Eglises d'Asie – Thaïlande
Le fiasco de la candidature de la princesse Ubolratana ravive les tensions
Publié le 12/02/2019
Selon la Constitution, le Premier ministre doit être listé par un parti représenté à l’Assemblée législative issue des élections du 24 mars. Les deux chambres – Assemblée législative et Sénat – doivent ensuite élire le Premier ministre à la majorité absolue en se basant sur la liste des candidats sélectionnés par les partis. Cette annonce de la candidature de la princesse confirmait des rumeurs qui circulaient depuis plusieurs jours, mais que les ultraroyalistes dénonçaient comme des fausses informations. L’annonce de vendredi matin a immédiatement eu l’effet d’une bombe. En effet, jamais, depuis l’abolition de la monarchie absolue en 1932, un membre de la famille royale ne s’était engagé directement en politique. Certes, le roi Bhumibol Adulyadej, décédé en octobre 2016, était intervenu pour résoudre des crises politiques majeures, notamment en octobre 1973 et en mai 1992. Mais la volonté affichée de la princesse de diriger le pays après les élections s’inscrit dans un contexte tout à fait différent. Dans les heures qui ont suivi cette annonce, la princesse Ubolratana, personnalité flamboyante à la limite de l’excentricité, a été présentée comme l’adversaire direct de l’actuel chef de la junte, le général Prayut Chan-ocha, lequel a été sélectionné par un parti pro militaire pour devenir Premier ministre. La princesse Ubolratana n’a en effet jamais caché qu’elle était proche de l’ex Premier ministre Thaksin Shinawatra. L’an dernier, lors de la coupe du monde de football à Moscou, elle n’avait pas hésité à se faire prendre en photo avec lui. Thaksin, renversé par un coup d’État en septembre 2006, est l’ennemi juré du général Prayut, lui-même auteur d’un autre coup d’État en mai 2014, qui a renversé le gouvernement dirigé par Yingluck Shinawatra, sœur cadette de Thaksin. Après l’annonce de sa candidature, la princesse a pris garde de publier un communiqué affirmant qu’elle avait « abandonné tous ses titres royaux » et qu’elle était une « simple roturière » présentant sa candidature pour « travailler avec sincérité et détermination pour la prospérité de tous les Thaïlandais ». Ubolratana a en effet perdu ses titres royaux lorsqu’elle a épousé un Américain en 1972, dont elle a ensuite divorcé en 1998.
Des espoirs retombés brutalement
Cette candidature a suscité deux types de réactions au sein de la population. Les ultraroyalistes et les conservateurs se sont indignés qu’un membre de la famille royale puisse « salir » l’institution monarchique en participant au jeu politique. Le leader d’un parti politique n’a pas hésité à déclarer publiquement que cette candidature violait une disposition constitutionnelle interdisant d’impliquer la monarchie en politique et qu’elle devrait être invalidée par la commission électorale. D’un autre côté, de nombreux Thaïlandais se sont enthousiasmés pour l’entrée en politique de la princesse, la voyant déjà vaincre facilement le terne Prayut pour le poste de Premier ministre. Pour un certain nombre de Thaïlandais, la candidature de la princesse était le coup de semonce nécessaire pour amorcer un déblocage la société thaïlandaise, paralysée par les interférences constantes des militaires en politique et par une monarchie révérée mais archaïque, mal adaptée au monde moderne. Mais ces espoirs sont retombés brutalement dans la soirée du vendredi 8 février, douze heures après l’annonce de la candidature de la princesse. Son frère, le roi Vajiralongkorn, a publié un communiqué royal déclarant que la candidature de sa sœur « était contraire aux traditions et à la culture thaïlandaise » et « hautement inappropriée ». Ce communiqué a immédiatement mis un terme à l’effervescence ambiante et les images de la princesse ont instantanément disparu des écrans de télévision. Le lendemain, le parti Thai Raksa Chart retirait la candidature d’Ubolratana et la commission électorale étudiait la possibilité de dissoudre le parti pour violation de la Constitution.
L’un des effets de cet épisode étonnant est sans doute de renforcer les chances du général Prayut de devenir Premier ministre. Les différents partis politiques du camp pro Thaksin – dont le principal est le parti Pheu Thai – ont dû mettre en veilleuse leurs activités de campagne électorale. Si le parti Thai Raksa Chart est dissous, la stratégie électorale du camp pro Thaksin, face à un système électoral et à une constitution conçus pour bénéficier à la junte, paraît compromise. Parallèlement, les tensions entre partisans et opposants à la junte vont s’exacerber, car durant une journée, ces derniers ont entrevu l’espoir d’un retour à la démocratie et d’une transformation du pays. L’objectif de la princesse, en s’alliant avec un parti pro Thaksin, a pu être de présider à une réconciliation nationale entre les deux camps opposés, mettant un terme à près de vingt ans de conflits. Un autre enseignement à tirer des événements du 8 février porte sur la volonté du roi Vajiralongkorn de contrôler l’orientation du pays durant les prochaines années. Si la princesse Ubolratana était devenue Première ministre, elle aurait immanquablement fait de l’ombre à son frère, du fait de sa personnalité extravertie et de sa faculté de communiquer simplement et directement avec les Thaïlandais – une faculté dont son frère est dénué. Le roi, qui doit être couronné en mai prochain, semble avoir perçu ce danger pour sa position de leader du pays. Son contrôle croissant sur les forces militaires et sur la police va dans le même sens d’une volonté du nouveau monarque d’affirmer sa domination sur le pays.
(EDA / A.D.)
Crédit : Government of Thailand (CC BY 2.0)