont entraîné l’un des plus grands exodes de réfugiés de l’histoire récente. Sous la pression internationale, la Birmanie a signé un accord de rapatriement avec le Bangladesh en novembre 2017, afin de permettre aux Rohingyas de quitter les camps surpeuplés. Mais le programme a été interrompu depuis, et aucun d’entre eux n’est encore revenu au pays.

(Avec Ucanews)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews