Eglises d'Asie

Le nouveau gouvernement malaisien en échec contre la traite des personnes

Publié le 25/06/2019




Les États-Unis ont maintenu la Malaisie sur la liste de surveillance établie par le département d’État américain dans le cadre de son rapport annuel sur la traite des personnes. Le rapport 2019 (Trafficking in Persons – TIP), inauguré le 20 juin par le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo, affirme que le gouvernement malaisien n’a pas démontré des efforts soutenus contre la traite des personnes par rapport à l’année précédente. Cependant, le rapport note que le gouvernement du Premier ministre Mahathir Mohamad a initié une commission royale d’enquête sur les charniers liés à la traite des personnes qui ont été découverts à Wang Kelian, près de la frontière thaïlandaise.

« La situation, dans son ensemble, n’a changé en aucune manière », assure Dobby Chew, de l’ONG Suara Rakyat Malaisie. Le rapport annuel TIP 2019 du département d’État américain sur la traite des personnes, publié le 20 juin, couvre l’année 2018, au cours de laquelle la Malaisie a changé de gouvernement, quand la coalition Pakatan Harapan (Alliance de l’espoir) a remporté une victoire historique contre le Barisan Nasional, qui gouvernait la Malaisie depuis l’indépendance. « Le gouvernement malaisien se préoccupe de politique intérieure mais n’entreprend pas de véritable action contre les trafics », explique Zafar Ahmad Bin Abdul Ghani, président de l’organisation Merhrom (Myanmar ethnic Rohingya human rights organization Malaysia).

Le rapport TIP 2019 est publié alors que les Nations Unies viennent d’estimer le nombre total de réfugiés ou de personnes déplacées dans le monde à hauteur de 70 millions de personnes, comprenant près d’un million de Rohingyas qui ont fui la Birmanie après les violences survenues contre l’armée en 2016 et 2017. Beaucoup de réfugiés rohingyas ont essayé de quitter les camps bangladais et trouver une nouvelle vie, la Malaisie faisant partie de leurs destinations principales, mais leur situation les rend vulnérable à la traite des personnes. « Les trafiquants continuent de s’en prendre aux hommes, aux femmes et aux enfants rohingyas. J’ai reçu des plaintes affirmant que beaucoup de femmes rohingyas en sont victimes et qu’elles sont mariées à des hommes rohingyas en Malaisie », confie Abdul Ghani. En 2018, la commission malaisienne des droits de l’homme a déclaré que « les réfugiés et les demandeurs d’asile en Malaisie sont également vulnérables aux trafics en raison du manque de reconnaissance de leur statut, ce qui les empêche de travailler légalement en Malaisie. La plupart franchissent la frontière illégalement. »

Le rapport TIP souligne que même si la Malaisie fait des efforts pour tenter de lutter contre la traite des personnes, le nombre de cas poursuivis en justice est plus faible que l’année précédente et les ONG qui protègent les victimes ne reçoivent plus de subventions du gouvernement. « Le gouvernement ne parvient pas à protéger les victimes », explique Ziaur Rahman, un Rohingyas enlevé par des trafiquants en 2014 au Bangladesh. Ceux-ci l’ont forcé à prendre un bateau pour la Thaïlande, d’où il a été vendu de l’autre côté de la frontière, en Malaisie. « En tant que victime de la traite des personnes, je ne bénéficie toujours d’aucune protection. » Les victimes sont vulnérables à diverses formes d’exploitation, comme le travail forcé dans des plantations ou dans des réseaux de prostitution. Près de 212 000 personnes sont victimes de l’esclavage moderne en Malaisie, selon les estimations de la Fondation Walk Free, une ONG australienne qui publie un Indice annuel sur l’esclavage moderne. La Malaisie est parvenue à éviter d’être rétrogradée au sein de la catégorie 3 du rapport TIP, dont font partie des pays comme la Chine, la Birmanie et la Corée du Nord, et qui peuvent être exposés à des sanctions internationales.

Corruption et exploitation

Le statut de la Malaisie au sein du rapport TIP a bougé ces dernières années. En 2015, le pays a été rétrogradé en catégorie 3, la plus basse, puis remonté en catégorie 2, puis placé sur la liste de surveillance de la catégorie 2 en 2018. L’économie relativement avancée de la Malaisie attire de nombreux migrants et réfugiés dans le pays depuis les pays voisins ; une population étrangère importante y est donc potentiellement vulnérable à l’exploitation. Près d’un cinquième de la population active malaisienne est étrangère, dont de nombreux migrants sans papiers. La corruption, influente dans la délivrance des permis de travail, rend les migrants encore plus vulnérables, affirme le rapport TIP. Pour James Chin, chroniqueur politique malaisien et directeur de l’Institut asiatique de l’université de Tasmanie, le gouvernement malaisien actuel est plus actif contre la traite des personnes que le gouvernement précédent, mais il est confronté à de nombreux défis dont la réforme de la police. « Le problème est qu’ils ont hérité d’une police et d’une douane corrompues. Cela prendra des années. » En mars 2019, la Commission malaisienne des droits de l’homme et Fortify Rights, une ONG américaine, ont publié un rapport affirmant que la traite des personnes, liée aux charniers découverts en 2015, a été facilitée par la corruption des douanes. Les découvertes macabres ont suscité l’indignation internationale contre la Malaisie et la Thaïlande, accusées d’avoir permis aux trafiquants d’agir aux frontières.

Le rapport de mars a également cité une possible obstruction à la justice quand la police a ordonné la destruction de preuves potentielles, au camp ou a été découvert la fosse commune. Le 17 juin, durant une audience de la Commission royale d’enquête, Arifin Zakaria, ancien chef de la justice et président de la Commission, a dénoncé l’ancien chef de la police, Khalid Abu Bakar, suite aux retards des investigations sur le site de Wang Kelian. « Quand on découvre quelque chose, il faut installer un cordon de sécurité et se rendre sur les lieux du crime pour rechercher des preuves. Mais eux n’ont jamais été sur le site », a-t-il affirmé. Le rapport TIP a également cité des affaires en cours impliquant 600 fonctionnaires de l’aéroport international de Kuala Lumpur, ainsi que des enquêtes portant sur d’autres fonctionnaires et policiers – des affaires qui étaient toujours en cours à la fin de la période observée par le rapport. Alors que le Premier ministre malaisien Mahathir vient de participer à un sommet des dirigeants de l’Asean en Thaïlande, les 22 et 23 juin, les activistes font pression pour que les gouvernements agissent au moins en faveur de la situation des Rohingyas.

(Avec Ucanews, Kuala Lumpur)


CRÉDITS

Stephan Uttom / Ucanews