Eglises d'Asie – Bangladesh
Le festival de Shakrain de Dacca, ou fête des cerfs-volants et fête des lumières, célèbre l’harmonie bangladaise
Publié le 21/01/2020
Alors que se couche un pâle soleil hivernal, plusieurs milliers d’habitants de la vieille ville de Dacca, sur les rives de la rivière Buriganga, grimpent sur les toits pour chanter, danser, et faire voler des cerfs-volants de toutes formes et couleurs. Tandis que la nuit tombe, la foule animée commence à relâcher des centaines de lanternes en papier et à lancer des feux d’artifice. Certains groupes ont même organisé des programmes tout au long de la journée, dont des concerts, des fêtes et des spectacles de cracheurs de feu. Des hommes, des femmes et des enfants de toutes confessions – musulmans, hindous et chrétiens – se saluent en s’offrant des friandises et les traditionnelles pithas (crêpes bengalies). Les rues étroites du vieux Dacca sont bondées alors que se mêlent habitants et visiteurs, pressés de participer aux festivités d’une manière ou d’une autre. Le festival de Shakrain est célébré tous les ans à Dacca, pour marquer la fin de Poush, le neuvième mois du calendrier bengali (soit le 14 ou le 15 janvier). Il s’agit d’un des festivals les plus importants de la culture bangladaise. Célébré surtout dans la partie sud de la ville, il est fêté comme un symbole d’unité et de fraternité. Le festival marque aussi la fin du solstice d’hiver et les jours qui se rallongent.
Rintu Gomes, âgé de 39 ans, catholique et père de trois enfants, attend chaque année la fête de Shakrain avec impatience. Pour ce professeur d’anglais au lycée catholique Saint-François-Xavier de Dacca, c’est une occasion unique de rassembler des personnes de toutes confessions religieuses et conditions sociales. Durant le festival, il grimpe sur le toit de son immeuble avec son propriétaire musulman, pour faire voler des cerfs-volants et regarder les lâchers de lanternes. « Je reçois aussi des invitations de collègues et amis musulmans et hindous, qui me proposent de célébrer la fête avec eux », ajoute-t-il, en assurant que le festival de Shakrain soutient l’harmonie nationale tout en perpétuant les vieilles traditions rurales des vols de cerfs-volants. « C’était très populaire dans les régions rurales autrefois, mais cela s’est presque perdu. Grâce à cette fête, c’est une tradition qui a survécu », se réjouit-il. Pour Taimur Islam, chef exécutif du groupe Uban Study, une organisation chargée de protéger l’héritage culturel et national du vieux Dacca, la fête de Shakrain contribue à promouvoir « une société pluraliste et multiculturelle » au Bangladesh. « Le festival vient peut-être de l’hindouisme, mais aujourd’hui, c’est devenu une fête unique et universelle », explique-t-il, en ajoutant que la tradition des cerfs-volants vient sans doute de la période moghole (XVIème – XVIIIème).
« Un festival universel au caractère unique »
« Les vols de cerfs-volants sont une tradition d’Asie centrale » devenue populaire en Asie du Sud durant la période de l’empire Moghol, précise-t-il. « C’est pour cela que c’est encore populaire dans les régions majoritairement musulmanes de l’Inde, du Pakistan, de l’Afghanistan et du Bangladesh. » Pour lui, ce festival unique devrait être mis en valeur par le gouvernement pour qu’il puisse être reconnu à l’international. « C’est un festival universel qui a un caractère unique et auquel les gens sont très attachés. Si le gouvernement prend la peine de prendre des initiatives pour le faire connaître, je pense qu’un jour, il pourrait être reconnu au patrimoine mondial par l’Unesco », souligne Taimur Islam. De son côté, le père James S. Gomes, curé de la paroisse de la Sainte-Croix de Luxmi Bazar à Dacca, soutient que la fête est importante pour le message de paix et d’harmonie religieuse qu’elle véhicule. Pourtant, il reconnaît qu’aujourd’hui, c’est plutôt une façade. « Autrefois, les cerfs-volants et les rencontres étaient une tradition du festival, mais maintenant, les jeunes sont plus intéressés par la musique à plein volume, les soirées DJ et les feux d’artifice. Il y avait bien une atmosphère culturelle et spirituelle, mais cela a tendance à disparaître au profit de la pollution sonore », affirme le prêtre.
Le père Gomes souhaiterait lui aussi que le gouvernement s’investisse pour mieux organiser le festival et éviter les nuisances. Selon l’avocat Rana Dasgupta, secrétaire général du Conseil de l’unité des chrétiens, bouddhistes et hindous du Bangladesh, le pluralisme bangladais est menacé depuis plusieurs années par la montée de l’extrémisme religieux. C’est pourquoi des fêtes comme Shakrain ont une valeur significative, souligne-t-il. « La plupart des fêtes et des festivals de notre pays sont liés à notre langue, notre culture et aux anciennes traditions rurales, et non à la religion. Les gens les célèbrent spontanément, parce qu’ils y sont attachés », explique-t-il. Durant les périodes sous régime britannique et pakistanais, la population a été dissuadée de perpétuer leurs traditions et leur culture, sans succès. Encore aujourd’hui, certains groupes religieux extrémistes tentent de présenter ces fêtes comme contre l’hindouisme ou l’islam, mais Rana Dasgupta assure que la plupart des gens sont tolérants et ignorent ces revendications. « Shakrain est quelque chose de très positif, et plus les gens comprennent son sens véritable et cherchent à changer les choses, plus ce sera bénéfique pour la société et pour le pays. »
(Avec Ucanews, Dacca)
CRÉDITS
Piyas Biswas / Ucanews